Le courroux des marchés, c’est quoi exactement ?
Il est souvent question des « marchés » comme agissant de telle ou telle manière. On peut lire des choses du genre : « Si le ministre des Finances (ou la directrice de la Banque centrale), devait prendre cette mesure, il est certains que les marchés réagiraient négativement ».
Si l’on demande alors : « Mais qui sont exactement ces marchés, disposant d’un tel pouvoir ? », certains imagineront certainement que l’expression « les marchés » est une manière figurée d’évoquer un petit groupe de personnes, une petite clique de banquiers peut-être, confortablement installés dans de vastes fauteuils de cuir et faisant des ronds de fumée avec leur havane. Même si on ne peut pas exclure que certaines décisions importantes pour les marchés financiers soient prises de cette manière, il existe une autre chose capable de donner le sentiment que des êtres humains exercent leur redoutable vengeance, une chose beaucoup plus innocente : à savoir la double détermination du niveau des taux d’intérêt à moyen et long terme.
Deux facteurs interviennent en effet dans la fixation du niveau des taux d’intérêt, chacun dans un secteur spécifique, le premier, dans celui de la dette publique, le second, dans celui de la dette privée. Paradoxalement, ces deux facteurs agissent en sens opposé, si bien que ce qu’on appelle les taux du marché, sont la résultante de deux forces distinctes. Pour la dette publique, il s’agit du montant du « coupon » : le taux d’intérêt réclamé de l’État pour la dette qu’il émet sous la forme d’obligations. Pour la dette privée, il s’agit de la « part » qui reviendra aux investisseurs, ponctionnée sur les gains qu’auront permis les sommes qu’ils ont avancées sous forme de prêts.
Ces deux déterminations du niveau des taux vivent de leur propre vie, avec pour seule contrainte que pour chaque échéance (six mois, un an, cinq ans, etc.), un seul taux prévaut pour une devise particulière. Et, de manière lourde de conséquences, la « part » que reçoivent les investisseurs privés, et le coupon, que perçoivent les détenteurs d’obligations, agissent en sens opposé : les taux grimpent, soit parce que les emprunteurs privés doivent s’acquitter d’intérêts plus élevés parce que l’économie va bien, soit parce que le coupon des obligations doit intégrer une prime de risque quand l’économie va mal, risque de non-versement des intérêts promis, et risque de non-remboursement des sommes empruntées.
Ce niveau unique des taux, bien qu’ils soient déterminés d’une double manière, contient en lui l’éventualité d’une spirale récessionniste, voire dépressive. En effet, si l’État semble mal gérer une économie en difficulté, le coupon exigé pour les nouvelles obligations grimpera, et ce nouveau taux plus élevé restreindra la capacité des investisseurs privés à emprunter à des taux soutenables, faisant que l’économie ira de plus en plus mal.
Si l’État aux abois était alors tenté de renier sa dette, le marché des capitaux s’en douterait rapidement, la prime de risque inclue dans le coupon des nouvelles émissions obligataires exploserait et l’économie nationale perdrait tout accès au crédit. Ce serait la Crise.
Ce qu’on observe là en arrière-plan de décisions qui peuvent en effet être le fruit de la collusion d’êtres humains, ce sont, de manière beaucoup plus insaisissable, les implications de la double détermination du niveau des taux d’intérêt. Si l’on touche à l’un des facteurs impliqués dans ce mécanisme, les autres réagissent d’une manière qui pourrait apparaître en effet comme l’aboutissement de représailles exercées par des êtres machiavéliques courroucés parce que l’État va à l’encontre de leurs intérêts, alors qu’il ne s’agit en réalité que des effets de rééquilibrage qu’opère spontanément un mécanisme adaptatif délicat.
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