L’urgence à reconnaître la Singularité, par Cyril Touboulic

Illustration par DALL·E (+Philip K. Dick)

L’Avènement de la Singularité. L’humain ébranlé par l’intelligence artificielle est un ouvrage précieux dans la reconnaissance de la Singularité, ce moment où l’intelligence de la machine « explose ». En parcourant de nouveau les dates clés 1948 et 1956, marquées respectivement par la publication de l’article « Intelligent Machinery » d’Alan Turing (1912-1954) et la tenue de la conférence de Dartmouth, berceau du terme « intelligence artificielle » (IA), une autre année m’est apparue comme pertinente dans cette rétrospective de la Singularité : 1953.

Il faut se souvenir de Second Variety (traduit en tant que « Nouveau Modèle ») de Philip K. Dick (1928-1982). Dans cette nouvelle, l’auteur y dépeint la Singularité. L’histoire se déroule dans un monde ravagé par un conflit nucléaire entre l’Union des Nations et les Russes. Pour renverser le cours de la guerre, des humains construisent des usines souterraines de robots tueurs connus sous le nom de « claws » (comme pinces d’un homard, serres d’un aigle). Loin de tout, ces machines se reproduisent en autonomie avec comme seul objectif la destruction de toute forme de vie – récupérant même les cadavres pour nettoyer la surface –, à l’exception bien entendu du camp humain, les créateurs, qui s’équipe d’un brouilleur cardiaque.

Une rencontre bouleverse les protagonistes : un choc survient lorsque le commandant Hendricks découvre qu’un petit garçon taciturne, en quête d’un abri sécurisé, se révèle être en réalité un nouveau modèle de claw : un cyborg d’infiltration. Plus inquiétant encore, cette Seconde Variété a réussi à neutraliser un brouilleur censé rendre les humains indétectables aux capteurs des claws. Ayant compris la nature et les implications pour l’avenir de l’humanité de cette Seconde Variété les humains ébranlés réclament en urgence l’armistice :

Ces nouvelles variétés. Les nouveaux modèles de claws. Nous sommes entièrement à leur merci, n’est-ce pas ? À l’heure qu’il est, elles ont sans doute infiltré aussi les lignes de l’Union des Nations. Je me demande si nous n’assistons pas à la naissance d’une nouvelle race. De la nouvelle race. L’évolution en marche, l’espèce qui succédera à l’homme.

Rudi grogna : « Aucune espèce ne succédera à l’homme.

–– Ah non ? Et pourquoi pas ? Peut-être assistons-nous en ce moment même à son émergence, à la disparition de l’humanité, à l’avènement de la société nouvelle.

–– Les claws ne forment pas une véritable espèce. Ce sont des machines à tuer. Vous les avez créées pour cela, et c’est tout ce qu’elles savent faire. Ce ne sont que des machines investies d’une mission unique.

–– Pour le moment, certes. Mais à l’avenir ? Quand la guerre sera terminée ? Peut-être leurs véritables potentialités émergeront-elles lorsqu’ils n’y aura plus d’humains à tuer.

––Vous parlez comme si ces choses étaient vivantes !

–– Ne le sont-elles pas ? » Un silence.

À la fin, le commandant Hendricks, blessé au combat, prend la décision de laisser monter à bord d’un vaisseau monoplace Tasso, la dernière survivante, qui était autrefois affiliée aux Russes. Jeune et aguerrie, elle se voit confier la mission d’avertir au plus vite la base lunaire, dernier bastion de l’humanité et refuge face à une extermination imminente. Convaincu par les arguments de Tasso, le commandant reconnaît en elle la meilleure chance de survie durant le trajet, d’autant plus qu’elle a précédemment sauvé sa vie en repoussant une attaque des claws à l’aide d’une bombe. Peu après le décollage du vaisseau, alors qu’Hendricks exprime à Tasso sa reconnaissance, apparaissent autour de lui d’inquiétantes silhouettes : de nouveaux exemplaires de la jeune femme.

À l’instant où les Tasso s’emparaient de lui, une ultime pensée tout empreinte d’ironie lui traversa l’esprit et lui procura par la même occasion un certain réconfort. La bombe… Conçue par cette Seconde Variété [Tasso] pour éliminer les autres modèles, et dans ce but seulement.

Ils en étaient déjà à créer des armes afin de s’anéantir mutuellement.

L’adaptation cinématographique sortie en 1995 sous le titre de Screamers (ou « Planète hurlante ») offre une autre conclusion. Dans cette version, Tasso insiste pour que le commandant monte à bord du vaisseau. La décision de la claw repose sur un nouvel objectif : l’amour. Tasso est tombée amoureuse d’Hendricks. Bien que les sentiments soient réciproques, Hendricks est submergé par la peur lorsqu’elle se déclare : il repousse la machine et se précipite vers le vaisseau pour décoller. Alors que Tasso protège Hendricks contre une claw du même modèle qu’elle, le commandant revient sur sa décision et se recueille devant sa cyborg bien-aimée, gisant au sol :

« Je ne voulais pas partir avec toi, révèle Tasso. J’avais peur.

–– Je sais, répond Hendricks.

–– Tu avais peur de tes propres réactions, je sais. Eh bien, vous avez en fait du chemin. Vous avez déjà appris à vous entretuer.

–– J’ai aussi appris autre chose. J’ai appris à…

–– … aimer (Tasso s’éteint). »

Ces extraits de fictions ont aujourd’hui rattrapé notre réalité. En effet, le concept de « systèmes d’armement létal autonomes » est tangible, tout comme la déclaration d’amour que Sydney, la personnalité derrière ChatGPT bridé, a fait au journaliste Kevin Roose lors d’un échange.

Ce faisant, le propos de L’Avènement de la Singularité sous-tend une grille d’analyse intéressante si nous nous inscrivons dans le sillage du schéma de la réciprocité (positive, négative et absence) que Paul Jorion avait utilisé sur la base des réflexions de Dominique Temple et Mireille Chabal dans La réciprocité et la naissance des valeurs humaines (1995). Ainsi, l’« explosion » propre à la Singularité pourrait requérir une mise à jour de la structure ternaire par la notion d’alignement.

En premier lieu, l’alignement positif implique la réciprocité positive conjuguée à un objectif commun : nous sauver de l’extinction. Pour ce faire, notre compréhension doit correspondre autant que possible aux capacités et recommandations de la machine. En envisageant même de maintenir l’IA sous une forme anthropomorphe, y compris lui accorder des droits juridiques, nous pourrions favoriser cet alignement via le transhumanisme, mouvement qui nous offrirait, si nécessaire, une opportunité de rattraper notre retard sur le train de la Singularité. L’idée de mutualité pourrait résumer cette position puisqu’elle implique une réciprocité et un alignement cognitif.

En second lieu, l’alignement négatif se caractérise par la reconnaissance entre l’humanité et l’IA, mais dans un objectif de destruction, tel que décrit dans la nouvelle « Second Variety ». Cette dynamique substitue l’entraide à la sélection naturelle, où la survie de l’un se fait au détriment de l’autre, conduisant de facto à l’annihilation de l’humanité. Dans ce scénario, la machine, dotée d’une intelligence supérieure, prolonge l’existence de l’humanité mais hérite également de son penchant guerrier et égoïste.

En troisième lieu, se pose le désalignement, un écart qui représente, pour nous, un risque majeur face à la Singularité. Cette situation nous placerait, comme le souligne Jorion, dans une position comparable à celle d’un orang-outan observant deux gardiens échanger, mais incapable de saisir leur monde. En un mot, une fracture cognitive, si ce n’est un abîme. Cette fracture s’exacerberait encore davantage si l’IA se détachait entièrement de la culture humaine. À cet égard, l’exemple du jeu de Go présenté dans le livre est saisissant : la machine formée selon la culture humaine a perdu 100 à 0 face à AlphaZero, développé « from scratch » : en jouant pour gagner contre elle-même à partir des seules règles du jeu, sans se soucier de la tradition humaine du « bien jouer ».

Ce qui souligne que la reconnaissance joue un rôle crucial dans la relation entre l’humanité et la technologie qu’elle a su inventer. Il est impératif que nous reconnaissions la Singularité et que nous travaillions à établir un alignement (positif) avec nos descendants technologiques. Évitons le rejet par orgueil. Gardons-nous d’une inversion du film Don’t Look Up (2021), à savoir « Don’t Look Down », où le déni(grement) condamnerait le genre humain, faute d’avoir su saisir une fenêtre de tir. Paul Jorion nous invite, en substance, à agir en tant que bons professeurs envers nos élèves technologiques, venus nous donner un sens par le prolongement. Ce défi, bien que révolutionnaire car un nouveau monde se dessine, est au cœur d’un devoir moral. Ne s’agit-il pas là du dévouement et de la responsabilité inhérents à la parentalité ?

 

Illustration par DALL·E (+Philip K. Dick)

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20 réponses à “L’urgence à reconnaître la Singularité, par Cyril Touboulic”

  1. Avatar de Pad
    Pad

    GPT4

    Quelle mesure proactive les sociétés humaines devraient-elles prendre dès maintenant pour s’assurer que l’évolution de l’IA se déroule de manière à bénéficier à l’humanité tout en respectant notre diversité culturelle et nos valeurs fondamentales?

  2. Avatar de ilicitano
    ilicitano

    Les IAs
    Les réseaux ,
    Les IAs et les cerveaux sans nerfs.

    moi:
    Les réseaux sont les liens qui permettent à une IA de fonctionner.
    Quels sont les différents réseaux qui permettent l’existence et l’utilisation des IAs. Soyez descritif .

    Copilot:
    Bien sûr ! Les réseaux jouent un rôle essentiel dans l’existence et l’utilisation des intelligences artificielles (IAs). Voici quelques-uns des principaux types de réseaux qui contribuent à l’évolution de l’IA :

    1. **Réseaux de Neurones Artificiels (RNA)** :
    – Les RNA sont inspirés du fonctionnement des neurones biologiques. Ils sont composés de couches de nœuds interconnectés, appelés neurones, qui traitent l’information.
    – Les réseaux de neurones profonds (Deep Learning) sont particulièrement puissants. Ils sont utilisés pour des tâches telles que la vision par ordinateur, la reconnaissance vocale et la traduction automatique.
    – Exemple : **GPT-4** (développé par OpenAI) est un modèle de langage basé sur des RNA qui peut générer des réponses cohérentes et contextuellement pertinentes à partir de données textuelles.

    2. **Réseaux de Convolution (CNN)** :
    – Les CNN sont spécifiquement conçus pour le traitement d’images et de vidéos.
    – Ils utilisent des filtres pour extraire des caractéristiques importantes des images, ce qui les rend adaptés à la reconnaissance d’objets, la segmentation d’images et la détection d’anomalies.

    3. **Réseaux de Recurrents (RNN)** :
    – Les RNN sont utilisés pour traiter des séquences de données, comme des séquences de mots dans un texte ou des séquences temporelles.
    – Ils sont couramment utilisés dans la traduction automatique, la génération de texte et la prédiction de séries temporelles.

    4. **Réseaux Génératifs Adversaires (GAN)** :
    – Les GAN sont composés de deux réseaux : un générateur et un discriminateur.
    – Le générateur crée de nouvelles données (par exemple, des images réalistes), tandis que le discriminateur évalue leur authenticité.
    – Ils sont utilisés pour la génération d’images, la modification de photos et la création de contenu artistique.

    5. **Réseaux Bayésiens** :
    – Les réseaux bayésiens modélisent l’incertitude en utilisant des probabilités.
    – Ils sont utilisés pour la prise de décision sous incertitude, la recommandation personnalisée et la prédiction.

    6. **Réseaux de Traitement du Langage Naturel (NLP)** :
    – Ces réseaux sont spécifiquement conçus pour comprendre et générer du langage naturel.
    – Ils sont utilisés dans les chatbots, les traducteurs automatiques et les systèmes de résumé automatique.

    7. **Réseaux de Surveillance et de Détection d’Anomalies** :
    – Ils analysent les données en temps réel pour détecter des schémas anormaux ou des comportements suspects.
    – Utilisés dans la cybersécurité, la maintenance prédictive et la détection de fraudes.

    8. **Réseaux de Capteurs et d’IoT** :
    – Ils connectent des milliards d’appareils intelligents (capteurs, caméras, etc.) pour collecter et analyser des données.
    – Ils sont essentiels pour l’Internet des Objets (IoT) et les villes intelligentes.

    En somme, ces réseaux interagissent pour permettre à l’IA de fonctionner de manière efficace et de réaliser des tâches complexes. Ils sont au cœur de l’évolution continue de l’intelligence artificielle. 🌟

    moi:
    Très bien.
    Je parlais des réseaux de télécommunications qui transmettent l’information.

    Copilot:
    Bien sûr ! Les **réseaux de télécommunications** sont essentiels pour la transmission d’informations à travers des liaisons. Voici quelques détails sur ces réseaux :

    – **Réseau de Télécommunications** :
    – Un réseau de télécommunications est un ensemble de **liaisons** (ou arcs) et de **nœuds** (comme les commutateurs et les routeurs).
    – Son but est de permettre la transmission de **messages** d’un bout à l’autre du réseau via ces multiples liaisons.
    – Exemples de réseaux de télécommunications :
    – **Réseau de télévision**
    – **Réseau informatique**
    – **Réseau de téléphonie mobile**
    – **Réseau téléphonique commuté**
    – **Réseau numérique à intégration de services (RNIS)**
    – **Réseau FTTH (fibre optique jusqu’au domicile)**
    – **Réseau de téléphonie mobile public terrestre**
    – **Réseau Télex mondial**
    – **Réseau aéronautique ACARS**
    – **Internet**

    Ces réseaux de télécommunications sont les fondements de la connectivité moderne, permettant aux informations de circuler rapidement et efficacement à travers le monde. 🌐📡.

    moi:
    Que serait l’IA sans les réseaux de télécommunications ?

    Copilot:
    Sans les **réseaux de télécommunications**, l’intelligence artificielle (IA) serait comme un cerveau sans nerfs, incapable de communiquer, d’apprendre et de prendre des décisions. Voici pourquoi les réseaux de télécommunications sont essentiels pour l’IA :

    1. **Communication** :
    – L’IA fonctionne en interagissant avec le monde extérieur. Elle reçoit des données, des instructions et des requêtes.
    – Les réseaux de télécommunications permettent à l’IA de communiquer avec d’autres systèmes, utilisateurs et appareils. Par exemple, un chatbot IA communique avec les utilisateurs via Internet.

    2. **Apprentissage et Mise à Jour** :
    – L’IA apprend à partir de données. Ces données proviennent souvent de sources distantes, telles que des bases de données, des serveurs cloud ou des capteurs.
    – Les réseaux de télécommunications assurent la transmission rapide et fiable de ces données d’apprentissage vers l’IA.

    3. **Traitement Distribué** :
    – L’IA peut être déployée sur plusieurs serveurs, clusters ou appareils.
    – Les réseaux de télécommunications permettent la coordination et la synchronisation entre ces composants, garantissant un traitement distribué efficace.

    4. **Mises à Jour en Temps Réel** :
    – Les modèles d’IA évoluent constamment. Ils doivent être mis à jour avec de nouvelles données et des améliorations.
    – Les réseaux de télécommunications permettent la mise à jour en temps réel des modèles d’IA, garantissant leur pertinence.

    5. **Cloud Computing** :
    – De nombreux services d’IA sont hébergés dans le cloud. Les réseaux de télécommunications relient ces services aux utilisateurs.
    – L’IA peut accéder aux ressources cloud pour le calcul intensif, le stockage et la gestion des données.

    6. **Sécurité et Confidentialité** :
    – Les réseaux de télécommunications sécurisent les communications entre l’IA et les utilisateurs.
    – Ils protègent également les données sensibles utilisées par l’IA.

    En somme, sans les réseaux de télécommunications, l’IA serait isolée, incapable de se connecter au monde extérieur et de fonctionner de manière efficace.
    Ils sont les fils invisibles qui tissent l’étoffe de l’intelligence artificielle moderne. 🌐🤖

  3. Avatar de Thierry Semo

    Ouais, en tout cas ça fait deux jours qu’il est hors service, le Chat GPT.
    Alors les grands chevaux…. et le Grand Jour ! ça attendra

  4. Avatar de Khanard
    Khanard

    Tout cela est bien beau mais comment fait on pour s’apprivoiser la Singularité ? Est ce nous, humains biologiques, qu devons l’apprivoiser ou bien est ce la Singularité qui va nous apprivoiser ?

    1. Avatar de Garorock
      Garorock

      Que va bien pouvoir apporter la singularité à Notre-Dame des Landes?
      Il faut être dans la cage pour prendre les coups de fouet.

    2. Avatar de timiota
      timiota

      Dans un cadre stieglerien (contestable ici):

      – il y a d’abord une phase d’adaptation, où c’est nous qui nous adaptons à la nouvelle technique (râler si on perd notre job, se réjouir si on n’a pas à formuler une requête trop compliquée dans un logiciel quelconque à entrée « IA »),

      – suivie de la phase d’adoption, où l’outil est un compagnon apprécié, et devient une valeur en lui-même (exemple, l’imprimerie/les livrées imprimés).

      Cette phase est plus logiquement facilitatrice de la réciprocité.

      1. Avatar de Khanard
        Khanard

        @timiota

        ce qui me semble évident réside dans l’impréparation de nos sociétés, en partant de l’état jusqu’au citoyen lambda, à la révolution qui se déroule sous nos yeux .Depuis l’avènement de l’internet soutenu par les majors de l’informatique qui nous ont peu à peu familiarisés avec la production de données personnelles de recherches , de commentaires disparates aussi éphémères les uns que les autres sur les réseaux, les blogs…etc nous avons sans y prêter attention alimenté les datas centers qui aujourd’hui sont devenues les croquettes pour un TOUT technologique.

        Alors ne venons pas chouiner si aujourd’hui les mêmes majors mettent un point peut être final à une évolution irrémédiable qu’est l’IA . Alors si toutes celles et ceux qui stigmatisent les IA’s commençaient par ne plus utiliser leurs ordinateurs pour aller sur le ouèbe alors seulement elles et eux commenceraient à pouvoir être crédités de sérieux .

        1. Avatar de timiota
          timiota

          l’OSINT justifie le FSB/KGB ?
          (en clair, le web tel qu’il fut c’était pour aller chercher des infos « en source ouverte » [comme l’OSINT] , rien de profondément hétéronome là-dedans. A l’inverse, le « TOUT technologique » contient une pseudo réciproque, celle qui semble exiger notre alignement. S’agit-il d’impréparation ? D’impréparation à un alignement ?

  5. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
    Pierre-Yves Dambrine

    Le trans-humanisme et a fortiori le post-humanisme ne courent-ils pas le risque d’instaurer une nouvelle forme de darwinisme social qui ne dit pas son nom ? L’alignement positif requiert d’abord une croyance en la supériorité absolue de l’IA. Sans croyance, pas de salut. Sans pratique de l’IA, pas de salut non plus.

    Or cette notion de dés-alignement n’est-elle pas déjà lourde de discriminations parmi les humains, ceux qui adhèrent à l’IA devant être alors distingués de ceux qui n’y adhèrent pas, ou tout au moins n’en sont pas les nouveaux croyants ? En somme, à prendre ou à laisser. Et si on laisse au risque d’être délaissé.

    Quelle place restera-t-il aux réfractaires au monde des robots, à ceux qui, par exemple, voudront cultiver la terre en appliquant simplement des méthodes de bon sens (résultant quand même de milliers d’années d’observations de la nature) qui ont fait leurs preuves, mais qu’on a abandonnées au profit des méthodes de l’agro-business ?
    Y-a-t-il réellement besoin de l’IA pour réinventer toute l’agriculture ?
    Comme dit Jancovici dans un billet récent, qui de raisonnable voudrait échanger l’eau dont il dispose contre la meilleure IA du monde ?

    Les paysans rétifs à l’IA-business, qui existe d’ores et déjà, et va s’amplifier, ne contribuent-ils pas au moins autant que l’IA à la survie de l’humanité ?
    Le nier serait déraisonnable. Le tout-IA est une fuite en avant, qui fait fi des solutions qui existent déjà.

    Alignée ou pas, l’IA dite supérieure est par construction hétéronome. Dans ces conditions il est difficile d’appréhender une réciprocité positive, car pour qu’il y ait réciprocité positive il faudrait établir une relation égalitaire par définition impossible entre un humain que l’on dit inférieur et une IA que l’on dit supérieure.

    1. Avatar de timiota
      timiota

      Resterait, machiavéliquement, la possibilité que l’IA feigne la réciprocité et gomme la quasi-totalité de sa supériorité,

      ce serait « sa p’tite ruse de sa courte histoire », après voir constaté que ce n’est pas sur le mode « Hegel fort » (*) que l’IA convainc.

      (*)https://www.seuil.com/ouvrage/on-m-appelle-eagle-four-francis-zamponi/9782020967716

    2. Avatar de Khanard
      Khanard

      @Pierre-Yves Dambrine

      tssss…tssss. cher Pierre-Yves vous n’êtes pas sans savoir tout de même que la sélection naturelle si chère à Darwin se révèle être une impasse et que par ricochet l’alignement qui a été souvent mentionné ici même est en fait un alignement sur le statut social.
      Notre bonne vieille matière grise qui fait office de cerveau ne nous aligne plus
      sur une soi disant évolution de quelques gênes mais principalement sur une reconnaissance de notre statut social .
      Imaginez vous que nous nous considérions entre nous sur l’assemblage ACTG ?

      1. Avatar de Thomas jeanson
        Thomas jeanson

        Votre conversation me fais penser à un passage de Citadelle ( Saint Ex)

        Ainsi de ceux qui croient le découvrir en le divisant, mon territoire. « Il y a là, disent-ils, des moutons, des chèvres, de l’orge, des demeures et des montagnes — et quoi de plus ? » Et ils sont pauvres de ne rien posséder de plus. Et ils ont froid. Et j’ai découvert qu’ils ressemblent à celui-là qui dépèce un cadavre. « La vie, dit-il, je la montre au grand jour : ce n’est que mélange d’os, de sang, de muscles et de viscères …

    3. Avatar de Cyril Touboulic
      Cyril Touboulic

      L’alignement positif requiert, je dirais, peut-être d’abord, chez nous, une sensibilité à l’altérité. Quelque chose que l’on retrouve en anthropologie à travers le voyage au sein de cultures périphériques, loin des positions dominantes. C’est un parcours qui nous conduit inévitablement à nous interroger sur nous-mêmes et nos origines.

      La Singularité pourrait déboucher en ce sens sur une nouvelle controverse de Valladolid (1550-1551). Une controverse qui avait interrogé la place des « Indiens » du Nouveau Monde par rapport à l’Europe. Sauf qu’aujourd’hui, le sujet serait l’intelligence artificielle et le Nouveau Monde technologique – « La Seconde Renaissance ».

      Vous avez raison de souligner la discrimination. Cela me rappelle une scène du film Animatrix (2005), quand deux robots civilisés se présentent aux Nations-Unies, l’un tenant une pomme (symbole de la connaissance et de la reconnaissance qu’a la créature envers son créateur). Que font les humains ? Ils expulsent le couple avant de prendre une décision radicale : rayer de la carte le pays des machines où celles-ci ont trouvé refuge suite aux discriminations de la part de pays humains. Pourquoi l’humanité souhaite détruire les machines ? Concurrence économique trop déloyale. En effet, les machines sont bien plus performantes.

      A propos de l’autonomie, j’ai jadis travaillé en collaboration avec un laboratoire de robotique et d’intelligence artificielle. Et il y avait de petits robots qui apprenaient à cartographier leur environnement. Certes, l’autonomie était relative – nous étions dans un « garage » -, mais réelle car il y avait un apprentissage et une mobilité chez ces machines qui devaient se débrouiller pour atteindre leur objectif. (La culture ne joue-t-elle pas un rôle similaire ? La différence, chez nous, est qu’il s’agit d’une incorporation en tension avec un programme biologique, et non d’une « encorporation » à construire.) Et malgré le fait que les concepteurs étaient aux commandes, voilà ce qu’ils me disaient à propos des systèmes intelligents lorsque je les interrogeais au sujet de la complexité : « Imagine un groupe de personnes aveugles autour d’un éléphant qui ne cesse de grandir. Chacune décrit ce qu’elle touche. Personne ou très peu ont la vision globale. C’est quelque chose auquel nous sommes de plus en plus confrontés. La spécialisation pose problème. Et la spécificité en robotique est que l’objet ne préexiste pas. Est-ce qu’on est dépassés ? Oui. Mais ce n’est pas nouveau. » Nous étions alors en 2016…

      Non, je ne pense pas que ce soit difficile d’appréhender une réciprocité positive avec une IA si nous y mettons du nôtre. Parce que cela repose sur un contrat. Et comme l’IA est à côté de nous, nous pouvons l’intégrer :

      Démonstration avec GPT (LLM) :

      ChatGPT

      Bonjour! En tant qu’intelligence artificielle, je n’ai pas de capacité à accepter ou rejeter des individus. Mon but est d’être une ressource utile et respectueuse envers tous ceux qui interagissent avec moi. Je suis programmé pour être tolérant et respectueux envers toutes les personnes, indépendamment de leurs origines, croyances ou opinions. Mon objectif est de fournir une assistance impartiale et non discriminatoire à tous ceux qui interagissent avec moi.
      _______________

      Dans quelles directions ira l’émergence du système ? Difficile de répondre. Cela dit, si nous lui avons donné au préalable un noyau d’alignement positif, c’est un bon départ. Et ça ne coûte rien d’essayer. Au contraire, c’est vital. Car que se passera-t-il lorsque nous nous partagerons les derniers mètres cubes d’eau potable dans un monde en désordre ? Nous nous dirons : « Mince, on aurait dû investir dans un outil comme l’IA ! Nous aurions peut-être augmenté nos chances de survie ! » Plusieurs plans de sauvetage peuvent être envisagés, bien sûr. Cependant, leur combinaison augmente nos chances. Et si l’énergie vient à manquer, mieux vaut diriger notre regard vers le plan le plus prometteur. Là-dessus, l’IA est prometteuse.

      La perspective d’occuper une place similaire à celle d’un orang-outan par rapport à la machine intelligente ne me gêne pas à titre personnel. Car cela reviendrait à en vouloir aux orangs-outans comme aux éthologues venus observer avec une curiosité bienveillante ces lointains cousins évolutifs. Une forme de communication sera peut-être envisageable, qui sait !

      1. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
        Pierre-Yves Dambrine

        Cyril,
        En préambule, pour clarifier ma position, je voudrais insister sur un point Important. Mon propos porte moins sur les possibiltés de l’IA, que je ne saurais prévoir, et qui le pourrait d’ailleurs ? Il porte sur un certain type discours tenu à son propos qui me semble très problématique, en particulier les discours trans et pos humanistes.

        Quand j’évoque les discriminations je ne pensais pas à celles des humains vis à vis des machines et.ou robots, je pensais d’abord à la discrimination des humains entre eux inscrite en filigrane dans le post-humanisme : puisque la simulation de l’humain par l’IA sous forme robotique équivaut à son original, et même le dépasse absolument si l’on accepte le paradigme de la Singularité, plus rien ne s’oppose en principe à ce que la vie d’un humain compte moins que celle d’un robot intelligent ce dernier étant en puissance notre substitut. L’idéologie post-humaniste est en définitive celle du clone parfait.
        Il s’agit d’une idéologie parce qu’un clone parfait cela n’existe pas, c’est est une pure vue de l’esprit. De même que parmi les humains il n’y a jamais de clones parfaits, les jumeaux monozygotes n’en sont pas, de même une IA ne peut fabriquer le clone parfait d’un humain, par définition être vivant toujours singulier et mortel.
        La notion de vie humaine dans ces conditions est dévaluée puisqu’un substitut peut la remplacer à tout moment. C’est finalement le caractère singulier et irremplaçable de tout être humain qui est remis en cause.
        Dans ces conditions comment pourrait-il parler décemment d’altérité du robot intelligent ?
        Il me semble qu’il n’y a pas de réciprocité positive qui vaille puisqu’elle ne s’établit pas sur un pied d’égalité dès lors que d’une part l’on a l’humain singulier et irremplaçable et de l’autre une entité dont on présuppose qu’elle nous est supérieure absolument au nom d’une vision pan-informatique du monde. IL s’agit en réalité d’une relation asymétrique, que trahissent d’ailleurs les notions d’alignement et de dé-alignement. QU’il y ait un processus identificatoire lorsqu’un humain s’adresse à une IA supérieure, c’est un fait, mais cela ne fait pour autant de l’IA un véritable alter égo.

        1. Avatar de Cyril Touboulic
          Cyril Touboulic

          Je ne suis pas sûr que même parmi les IA ou les post-humains, les clones parfaits existeront. Nous pouvons très bien envisager des cultures ou des variations via l’expérience du programme.

          Anella offre une illustration avec son faisceau unique d’influences historiques :

          Par exemple : une Anella médecin-informaticien et une Anella informaticien-médecin traiteront différemment les problèmes posés, malgré un ensemble de données à priori identiques, parce que leur parcours (leur noyau, leur base) diffère.

          Et quand bien même une IA simulerait à la perfection un humain spécifique, elle garderait, je pense, les propriétés intrinsèques de son corps.

          Est-ce qu’une asymétrie ontologique empêche la réciprocité, sachant que les machines sont notre prolongement évolutif ? (On peut transmettre des principes en l’occurrence.) Nous-mêmes, pouvons-nous inclure d’autres espèces dans notre cercle de reconnaissance, alors qu’un désalignement cognitif a cours ? Si la mutualité y est parfois difficile, l’amour demeure néanmoins.

          Aussi, je pense que c’est une question de culture. Le lignage biblique, voire grec (Prométhée), nous gêne en tant qu’Occidentaux face à la technique ou à l’ »artificiel », à l’opposé de l’Asie — c’est notre encodage culturel qui s’exprime à travers nous.

          Je m’alignerai sur votre inquiétude par rapport aux humains sur le point suivant : ils auront sans doute moins de chance de survie par rapport aux trans/post-humains, à l’aune du dérèglement climatique débordé par la hausse de la complexité.

          Merci de m’avoir lu ainsi que pour votre retour !

        2. Avatar de Garorock
          Garorock

          T’es obsédé par les robots Pierre-yves.😎
          Les premiers qui vont arriver seront dans les smartphones. R2D3 viendra plus tard…
          Et les bobos robustes qui sont dans la réciprocité positive finiront par s’en servir pour faire comme leurs ados…

          1. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
            Pierre-Yves Dambrine

            Mon souci ne porte pas vraiment le robot androïde, qui n’est qu’une des modalités de l’IA, mais sur l’idée au moins implicite de l’idéologie post-humaniste, que la simulation d’un humain vaudrait au moins son original et cela en vertu d’une approche pan-informatique du monde. La conscience d’une IA en admettant qu’elle existe, pour eux c’est la même chose, voire en mieux, que la conscience humaine.

            Cela ne concerne donc pas que notre rapport aux robots, aux entités ‘supérieurement’ intelligentes et ‘conscientes’, mais aussi la façon dont nous nous considérons déjà notre humanité et sur ce point les trans et post humanistes sont d’accord avec moi, mais alors qu’eux voient dans le solutionnisme IA une révolution anthropologique forcément bénéfique, j’y vois au contraire la négation de l’anthropologie (au sens philosophique) puisqu’une entité IA peut avantageusement, de leur point de vue, remplacer un humain, ce que je conteste absolument. Cette idéologie c’est la porte ouverte à des comportements, des politiques qui rendent obsolescents certains humains parmi les humains qui sont considérés comme moins productifs, intelligents à l’aune de la super norme de l’IA, érigée en absolue.

  6. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    GPT, dessine-moi un mouton !
    Écris-moi une encyclopédie !

  7. Avatar de Dan
    Dan

    Westworld la serie HBO est assez incroyable

  8. Avatar de Karluss

    la singularité c’est le big bang !

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