J’ai publié ici il y a quelques jours un billet de Jean-Baptiste Auxiètre intitulé « Notre brutal retour au Moyen-âge ! ». J’ai ignoré le fait qu’il laisse entendre que le seul rôle des universités médiévales était de s’occuper de théologie, négligeant que pour tout ce qui était du naturel – par opposition au surnaturel – l’enseignement était consacré au système d’Aristote. Je l’ai laissé passer parce que cela n’avait qu’une importance secondaire pour ce qui était mis en avant. Mal m’en a pris parce que tous ceux qui détestaient le message global de ce billet ont consacré de longs commentaires au rôle crucial joué par la pensée d’Aristote dans l’université médiévale, l’ironie de la chose étant que ces longues notes étaient souvent très inspirées de ce que j’ai écrit moi-même à ce sujet.
Pourquoi en parler ? Pour rappeler que pour les Occidentaux, pendant 2 000 ans (de son temps à la Renaissance), ce qu’en avait dit Aristote équivalait au savoir dans sa totalité que nous avions du monde naturel. Quand Geoffrey Lloyd compare l’antiquité chinoise avec l’antiquité européenne, il note parmi les faits saillants, « l’absence en Chine d’un penseur de la stature d’Aristote ». La moitié au moins de ce qui pourrait apparaître « neuf » dans ce que j’ai écrit moi-même a consisté à rappeler des vues aristotéliciennes largement oubliées aujourd’hui, qu’il s’agisse de sa théorie de la formation des prix (Le prix – 2010 ; Penser tout haut l’économie avec Keynes – 2015) ou de son échelle d’évaluation de la preuve dans l’Organon (Principes des systèmes intelligents – 1989 ; Comment la vérité et la réalité furent inventées – 2009).
Pendant deux millénaires, et un peu plus si l’on compte les efforts depuis la Renaissance d’Octave Hamelin (1856-1907), Pierre Duhem (1861-1916), W. D. Ross (1877-1971) ou de moi-même (1946-?), pour rappeler l’importance d’Aristote, le Stagirite, a continué d’influer sur le cours de l’histoire du monde, et l’a sûrement infléchi en plus d’une occasion.
Pour faire ce qu’Aristote a su faire : expliquer absolument tout avec les moyens dont il disposait de son temps, il n’a certainement pas passé beaucoup de temps à rêvasser à l’importance du fait que la postérité se souvienne de son nom, mais il a dû songer plus d’une fois qu’il était important que sa pensée continue d’influer, pour le bien de tous, sur le cours de l’histoire à venir. Parce que le système d’Aristote ne s’inscrit pas dans le cadre d’un projet individuel, mais dans celui de l’histoire collective d’une espèce toute entière.
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