QUAND UNE BANQUE CENTRALE CÈDE… par François Leclerc

Billet invité.

« La maman et la putain », le nom du film culte de Jean Eustache, conviendrait au mieux au comportement de financiers recherchant à la fois la sécurité et le rendement. Sur la corde raide, ceux-ci trouvent refuge là où ils le peuvent – le marché de l’or et obligataire, les facilités de dépôts des banques centrales ou les monnaies fortes du Forex (le marché monétaire) – tout en manifestent parallèlement un grand appétit au risque dans d’autres compartiments de l’activité financière, les plus sophistiqués de préférence.

Le franc suisse vient d’en faire les frais. Après s’y être épuisée. la Banque nationale suisse (BNS) a jeté l’éponge sans crier gare et abandonné un taux plancher fixé il y a trois ans, car il devenait impossible à faire respecter. C’était cela ou continuer à amasser à son bilan des masses d’euros à la valeur allant s’effriter en raison des mesures à venir de la BCE. La hausse du franc suisse était bridée, et elle a immédiatement explosé.

Les emprunteurs européens en franc suisse vont subir les conséquences de son appréciation par rapport aux autres monnaies, la bourse de Zürich a accusé le coup, un ralentissement économique va s’ensuivre dans le pays, ainsi qu’un choc déflationniste. À son tour, et bien que n’étant membre ni de l’Union européenne ni de la zone euro, la Suisse entre dans la crise. Au niveau européen, les achats d’obligations libellées en euros vont subir le contre-coup de l’arrêt des achats de la BNS, la décision de la BCE de s’y engager arrivant à point nommé, les achats de la Banque du Japon se poursuivant.

En première ligne, les maisons de courtage londoniennes et new-yorkaises subissent de plein fouet le renchérissement inopiné et brutal du franc suisse. Plusieurs d’entre elles ont déjà déclaré ne plus pouvoir respecter leurs ratios financiers, ou sont même en cessation de payement, sans que l’on puisse évaluer les effets systémiques de leurs difficultés plus ou moins prononcées. Le marché des produits dérivés, notamment des swaps de change, pourrait aussi réserver de mauvaises surprises : qui va payer les pots cassés, les instruments de couverture n’empêchant pas qu’une addition soit présentée ?

Ce monde financier marche sur la tête et non pas sur l’eau, qu’il veuille se protéger ou se lancer dans de nouvelles aventures. La recherche d’un refuge restant une puissante motivation, les investisseurs se sont tournés vers le marché obligataire, le taux des titres à dix ans de la dette suisse passant immédiatement en territoire négatif, ce qui les conduit à payer pour prêter de l’argent. Accusés par ceux qui incriminent leurs manipulations du marché – seul garant du bon fonctionnement du système – les banques centrales restent les dernières lignes de défense, sauf quand elles cèdent. C’est ce qui vient d’arriver.

Enhardis par la déclaration de l’avocat général de la Cour de justice européenne, d’autres y voient l’assentiment que la BCE peut en quelque sorte se substituer à un Trésor public européen qui n’existe pas. Mais aucun barrage ne peut endiguer les soubresauts du marché monétaire en raison de sa dimension et des rapports de force qui s’y exercent. Cela durera tant qu’il ne sera pas décidé une réforme du système monétaire actant la fin de la prééminence du dollar, ce qui n’en prend pas le chemin. Avec la stratégie de désendettement, la réforme du système monétaire est un des deux grands tabous dont le risque est qu’ils finissent par se fracasser en tombant.

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