Paul & Stéphanie : À qui la faute ? – Retranscription

Retranscription de Paul & Stéphanie : À qui la faute ?, le 10 décembre 2021.

Paul Jorion : 

Bonjour, nous sommes le 10 décembre 2021 et une fois de plus, parce que je pense que c’est la 7e dans notre série « Paul & Stéphanie ». Au début, nous avions fait un ballon d’essai. Mais j’ai, à ma gauche, Stéphanie Kermabon qui est hypnothérapeute à Vannes et moi, Paul Jorion, qui suis psychanalyste à Vannes mais également sur Zoom, et nous explorons systématiquement les questions qui vous intéressent, et aujourd’hui, nous allons essayer de traiter « À qui la faute ? ». 

Stéphanie Kermabon : 

Voilà. Alors, à qui la faute ? Pour moi, ça peut être tout et n’importe quoi, à partir du moment où on se sent atteint de l’intérieur. Donc après, c’est vrai que c’est une difficulté pour certains patients puisqu’on n’a pas du tout été habitués en fait à reconnaître nos émotions, donc nous, on va être la personne qui va aider le patient à mettre en lumière, et du coup, à reconnaître ses émotions, donc à apprendre à se connaître, voilà. Je pense que c’est important de partir dans ce sens-là.

Paul Jorion : 

Oui, et donc la première chose pour nous, c’est de voir d’où vient la douleur parce qu’il y a des techniques qui s’adaptent à un certain type de localisation, de l’endroit d’où vient la douleur, et ça, nous allons en faire un peu le catalogue. C’est la première chose que nous allons faire : nous allons établir la liste et la localisation surtout de la cause de cette douleur qui amène une personne. Et, en fonction de ça, je dirais, dans un entretien préalable, il y a une décision à prendre de notre part : est-ce que nous pouvons traiter cela ? 

Voilà, nous allons faire un peu la liste et, en conclusion sans doute, nous évaluerons – ou alors la fois prochaine si nous avons passé beaucoup de temps aujourd’hui à faire la liste – de voir d’où vient la douleur et comment nous, l’interlocuteur de la personne qui vient avec cette souffrance, comment nous pouvons la traiter ou décider au contraire que ça ne relève pas de nos compétences. 

Stéphanie Kermabon : 

Oui. Donc, dans le catalogue, on a le non-amour, la non-estime de soi-même, le manque de confiance évidemment, le fait de ne pas se sentir légitime et on a aussi tout le domaine transgénérationnel, c’est-à-dire ce qu’on reçoit de nos grands-parents, de nos arrière-grands-parents, de nos propres parents également et ça fait effet boule de neige jusqu’à ce qu’on coupe les schémas. 

Il y a également tout ce qui vient de la fratrie, des parents, des aïeux. C’est ce qu’on vient de dire aussi dans le transgénérationnel. Et les deuils, donc les deuils qui n’ont pas été soignés, les deuils qu’on appelle « pathologiques » en fait, voilà. Tout ça, c’est important de le reconnaître, enfin de savoir, d’où vient cette souffrance en fait.

Paul Jorion : 

Oui, une chose à dire peut-être, une sorte de préalable sur tout ce qui vient d’être dit, sur cette localisation. Il faut peut-être d’abord situer, je dirais, le cadre culturel dans lequel nous sommes et là, remonter un petit peu, je dirais, dans l’histoire et s’intéresser un peu à ce que l’anthropologie peut nous apprendre. 

Nos cultures ont des configurations différentes et en particulier, il y a des cultures qui sont celles, dont on pourrait dire, en n’employant pas le terme là dans le sens de la psychiatrie, « paranoïaques », paranoïaques au sens où il y a des cultures dans lesquelles tout ce qui peut nous arriver de mal est indépendant de notre propre personne. C’est nécessairement une source extérieure et donc, il faut trouver qui est la personne, quelle est la chose qui est responsable de notre malheur et là, ce sont les cultures, vous l’avez reconnu, les cultures de la sorcellerie : « S’il m’arrive quelque chose de négatif, de nocif, de nuisible, c’est parce qu’un sort m’a été jeté par quelqu’un et il faut trouver la source et désorceler : renvoyer éventuellement le sort sur la personne qui en est responsable ». 

Ça, c’est un cadre, un cadre dans lequel on peut situer les choses et un grand nombre de sociétés humaines se sont déroulées et se déroulent toujours dans un cadre comme celui-là. Quand on s’intéresse à ça de près, comme l’a fait Jeanne Favret-Saada, on s’aperçoit en général qu’il y a beaucoup plus de désorceleurs et de désorcellements que de véritables sorciers mais comme la personne est dans un cadre où elle suppose que c’est une source extérieure, il faut essayer de traiter ça dans ce cadre-là.

Mais est arrivé un évènement historique qui est l’apparition du christianisme et là, on a une toute autre perspective : c’est celle de la culpabilité personnelle où il y a une inversion totale, où la supposition première, s’il vous arrive quelque chose qui ne va pas bien, c’est que c’est vous qui en êtes responsable. 

Notre rôle, par rapport à tout ce que tu viens de dire : le transgénérationnel, les deuils, etc., il faut que nous acceptions d’abord de situer ça dans ce cadre-là, où il faudra soit attirer l’attention d’une personne qui a tendance à dire que tout le malheur vient de l’extérieur et qu’elle n’y est certainement pour rien, de resituer ça et de lui dire : « Vous avez peut-être quand même un rôle dans cette histoire » et de faire apparaître ce rôle pour que la personne en prenne conscience et, à partir de la prise de conscience, travaille sur elle-même dans cette perspective-là. Mais, dans le cadre chrétien, le travail du thérapeute peut être, à l’inverse, de dire : « Non, vous n’êtes pas responsable de tout : il y a des choses qui sont d’un cadre extérieur. Il y a des choses qui sont du comportement de votre frère ou de votre sœur. Il y a quelque chose dans ce que votre père a dit à une époque ou votre mère a fait à une époque qui sont importants ou alors, c’est une vieille vendetta qui date de l’époque de votre grand-père ou encore avant », de pouvoir situer pour qu’il n’y ait pas, je dirais, cette interprétation excessive de, soit je n’y suis absolument pour rien par définition, ou bien c’est moi qui suis responsable de tout, que nous arrivions à faire ce travail de localisation, de dire : « C’est là que les choses se passent ! », et peut-être pas de manière entièrement explicite : il faut amener la personne à se rendre compte, voilà, que c’est là que ça se passe. 

Alors, bien entendu, il y a encore d’autres choses que ce que tu as pu mentionner comme une souffrance du type qu’on dirait « morale » mais qui est en fait les conséquences d’une douleur physique ou d’un handicap ou des choses de cet ordre-là. Là, il faut que nous puissions encadrer la personne aussi et attribuer, je dirais, les facteurs qui sont en compte.

Stéphanie Kermabon : 

Oui, parce que dans la maladie, il y a aussi l’entourage qui peut avoir peur aussi de se manifester à cette personne malade. On ne sait pas comment parler à une personne malade et du coup, c’est difficile ce lien qui ne se fait plus, ces attentes de coups de fil qu’on n’a plus quand on est malade parce que la personne en face ne sait pas se positionner tout simplement alors que le malade, il veut juste être lui. En fait, il y a la maladie et il y a lui et c’est vrai que ça, c’est quelque chose qu’on oublie.

Paul Jorion : 

Oui, ou alors quelque chose que j’ai entendu tout à l’heure, quelqu’un m’a dit : « Oui, j’ai ce problème physique mais enfin, ça n’a aucune importance ».

Stéphanie Kermabon : 

Oui, c’est ça, on s’oublie soi en fait.

Paul Jorion : 

On s’oublie soi mais le conjoint, lui, ne l’oublie pas. Le conjoint est entièrement au courant du danger. On peut dire : « Oui, moi je hausse les épaules vis-à-vis de ça » mais la famille autour, elle ne va pas nécessairement hausser les épaules de la même manière.

Stéphanie Kermabon : 

Mais c’est ce qui aide le malade à se détacher un peu de la maladie, c’est justement… voilà, j’ai été malade donc je peux en parler. Voilà, il y a Stéphanie, la personne qui est Stéphanie et la maladie. Et c’est vrai que moi, c’est vraiment ce qui m’a aidée en fait, de me détacher de la maladie. Alors, oui, elle est là, on n’est pas dans le déni. Simplement, quand on nous pose la question : Est-ce qu’on va bien ? Oui, la maladie, elle suit son cours mais moi, je vais bien. Moi, je continue à faire mes activités et c’est ça qu’on a tendance à oublier. La maladie fait peur en fait, elle repousse. 

Paul Jorion : 

Oui. Nous avons lu un témoignage d’un commentateur sur le blog qui parlait de, voilà, de travail avec des personnes extrêmement handicapées et moi, j’étais là à dire : « Très difficile, très difficile » et la personne disait : « Non, en fait, il y a moyen à l’intérieur même, dans des cas extrêmement difficiles, de cet ordre-là, de vivre des choses…

Stéphanie Kermabon : 

Différemment.

Paul Jorion : 

Différemment, voilà.

Stéphanie Kermabon : 

En se détachant.

Paul Jorion : 

Voilà, pas nécessairement avec une joie absolue ni avec un bonheur absolu mais de faire différemment comme tu dis, à l’intérieur de ce cas. Et là, ça nous conduit à une question supplémentaire, c’est que la personne que nous avons en face de nous, elle n’est pas l’entièreté du problème. Il y a des choses qu’on peut traiter avec elle mais il y a des cas où nous devons dire, n’est-ce pas : « Ce serait mieux si votre conjointe était là aussi », « Ce serait mieux si vos enfants étaient là aussi dans la conversation », n’est-ce pas ?

Stéphanie Kermabon : 

Oui, tout à fait : ça fait partie plutôt des thérapies familiales. Ce qui fait qu’on a davantage besoin de faire venir la famille pour mieux comprendre ce qui se passe en inter.

Paul Jorion : 

Oui, en inter, ou de couple. Parce que, qu’est-ce que nous faisons nous ? Nous sommes un tiers, nous sommes un « tiers impartial » comme on dirait dans le domaine juridique, vis-à-vis de la personne qui s’adresse à nous. Nous ne sommes pas là pour dire : « Oui, je suis de votre côté contre votre épouse, etc. ». Non, ce n’est pas pour ça qu’on est là. On est là pour situer, pour être des représentants… on fait un peu comme le Ministère public, de la société en général. 

Mais il y a des situations particulièrement tendues à l’intérieur des couples où il n’est pas mauvais qu’il y ait un « tiers impartial » comme, par exemple, dans la technique du psychodrame où on demande aux personnes qui sont dans une situation tendue l’une vis-à-vis de l’autre d’inverser les rôles : « Toi, tu vas être le mari et toi, tu vas être la femme », on va inverser ça. Et dans des cadres comme ça où il y a en général quelques personnes autour qui vont prendre leur tour dans ces jeux de rôle, ces personnes-là jouent un peu le rôle de la société en général, qui va dire, qui va reconnaître que telle ou telle personne parmi les deux n’est pas nécessairement de bonne foi quand elle dit ceci ou cela et ça, ça joue..

Stéphanie Kermabon : 

Et de s’entendre en fait…

Paul Jorion : 

Et de s’entendre, parce que la première réaction souvent quand il y a un psychodrame, c’est la personne qui dit : « Mais non, je suis pas du tout comme ça ! » à l’autre, et l’autre dit : « Si, si, c’est comme ça que tu es. Tu ne te vois peut-être pas toi-même comme ça mais voilà ». 

Stéphanie Kermabon : 

Ça permet de voir le miroir.

Paul Jorion : 

Comme une personne qui me dit souvent : « Je m’aperçois que mes paroles ne sont pas exactement ce que j’entends dire », oui mais l’autre entend ce que tu dis et pas ce que tu as l’intention de dire en vérité, voilà. Donc, savoir si la personne qui vient nous voir, si ça suffit comme cadre dans lequel on peut résoudre le problème qui se pose et c’est à nous, voilà, de pouvoir orienter, je dirais, quitte à faire en partie, de dire : « Voilà, j’aimerais bien maintenant parler à votre sœur » parce qu’il y a un conflit avec la sœur et puis de revenir à la personne en disant : « Voilà, j’ai compris. Voilà ce que votre sœur a dit » et la personne peut réagir à ça. Elle peut elle-même, avoir une discussion du coup avec sa sœur, essayer, voilà, de faire avancer les choses. 

Et puis, dernière décision que nous devons prendre, avec les techniques dont nous disposons nous à titre individuel, toi l’hypnothérapie, RITMO, le genre de choses que tu peux faire, moi avec la psychanalyse, éventuellement transformer ça à l’occasion en thérapie de couple ou en thérapie familiale : est-ce que ce sont les outils qui correspondent à la situation ? 

Stéphanie Kermabon : 

C’est ça, il faut évaluer en fait si on est à même d’aider ou pas la personne qu’on a en face de soi.

Paul Jorion : 

Oui. Et en fait, nous en avons déjà parlé, il y a des situations où c’est l’environnement de travail lui-même qui est responsable. Nous avons parlé d’Orange et du burn-out dans ce cadre-là. C’est un environnement de travail qui s’était défini comme : « Il faut qu’un certain nombre de personnes démissionnent ! », et les personnes ne se rendent pas compte nécessairement que c’est ça qui est en train de se passer ou alors elles le nient parce qu’elles aiment leur travail, parce qu’elles ont envie de travailler dans cet environnement-là.

Stéphanie Kermabon : 

Là, c’est la toxicité qu’on ne peut pas palper en fait.

Paul Jorion : 

Qu’on ne peut pas palper. Il faut que la personne devienne consciente que le problème est un problème du cadre général et pas simplement d’elle. Même chose pour les gens qui viennent nous voir pour des questions que je vais appeler très pudiquement pour commencer « les disparités de revenus » et qui sont en fait, qu’on pourrait appeler de manière un peu plus directe, la pauvreté ou la misère. Ce sont des données ça, surtout dans un cadre, je dirais, chrétien où on a tendance à s’attribuer la culpabilité. En plus, dans une civilisation comme la nôtre où on essaye de culpabiliser les gens sur leur pauvreté ou sur le fait qu’il y ait des accidents dans la vie, ou le fait qu’ils aient eu de la malchance. On leur dit : « Vous êtes sûrement responsables de ça d’une certaine manière ». C’est à nous de faire apparaître en surface ce qui est la vérité d’une situation.

Stéphanie Kermabon : 

Oui.

Paul Jorion : 

Voilà. Alors, il faudra encore parler du rôle du thérapeute par rapport à tout ce que nous venons de dire mais je crois qu’on va peut-être voir ça pour une prochaine fois et qu’on a déjà pas mal fait en faisant un relevé. On a un relevé de : « À qui la faute ? » et donc savoir où s’adresser : à la personne elle-même ou bien élargir le cadre et, en tout cas, de situer ce qui est sa souffrance à elle à l’endroit précis où elle a lieu, où sa cause se trouve ou ses causes parce que ça peut être de nombreux facteurs. Il peut y avoir des problèmes personnels + des problèmes de couple + la misère en plus. Les facteurs peuvent aussi s’ajouter les uns aux autres. Voilà.

Stéphanie Kermabon : 

Oui.

Paul Jorion : 

On est d’accord sur la conclusion, pour la prochaine fois ?

Stéphanie Kermabon : 

Voilà. On verra ça.

Paul Jorion : 

C’est ce qu’on va faire, très bien. Donc, on vous dit au revoir et à bientôt !

Stéphanie Kermabon : 

Au revoir. 

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3 réponses à “Paul & Stéphanie : À qui la faute ? – Retranscription”

  1. Avatar de naroic
    naroic

    A qui la faute ? – quand on est né dans un environnement toxique, très tôt on comprend que c’est pas de faute dont il est question, mais de fatalité – la vie pour la grande majorité est une histoire dramatique, et c’est toujours pour ceux qui suivent qu’on essaie de sauver les meubles ( les enfants, conjoint….) La psychanalyse c’est un beaume pour ceux qui ont des états d’âmes, contre le dramatique il n’y a que l’amour ou l’héroïsme pour panser la plaie, et quand j’évoque l’héroïsme, l’élimination de soi même quand nous devenons destructeurs y partcipe.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Vous avez dû rater l’une de nos vidéos précédentes :

      Qu’est-ce qui nous guérit ? (L’amour), le 3 décembre 2021

      1. Avatar de naroic
        naroic

        Yep, l’amour, mais celui-là est bien souvent attiré par la lumière, quand il n’émane pas d’une mère 🙄, l’amour c’est un billet de loto gagnant pour ceux dégradés même dans leur capacité d’aimer, ceux qui sont même pas les figurants du monde spectaculaire. Faut-il encore être aimable pour être aimer, comme être en capabilté comme diraient certains.

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