« Dix-sept portraits de femmes » XXX. Rosella-Minerve

De Rosella, j’ai déjà dit deux mots quand j’ai raconté mes vacances à Morro Bay, je l’ai alors appelée « Minerve, seule, indifférente à la croyance des autres, possédant sa cause en elle-même ».

Rosella est un personnage hors du commun, dont il serait possible sans doute de dire beaucoup de mal en raison de sa façon cavalière de concevoir les relations en société, tirant parti avec un pragmatisme d’une efficacité à la fois magistrale et cruelle, aussi bien des pires travers du genre humain, que de ses côtés les plus tendres, et les plus susceptibles du coup d’être chéris et aimés. Mieux encore, voudriez-vous lui adresser des reproches, qu’elle se ferait un malin plaisir de vous raconter d’autres anecdotes encore, rapportant certains de ses faits, qui abonderaient paradoxalement dans le sens des reproches que vous lui adressez déjà, faisant la preuve que sa personnalité bien particulière était dès son adolescence, voire même durant son enfance, ce qu’elle serait ensuite, et elle rirait de bon cœur de votre incrédulité. Et pourtant, je n’ai de mon côté que du bien à dire d’elle. Et ceci en dépit du rendez-vous manqué de Venise, qui aurait pu modifier le cours de l’histoire, et pourquoi pas l’infléchir du tout au tout, tant elle incarne, comme je l’ai dit, Minerve et, perchée sur son épaule, la chouette au regard perçant. 

Nous aimions bavarder de tout, conversations alertes que nous entrecoupions d’une relation charnelle enthousiaste bien que de facture très classique – enfin, si l’on veut – dans ses manifestations, ayant peut-être débouché sur sa concrétisation naturelle – je n’en ai jamais trop rien su mais c’est ainsi que je m’explique une éclipse de quelques mois dans notre relation, soudaine mais heureusement passagère. L’inhabituel était en fait la manière même dont cette relation progressa, à l’image de la première fois qu’elle capta mon regard alors que je ne la connaissais pas encore : me fixant, assise à deux mètres de moi, le visage empourpré et convulsé, reflétant une agitation générale du corps dont la nature ne laissait aucune place au doute, en vis-à-vis à la même table, autour de laquelle nous étions une dizaine participant au même séminaire, dans les combles du fameux C… de F… 

« Pourriez-vous imaginer que nous fassions jamais des courses ensemble dans un supermarché ? », me demanda-t-elle un jour, résumant de manière laconique mais néanmoins parlante la nature profonde de notre relation. Nous nous sommes toujours vouvoyés. Cela va sans dire.

Rosella-Minerve m’a couvert de ses ailes d’archange pour m’abriter de la méchanceté du monde, et tout particulièrement de celle des êtres humains qui le peuplent, au moment où une intervention comme la sienne était indispensable pour que je continue de vivre, car bien qu’à terre, meurtri, impuissant, les joueurs de coude aux postes de direction prenaient eux un malin plaisir à me piétiner toujours davantage, rassemblés qu’ils étaient de fait en une coalition de médiocres confédérés, ayant remplacé le pouvoir que peut offrir le talent, absent dans leur cas, par celui que procurent, combinés, l’intrigue et la collusion. J’aimerais – vous l’imaginez bien – qu’il s’agisse là de ma part, d’autant d’exagérations.

« On cherche en ville à vous clochardiser, et l’on s’imagine en voie de réussir ! », m’annonça-t-elle un jour toute guillerette, sitôt passé le seuil de ma porte. Non pas que la chose en soi la réjouisse spécialement, mais parce que, d’une part, cette horreur confirmait la représentation cynique qu’elle se faisait de ses semblables – justifiant d’une certaine manière sa propre façon de faire, et, d’autre part, parce qu’elle était convaincue qu’ils n’avaient aucune chance d’y parvenir du fait qu’elle veillait et ferait le nécessaire pour les neutraliser, parce qu’elle savait que moi, soutenu par elle et sa grandeur, nous étions plus forts – deux particules pourtant alors insignifiantes – que tout le reste du monde rassemblé. La pensée d’un éventuel échec lui apparaissait tout bonnement risible, l’échec étant à ses yeux une entité abstraite vivant sur une autre planète, étrangère au monde où elle se mouvait elle-même, où elle pliait les choses aux caprices rationnels de son bon plaisir.

Partager :

Une réponse à “« Dix-sept portraits de femmes » XXX. Rosella-Minerve

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. @Ruiz Je vais compléter ma réponse à votre question quant à savoir si l’IA révolutionnera l’humanité de manière plus importante…

  2. Joli jeu de mot, cher timiota.

  3. c’est une toile bien à rosée

  4. C’est pas moi, c’est l’autre ! « Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre…

  5. Ça va peut-être faire grimper la mémoire de stockage en flèche, non ?

  6. @Ruiz Répondre Oui à cette question, cela revient à enfoncer des portes ouvertes. Paul Jorion, mais quasiment tous les médias…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx LLM pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés Singularité spéculation Thomas Piketty Ukraine Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta