Retranscription de Paul & Stéphanie : D’où vient la souffrance ? le 18 novembre 2021.
Paul Jorion :
Bonjour, nous sommes le 18 novembre 2021 et, une fois de plus, nous sommes dans la série « Paul et Stéphanie » ? J’ai comme invitée Stéphanie Kermabon, hypnothérapeute à Vannes, et cette fois-ci, nous allons traiter du sujet : « D’où vient la souffrance ? » parce qu’effectivement, quand des gens viennent nous trouver, ils viennent en disant quelque chose, il y a une demande. Qu’est-ce qu’ils nous disent ?
Stéphanie Kermabon :
C’est ça, ils nous disent : « Je suis anxieux, rien ne va dans ma vie, je suis malheureux, je suis triste, j’ai besoin d’aide, j’ai des blocages, j’ai vécu quelque chose de difficile, je n’arrive pas à m’en sortir ».
Paul Jorion :
Voilà, et donc il y a une souffrance et nous leur promettons, nous leur laissons entendre, si nous acceptons cette demande parce que, parfois, ce qu’on entend aussi c’est : « Ma maman voudrait que je vous parle », des choses comme ça et là, nous savons que la motivation n’est pas là, ce n’est pas la motivation de la personne elle-même. Il faut que la personne nous dise qu’il y a quelque chose qu’elle veut changer chez elle. Et la question qui se pose tout de suite c’est : « D’où vient cette souffrance ? » Et là, il y a un choix multiple de choses que les gens peuvent nous dire pour d’où vient cette souffrance, des éléments qui sont pour nous des indices et qui vont nous permettre de savoir où chercher.
Stéphanie Kermabon :
C’est ça.
Paul Jorion :
Qu’est-ce qu’ils nous disent ?
Stéphanie Kermabon :
Eh bien souvent, on se rend compte que ça peut venir de la petite enfance, donc de parents toxiques, ça peut venir des frères et des sœurs… Il y a plein plein de personnes autour du patient qui peuvent graviter autour et qui peuvent être toxiques, voilà.
Paul Jorion :
Ça peut être effectivement les parents mais ça peut remonter même plus haut…
Stéphanie Kermabon :
Ah oui, dans le transgénérationnel.
Paul Jorion :
Exactement ! Ou les parents…
Stéphanie Kermabon :
Par la lignée grand-mère, grand-père…
Paul Jorion :
Exactement !
Stéphanie Kermabon :
Arrière-grand-mère…
Paul Jorion :
Voilà, des gens peuvent se trouver dans des vendettas, c’est-à-dire des conflits avec d’autres groupes, avec d’autres familles qui viennent d’une tradition qui est déjà là depuis un moment. Et là, peut-être que les parents ont essayé eux-mêmes de résoudre les problèmes de leurs parents à eux et ceux-là sont hérités ensuite… Alors, il faut débrouiller tout ça et nous voyons dans la politique française, nous voyons un monsieur qui a un rôle important en ce moment en arrière-plan, M. Eric Zemmour, qui nous explique, il l’explique de manière cohérente, qu’il vient nous expliquer sa souffrance comme venant de générations et de générations de rapports conflictuels entre sa famille au fil des siècles avec les familles qui sont autour et est-ce à nous d’essayer de résoudre des problèmes de cet ordre-là ? S’il venait nous voir, on en parlerait avec lui mais voilà, c’est quelque chose qui devient, à l’intérieur même de la société, un problème.
Alors, tu l’as évoqué toi dans le premier entretien et tu es revenue par la suite, le partenaire, la partenaire, toxique, c’est aussi une possibilité.
Stéphanie Kermabon :
Ah oui, évidemment ! Du coup, la souffrance peut venir de là mais on l’a vu… dans les épisodes précédents, que la souffrance venait surtout de ce qu’on a entendu de nous, enfin de ce qu’on peut prendre en considération par rapport à nous-même, c’est-à-dire l’estime, la confiance, l’amour de soi, ce qu’on nous a transmis évidemment aussi à l’école. Enfin voilà, il y a beaucoup de choses qui peuvent être en ligne de compte dans tout ça. Qui, du coup, induisent le fait que, par la vibration qu’on émet à l’intérieur, on vibre ce que l’on attire puisqu’on mérite ce que l’on a, voilà. C’est ce que l’on pense en tous cas.
Paul Jorion :
Et donc, si on a une image dégradée de soi-même, on va trouver en écho des gens qui ont eux-mêmes une image dégradée d’eux-mêmes et si on trouve quelqu’un de mieux que cela, parce qu’on a une image dégradée de soi-même, on va se dire : « Ce n’est pas la personne qui me convient » ou donc « C’est une personne qui n’est pas bonne non plus ». C’est ce qu’on appelle le symptôme névrotique. C’est-à-dire que si vous réussissez dans une grande épreuve et que ça devrait vous booster le moral, votre estime de soi, vous allez vous dire : « Dans ce cas-là, c’est en fait une épreuve que tout le monde pourrait réussir ». On va rétrograder l’image de l’épreuve qu’on a réussie pour la ramener à notre propre niveau et bien entendu, il y a là un cercle vicieux.
Stéphanie Kermabon :
Donc, je ne mérite pas…
Paul Jorion :
Je ne mérite pas…
Stéphanie Kermabon :
Je ne mérite pas d’être aussi bien vue, ou d’avoir un compagnon extraordinaire. Donc, qu’est-ce qu’on fait ? On sabote.
Paul Jorion :
On sabote. Il y a une vieille plaisanterie qui date des années 30 du cinéma américain, que vous avez peut-être vue. C’est une blague racontée par Groucho Marx. Il faut savoir que dans le contexte de l’époque, c’est donc… les frères Marx jouent sur leur identité juive. Ils jouent sur le fait que, effectivement, il y a un antisémitisme dans la société américaine qui fait qu’il y a des clubs qui interdisent aux Juifs de se trouver là. Et il fait une blague à ce propos-là mais c’est une blague intéressante quand il dit : « Jamais je n’accepterais de faire partie d’un club qui voudrait bien de moi comme membre ».
Bon, il fait allusion à ça, à ces clubs qui interdisent aux Juifs de se joindre, mais c’est aussi l’image de la névrose, c’est-à-dire que si un club acceptait de me prendre, ce serait un club en fait qui serait du niveau [que je m’attribue à moi-même] et donc [en réalité médiocre], et je ne pourrais pas accepter…
Il joue là-dessus mais c’est le symptôme névrotique dont il faut absolument sortir. Il faut remonter de ça : il faut remonter et en sortir par le haut bien entendu et pas tout le temps en se rabaissant ou en rabaissant le partenaire. Voilà : « Cette femme admirable que je voudrais, que je convoite, que je vais séduire ! » L’homme la séduit et aussitôt, l’image de la femme est dégradée : « Si j’ai réussi, c’est qu’elle n’est pas… », voilà, exactement…
Stéphanie Kermabon :
Tout à fait : « Elle est de mon niveau. »
Paul Jorion :
Elle est de mon niveau. Voilà, le problème ne se résout pas. Et donc là, nous pouvons aider, toi avec ta technique, moi avec la mienne, on peut aider les personnes à sortir de ça.
Stéphanie Kermabon :
On peut changer les croyances.
Paul Jorion :
Changer les croyances.
Stéphanie Kermabon :
Tellement profondes.
Paul Jorion :
Voilà, exactement.
Et maintenant, autre possibilité, un environnement de travail toxique et ça, nous en avons déjà parlé à propos du burn-out, c’est-à-dire, qu’est-ce que c’est le burn-out ? On parlait autrefois de surmenage mais on voit ce que c’est : des sociétés, des compagnies, des firmes dysfonctionnelles imposent cette incapacité de fonctionner véritablement à leurs employés ou alors, c’est délibéré dans le cas d’Orange, on s’en souvient : « Il faut se débarrasser d’un certain nombre d’employés donc on va leur rendre la vie impossible et ils vont démissionner. »
Ce à quoi ils n’avaient peut-être pas pensé au départ, c’est qu’il y en a qui allaient se suicider en se disant : « C’est moi qui n’y arrive pas, c’est une déficience en moi et je vais essayer de résoudre la question comme ça ».
Alors, ça, c’est comment dire ? c’est une chose que nous devons résoudre aussi quand les gens viennent avec une souffrance qui est une souffrance qui n’est pas liée ni à eux-mêmes, ni à leur milieu familial et quelque chose dont on ne peut pas sortir.
Stéphanie Kermabon :
Déculpabiliser et leur donner la possibilité en fait de reprendre le pouvoir et d’aller dans l’action.
Paul Jorion :
Exactement, de les aider à situer quel est le problème au niveau duquel les choses se passent. Et ce n’est pas nécessairement par un travail sur soi-même : ça peut être par un travail sur la société qui est autour de nous. Et ça, voilà, dans le contexte où nous sommes, où nous sommes de plus en plus dans une société en haltères où il y a deux grosses boules, des gens qui sont, voilà, qui ont une vie extrêmement facile, sans difficultés, des gens qui peuvent, quand il y a une épidémie comme la Covid, ils peuvent télétravailler, aller habiter à la campagne, etc. et ceux qui sont au premier rang, qui sont toujours exposés, une situation extrêmement difficile.
Bon, si quelqu’un vient nous voir avec quelque chose de cet ordre-là ou par exemple quelqu’un qui a grandi dans une pauvreté abjecte et qui se reproche des choses par rapport à son attitude et pour qui, en fait, c’est simplement le reflet de la situation dans laquelle cette personne était, nous pouvons l’aider mais en resituant le cadre, en montrant que, bien entendu, que c’est de ça qu’il s’agit, qu’il ne s’agit pas d’un travail sur soi-même qui peut aider mais nous pouvons aider avec cette information [qui est] d’offrir l’image globale…
Stéphanie Kermabon :
Oui, c’est ça, lui permettre un détachement en fait, de sentir ce détachement à l’intérieur, une forme de résilience aussi de ce qui se passe.
Paul Jorion :
Prendre de l’altitude…
Stéphanie Kermabon :
C’est ça.
Paul Jorion :
Et de savoir que peut-être, la réponse, ce n’est pas de s’accabler de quelque chose, c’est peut-être d’aller manifester, c’est peut-être d’aller voter pour quelqu’un d’autre, c’est peut-être d’écrire une lettre à son…
Stéphanie Kermabon :
L’action.
Paul Jorion :
L’action dans certaines situations : la réaction qui convient, ce n’est peut-être pas de vouloir se changer soi-même, c’est peut-être la rébellion et ça, nous devons le dire aussi.
Et dans des situations de guerre – nous avons la chance, voilà, des crises majeures, nous avons la chance, toi et moi, de n’avoir pas connu ou ne connaissant pas maintenant la guerre sur notre territoire – mais nous avons vu récemment, et y sommes encore, un fléau. Et nous voyons aussi que les gens parfois essayent de résoudre cette question de, voilà – un fléau, c’est donc quelque chose qui touche absolument tout le monde – de vouloir apporter des réponses purement individuelles alors que c’est un phénomène global et ce n’est même pas un phénomène social, c’est un phénomène biologique dans lequel on est.
Orienter des gens ou les laisser s’orienter vers des solutions purement individuelles ou de type psychologique, ça ne veut rien dire. Et quand on nous dit maintenant qu’il y a peut-être une « éco-anxiété », une anxiété liée au changement climatique, à un certain effondrement de la société, qu’est-ce que ça peut vouloir dire : « Je suis quelqu’un qui peut traiter une éco-anxiété ! », c’est-à-dire « Je vais guérir cette personne : à partir de demain, elle pensera que le problème ne se pose pas parce que je l’aurai guérie de sa peur. » Nous ne pouvons pas faire ça.
Stéphanie Kermabon :
Non.
Paul Jorion :
Nous ne pouvons pas faire ça. Je pense, et on va peut-être terminer par ça… J’ai apporté le livre parce que j’y ai pensé tout à l’heure. Il y a ce livre que vous avez peut-être vu, c’est un livre que j’ai fait autrefois, il y a une dizaine d’années, voilà, c’était il y a 10 ans avec Grégory Maklès. C’est une BD et là-dedans, il a mis pas mal de choses de conversations que nous avons eues et en particulier, voilà la planche où je suis représenté en psychanalyste et la personne qui souffre, c’est un personnage Lego. Et je ne vais pas lire tout ce que le personnage Lego dit mais il se reproche l’état du monde, il se reproche le réchauffement climatique en disant : « J’étais distrait quand ma femme m’a dit ça et du coup, j’ai mis des déchets dans la mauvaise poubelle ! ». Et donc, il s’accable absolument et qu’est-ce que je lui réponds ? J’avais expliqué à Grégory, que je m’accablais un jour vis-à-vis de mon psychanalyste, de tous les maux du monde. Et, à un moment donné, je l’ai entendu soupirer, se lever et dire d’un air excédé : « Ce n’est pas vous monsieur dans ce cas-là, c’est le monde ! ». Et ça fait partie de notre rôle aussi en tant que thérapeutes de parfois dire aux personnes : « Ce n’est pas vous, c’est le monde ! ». Et de les aider à situer où exactement dans le monde se trouve ce problème, voilà.
Quelque chose encore à dire ? Tu voulais ajouter quelque chose ? Vas-y.
Stéphanie Kermabon :
Oui, dans la souffrance, il y a aussi les traumatismes.
Paul Jorion :
Oui, on n’a pas parlé des traumatismes, c’est vrai.
Stéphanie Kermabon :
Des traumatismes, du coup, qui sont liés à un évènement. Alors, la différence entre un traumatisme et un stress post-traumatique, c’est vraiment le temps, c’est-à-dire que jusqu’à un mois, on considère que c’est un traumatisme, qu’il n’y a pas de stress post-traumatique. Par contre, quand on se rend compte que dans la vie quotidienne, il y a un dysfonctionnement, un problème, une anxiété, un stress lié à cet évènement, là, on peut parler de stress post-traumatique et donc, voilà, j’ai une technique qui s’appelle le RITMO qui peut aider à digérer le traumatisme.
Paul Jorion :
Oui.
Stéphanie Kermabon :
Voilà, par la dés-association de l’évènement, de l’émotion pardon par rapport à l’évènement.
Paul Jorion :
Oui, parce que dans le traumatisme grave, la personne continue de se réveiller la nuit en revivant l’élément traumatique et là, il faut que, de la même manière que pour un deuil, le travail de deuil doit se faire. Là, pour le traumatisme, il faut effectivement comme tu le dis qu’il soit digéré, c’est-à-dire qu’il soit assimilé, qu’il s’inscrive dans la mémoire et que, d’une certaine manière, les valeurs d’affect diminuent par rapport à cet évènement, qu’il ne soit plus revécu en permanence comme un évènement qui nous tue. Nous avons survécu bien entendu mais il continue à nous tuer intérieurement.
Stéphanie Kermabon :
J’ai le cas d’un enfant de 10 ans qui est venu me voir parce qu’en fait, il se créait des peurs, il avait des angoisses de plus en plus importantes et de plus en plus multiples pour tout, pour tout. C’est-à-dire qu’en fait, on s’est rendu compte en séance qu’il a vécu un traumatisme il y a 5 ans auparavant et que tout ce qui pouvait le ramener à ce traumatisme lui créait une nouvelle peur, c’est-à-dire que… En fait, c’est un enfant qui a été agressé par une SDF qui avait beaucoup trop bu. Ils ont vraiment été très agressés avec ses parents et ce qui s’est passé, ce qui se passait pour le petit garçon c’est qu’à chaque fois qu’il était dehors, il était très mal, il se sentait vraiment anxieux de tout. Il avait très peur qu’on puisse l’agresser à chaque moment. Même le simple fait de voir ses parents trinquer, juste prendre un verre, enfin, je veux dire, de façon classique, ça pouvait aussi lui apporter une peur et donc, il faisait des crises d’angoisse et c’est vrai qu’en désassociant du coup l’émotion de ce traumatisme, eh bien, les peurs ont été dissociées.
Paul Jorion :
Ont disparu.
Stéphanie Kermabon :
Voilà, tout à fait.
Paul Jorion :
Très bien, excellente idée d’avoir rappelé le traumatisme qui est effectivement un évènement extérieur dans l’histoire, qui n’est pas lié au milieu familial, qui est un accident et là, tu dis, bon, les parents aussi ont été impliqués dans cet incident et là aussi, on peut intervenir au niveau de la dynamique d’affect qui est la chose qui nous fait fonctionner de l’intérieur. Vas-y.
Stéphanie Kermabon :
Je dis que c’est vrai que ce qui est intéressant, c’est de se rendre compte que, quand on ne traite pas un traumatisme, il y a beaucoup de peurs qui peuvent se joindre au quotidien en fait parce que la moindre petite chose peut rappeler ce traumatisme, d’où l’importance d’aller régler ça.
Paul Jorion :
Très bien, merci. J’espère qu’une fois de plus, voilà, nous voyons qu’il y a pas mal de questions qui sont posées sur le blog après les petites vidéos. Si la formule vous convient, nous allons continuer et donc, à bientôt !
Stéphanie Kermabon :
A bientôt !
Paul Jorion :
Au revoir.
Stéphanie Kermabon :
Au revoir.

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