Prendre un café face à l’infini…, par Damien Rambaud

Billet invité.

Le samedi midi, j’avais l’habitude de prendre mon café en lisant la version papier du Monde. Ce moment du café le samedi midi était un vrai moment de pause, une sorte de pivot entre la semaine et le week-end. En bref : un vrai moment de détente. Un jour, cependant, le journal papier étant absent de ma cuisine, j’ai lu Le Monde sur l’ordinateur. La semaine suivante, j’ai fait pareil… et, les semaines passant, j’ai changé mon habitude. C’est ainsi que j’ai pu constater quelques mois plus tard que ma pause du samedi midi n’était plus ce qu’elle était : le café était toujours là mais la sensation de pause, elle, avait disparu !

Ce petit texte est une tentative d’explication de ce phénomène.

Dans notre univers de tous les jours, il existe désormais une nouvelle catégorie d’objets qui n’était pas là il y a encore quinze ans : ce sont tous ces petits gadgets numériques qui nous accompagnent désormais : lecteur MP3, smartphone, ordinateur… Ces objets physiquement de plus en plus compacts ont pourtant en commun une caractéristique qui n’existait pas jusqu’alors : ils peuvent potentiellement monopoliser notre attention pendant un temps infini ! L’ordinateur connecté à internet, le lecteur mp3 qui contient autant de musique que le magasin de votre ancien disquaire, l’appareil photo capable d’emmagasiner trois mille photos dans la journée et, d’une manière générale, tout objet numérique dont les capacités dépasse de très loin la quantité d’information que le cerveau humain peut traiter dans un temps raisonnable est un « objet-infini ».

En lisant Le Monde sur l’ordinateur, j’ai introduit un « objet-infini » au coeur de ma pause et celle-ci n’y a pas résisté. Lorsqu’on lit un journal papier, on le parcourt en choisissant les articles que l’on juge intéressants puis, on peut éventuellement re-parcourir le journal pour lire les articles que l’on a jugé d’un intérêt moindre mais il y a un moment où la lecture de celui-ci est terminée : nous avons épuisé l’information contenue dans le journal. C’est à dire qu’on peut, dans un temps raisonnable, venir à bout de toute l’information qu’il contient. Cette observation qui n’a l’air de rien a deux conséquences fondamentales.

La première, c’est qu’on peut prendre son temps. En supposant que la pause café dure une demi-heure, cela laisse bien assez de temps pour parcourir le journal, trouver et lire les articles qui nous intéressent.

La deuxième c’est qu’il existe un moment ou les ressources mises en oeuvre afin de lire le journal cesseront d’être utilisées : c’est le moment ou l’on repose le journal avec la sensation d’avoir terminé quelque chose.

La pause vient là : la sensation d’avoir le temps suivi du phénomène de libération des ressources mises en oeuvre pour lire le journal. Or, avec les objets numériques, ces deux aspects, n’existent tout simplement plus.

Ils n’existent plus car, pour le dire simplement, le cerveau se retrouve face à l’infini : on peut lire le journal une fois et le relire une deuxième fois ( son contenu aura déjà probablement changé ) et une troisième fois, etc. Ainsi, même au moment ou nous refermerons l’ordinateur pour passer à autre chose, il restera toujours une sensation d’inachevé, l’idée qu’un nouvelle information vient de nous échapper, bref, une petite frustration qui vient du fait de la non-libération des ressources mises en oeuvre pour absorber les informations de l’objet infini : voilà le processus à l’origine de la disparition de ma pause du samedi midi !

Avec l’arrivée du numérique dans tous les domaines de nos vies, nous pouvons assez facilement trouver d’autres moments où le même phénomène se reproduit. Nous pouvons essayer d’analyser un autre exemple : la photographie numérique ( on peut faire le même exercise avec la musique ).

A l’époque de la photographie argentique, il existait également au moins deux limitations qui ont aujourd’hui disparu. La première, c’est qu’on ne pouvait stocker que de douze à trente-six photos puis, il fallait changer le film. On pouvait donc prendre un nombre conséquent de photos à condition de se promener avec suffisamment de bobines de pellicule mais, il y avait toujours un moment ou « prendre des photos » s’arrêtait, faute de munitions. La deuxième limitation était le fait qu’entre la prise de vue et la possibilité de voir le résultat il pouvait se passer plusieurs heures voire plusieurs jours. Ces deux limitations impliquent automatiquement qu’à un moment, les ressources mises en oeuvre afin de « faire des photos » sont libérées et que l’activité s’arrête : nous sommes alors disponibles pour autre chose.

Avec l’appareil photo numérique, le nombre de prise de vue enregistrable devient considérable. Si, de plus, on possède un moyen de stockage transportable, le nombre de photos devient alors potentiellement infini. Sans compter qu’on peut aussi supprimer immédiatement les photos que l’on juge ratées. Cette non-limitation des ressources a plusieurs conséquences.

La première c’est que l’on peut prendre des photos pendant toute la durée d’un évènement ( c’est à dire qu’on peut passer l’anniversaire de la grand-mère derrière son appareil, il restera toujours, à la fin, un peu de place pour quelques photos supplémentaires ) : on ne participe alors pas vraiment à l’évènement qu’on photographie, il y a absorption de l’attention par l’objet infini, sans libération « au bout d’une temps raisonnable ».

Deuxième conséquence, du fait de la non-limitation du nombre de clichés, on peut être tenté de mitrailler à tout va afin de ne rien rater. On se retrouve alors dans un contexte où l’on a plus « le temps » : alors qu’avec l’argentique il fallait observer et bien choisir le moment du cliché, ce qui revient à suivre l’écoulement du temps et à n’intervenir que lorsque notre action aura vraiment un sens. Avec l’appareil numérique, c’est l’inverse qui se produit : il faut « remplir » le support avec toutes ces informations que l’on triera éventuellement plus tard : il s’en suit une sensation d’urgence car il faut suivre le cours des choses afin de ne rien perdre ( puisque la capacité de stockage nous donne l’illusion que, si on le souhaite, on a la possibilité de ne rien perdre ).

Troisième conséquence et, peut-être la plus importante, arrêter de prendre des photos dans ce contexte revient à accepter de manquer volontairement certaines photos. Ceci n’arrivait pas avec l’argentique puisque, une fois les films terminés, on manquait automatiquement les photos suivantes mais, on ne pouvait rien y faire. Cette conséquence supprime la sensation d’avoir terminé quelque chose : elle pouvait être présente avec l’argentique s’il restait du film mais, une fois qu’on avait pris la dernière photo, quelque chose était terminé. Avec le numérique, cette « non terminaison » est systématique. Il se reproduit donc avec l’appareil photo numérique, la même phénomène qu’avec la version électronique du journal : l’impossibilité de mettre fin à l’activité de façon « douce » et apparition d’une sensation d’inachevé.

De ces quelques exemples, on peut tirer que le fait d’avoir des ressources limitées dans certains domaines induit des processus répétés de « pause » sur le cerveau. Avec la diffusion des « objets infinis » dans notre environnement, ces moments tendent à disparaître si nous n’y prenons pas garde.

Le fait de connaitre le processus permet peut-être de trouver des solutions pour s’en affranchir afin de se « pauser »… C’est important car il me semble que la sensation de bonheur est intimement liée à la fréquence de ces petits moments de pause.

J’ai lu il n’y a pas très longtemps une interview de Denis Grozdanovitch dans laquelle celui-ci fait cette citation qui corrobore les observations que nous venons de mettre en avant :

« Et si le temps gagné par les moyens techniques était impropre pour le bonheur ? »

Partager :

141 réponses à “Prendre un café face à l’infini…, par Damien Rambaud”

  1. Avatar de GUDULE
    GUDULE

    @j seignan
    je cite ‘Quand par exemple je marche pour une heure ou deux en forêt, je laisse mon téléphone ou si j’ai oublié de le laisser je l’arrête. Un jour il avait sonné et je me suis senti impoli au milieu de vieux chênes et de hêtres…’

    oui il m’est arrivé ma m^me chose et comme je sais que en forêt je ne suis pas seule (animaux présents divers et variés qui nous voient) , je me suis excusée pour le bruit généré par la prothèse électronique ! 🙂

    je cite ‘Tous ces moyens techniques extraordinaires (mais parfois superflus : au fond pourquoi mettre un appareil photo dans un téléphone ou un téléphone dans une caméra ? pourquoi devoir être joignable et connecté en permanence ?) nous sommes donc forcés de les acheter puis de courir avec. Le but : notre consommation (et notre contrôle aussi) mais surtout les profits extravagants de leurs producteurs et de tout l’univers GAFA (Google, Apple, Facebook , Amazon…). Comme souligné dans la citation finale de Denis Grozdanovitch : c’est « impropre pour le bonheur ».
    Il faut ouvrir les yeux et essayer de résister. Pour ma part, ce monde soi-disant « moderne » où on cherche à nous transformer en bonhommes Playmobil pressés (cf. la géniale BD de P. Jorion et G.Maklès : la Survie de l’espèce), je le conchie. »

    https://www.youtube.com/watch?v=YR5ApYxkU-U

    1. Avatar de arciatus
      arciatus

      En fermant le portable à l’orée d’une forêt, ou en désertant cet « ordinateur de l’ordinaire » pour prendre une pause-café, on se libère des maléfices et des bienfaits du commerce actuel de l’offre de communication. Peut-être pour répondre à une demande profonde de renouer avec un rapport authentique au réel ? Aussi riches que soient ces formidables outils de communication des connaissances et des points de vue divers sur le monde, c’est seulement par le truchement d’images et de concepts, extérieurs à soi comme aux choses. Nous ne mordons plus à même ces choses, qui ne sont plus présentes en tant que palpables,avec un goût et des odeurs, écoutables en direct, soumises à l’attention de notre regard en propre. La pause dans la communication suffit-elle à satisfaire la demande d’échanger pas seulement sur des états de choses ( comme c’est possible sur ce blogue) mais avec les choses, en réciprocité, de partager notre attention avec elles, de tenter de « répondre aux muettes instances qu’elles nous font qu’on les parle »… mais « à partir d’elles-mêmes » comme disait Francis Ponge ?

  2. Avatar de CHAPONIK
    CHAPONIK

    Comme sont dérisoires vos pauses café !
    Alors imaginez : Nous sommes dans un maquis du Haut Jura en 1943 tout autour des Résistants, rôdent les Allemands bien mieux armés et en plus grand nombre….
    En les attendant, un jeune homme assis le fusil contre son épaule gauche, sort de sa poche
    un bouquin aux pages défraîchies et lit : La lune blanche luit dans les bois…. De chaque branche part une voix…. Un vaste et tendre apaisement semble descendre du firmament que l’astre irise, c’est l’heure exquise…….

    1. Avatar de vigneron
      vigneron

      Pendant qu’un jeune soldat allemand francophone, sous la bâche de son camion Ford roulant sur une route du Haut-Jura, se répète silencieusement C’est un trou de verdure où chante une rivière accrochant follement aux herbes des haillons
      d’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
      luit : c’est un petit val qui mousse de rayons…

    2. Avatar de octobre

      CHAPONIK,
      Il me plaît d’imaginer dans ce jeune homme assis la figure d’un René Char, lucide et calme, pris dans un dialogue intérieur avec un autre poète, face à face sur l’arche du temps, compagnons d’ouvrages sur le thème du merveilleux.
      Sans ces hommes-là comme la langue serait pauvre et médiocre, l’imaginaire sans élan ; elle se résumerait donc à trois ou quatre mots imbéciles (je vous laisse deviner lesquels) : sorte de cris victorieux et barbares chez les soudards du disque dur ou les durs de l’oreille car en fin de compte c’est peut-être les mêmes.

      1. Avatar de vigneron
        vigneron

        Octobre, si tu connais pas Johan-Rictus, cherche, pur bonheur à portée de clics.

      2. Avatar de octobre

        J’ai cherché et j’ai trouvé. Et la vie du bonhomme me touche aussi.
        Merci l’ami Vigneron !

  3. Avatar de Jiemo
    Jiemo

    Merci pour cet article , il m’a révélé ce qui me manquait au travers des objets connectés ou pas: la présence du réel fini et temporalisé !

  4. Avatar de GUDULE
    GUDULE

    « La lune blanche luit dans les bois…. De chaque branche part une voix…. Un vaste et tendre apaisement semble descendre du firmament que l’astre irise, c’est l’heure exquise……. »

    merveilleux !

  5. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
    Pierre-Yves Dambrine

    Il y a aurait donc deux infinis.
    L’infini dans lequel nous baignons tous, celui de la nature, duquel nous dépendons pour notre survie, mais nous menace aussi avec ses cataclysmes, et celui qui nous permet de nous ressourcer, ce qu’évoque le présent billet. C’est l’infini de la contemplation, de la méditation, que nous accueillons, immobile ou tout en mouvements.

    Et l’autre infini, celui auquel nous accédons, qui est notre invention, celui du flux des informations, dans l’Internet, infini parce qu’une vie ne suffirait pas pour en dénombrer les éléments qui se renouvellent continuellement, un tonneau des danaïdes inversé en quelque sorte, puisqu’il se déverse dans notre direction, sans que nous ne puissions y échapper, car nos temps de pause terminés nous y revenons, ne pas y revenir nous exposant à nous priver de certains moyens d’existence sociale.

    Le premier nous laisse tranquille, car nous ne cherchons pas à en dénombrer les parties, à les extraire pour en faire un usage particulier, ou alors c’est réservé à quelques spécialistes comme les astronomes et les astrophysiciens et ces spécialistes eux aussi nous laissent tranquilles (les plus inquiets sont les thermodynamiciens, à l’instar de Roddier) , et s’appliquent surtout lorsqu’il écrivent des livres à nous faire partager leur émerveillement devant le prodige de cette nature insondable à l’oeil nu. Il s’agit là de l’infiniment grand, mais le raisonnement reste valable pour l’infiniment petit.
    Le second nous impose son rythme, qui n’est pas celui des cycles naturels qui correspond à nos rythmes biologiques, émotionnels, mais celui sans nuits et sans jours d’un d’un réseau qui s’étend sur la planète qui aujourd’hui connecte principalement des humains mais qui de plus en plus tend à connecter des objets, dont vont dépendre eux-mêmes, de plus en plus, les humains, aggravant l’emprise que les choses ont sur nous. C’est une invention qui hisse l’humanité à la hauteur des grandeurs cosmologiques qu’en ce dernier cas celles-ci n’ont pas de qualité sensible, de figure globale à nous présenter, comme un ciel étoilé, ou un paysage tout en reliefs ; elle donne seulement un aperçu de l’abyssale complexité du monde humain qui a résulté de l’invention de l’informatique puis de la mise en place des réseaux numériques.

    Notre problème aujourd’hui c’est que l’homme de l’époque moderne, celui donc qui apparaît pendant la Renaissance et dont nos institutions ont hérité beaucoup des caractéristiques, a pensé la finitude du monde proprement humain fait par lui et pour lui, s’inscrivant alors dans le règne de la nécessité, c’est à dire de la maîtrise de ses actes en vue de certaines fins, s’affranchissant de toute intervention divine. Le cadre n’est plus celui alors de l’éternité divine, mais celui posé par les Etats qui en quelque sorte en sont le substitut humain et à l’horizon desquels il y a une histoire, celle des peuples, et par extension, celle de l’humanité. Les savants eux, gagnaient leur indépendance vis à vis de l’Eglise, en procédant à une mathématisation de l’univers physique (cf. Jorion, Comment la réalité et la vérité furent inventés) dont nous constatons aujourd’hui les conséquences funestes, car ceux-ci perdaient alors du coté de la physique ce que les penseurs du politique avaient gagné en autonomie par l’invention d’un monde proprement historique et frappé du sceau de l’irréversibilité. A cette même époque les hommes partirent à la découverte du nouveau monde, avec le sentiment que les ressources terrestres étaient, elles, infinies.

    Ainsi fut inventée la notion de souveraineté, une souveraineté qui avant d’être politique fut d’abord celle des hommes sur eux-mêmes puisqu’il était désormais acquis que Dieu n’intervenait plus dans les affaires humaines et qu’il revenait donc aux hommes de prendre en charge et d’assumer leur destinée.

    Ce règne de la finitude humaine et donc aussi de la souveraineté s’achève sous nos yeux car les ressources terrestres renouvelables s’épuisent, ou plutôt nous épuisons ces ressources dans nos luttes intestines pour y accéder, prisonniers que nous sommes d’un principe dévastateur selon lequel les plus forts peuvent en être les propriétaires exclusifs, ou plus égaux que les autres, obérant par cette dilapidation des énergies toute solution qui tirerait parti d’une coopération généralisée entre les humains, solution qui ont pourtant fait leur preuves dans maints domaines particuliers. Et aussi parce que les Etats ne fournissent plus un cadre pour d’autres actions possibles, réduits qu’ils sont de plus en plus à un rôle minimal de maintien des dispositifs et infrastructures indispensables, légaux et matériels, au développement du capitalisme à l’exclusion de toute autre fins, ou alors tellement peu.
    Les humains on ainsi libéré des moyens surpuissants, numériques, et informatiques, leur permettant de communiquer dans un espace virtuel, de produire des actions à grande distance, avec dans le meilleur des cas des possibilités de coopération accrues, mais dans le même temps s’affranchissant de la géographie humaine immédiate, des cycles naturels, des biotopes où ils vivent et trouvent les ressources vitales nécessaires à leur équilibre, amenuisant alors leurs capacités d’actions réelles, et le recul nécessaire pour juger de leurs productions, ce qui en retour menace l’existence de ces milieux de vie qui nous portent.

    Ayant épuisé les possibilités associées à notre finitude humaine hérité des temps modernes (qui débutent en 1492), nous restent les deux infinis, la nature, et les artéfacts d’un monde humain hyper complexe qui s’en éloigne bien qu’il procède pourtant bien d’elle.
    Comment retrouver alors notre humanité, ou plutôt trouver les moyens de poursuivre l’aventure humaine, dans la nature infinie, non plus seulement comme lieu du ressourcement personnel, mais lieu du ressourcement commun ? La nature infinie avec ses cycles et sa beauté qui font notre émerveillement et aussi bien ses ressources insoupçonnées, inutilisées et surtout mal utilisées.

      1. Avatar de jducac
        jducac

        @ vigneron 12 avril 2015 à 16:25

        La principale tâche de la génération présente des hommes politiques n’est pas, je crois, de plaire au public par les décisions qu’ils prennent, ni de faire des sourires à la télévision. Elle n’est pas de gagner les élections ni de s’assurer des places au soleil jusqu’à la fin de leurs jours. Leur rôle est tout à fait différent : il est d’assumer leur part de responsabilité dans les projets à long terme de notre monde et, ainsi, de donner un exemple au public pour lequel ils travaillent. Leur responsabilité est de penser audacieusement au loin, non pas de craindre la défaveur de la foule, d’imprégner leurs actions d’une dimension spirituelle (ce qui, bien sûr, n’a rien à voir avec le fait d’assister de façon ostentatoire à des offices religieux), d’expliquer sans cesse – à la fois au public et à leurs collègues – que la politique doit faire bien plus que refléter les intérêts de groupes particuliers ou de lobbies. Après tout, la politique a pour but de servir la communauté, ce qui signifie qu’elle est la moralité mise en pratique. Et comment peut-on mieux servir la communauté et la moralité pratique qu’en cherchant, au milieu de la civilisation globale, elle-même globalement en danger, leur propre responsabilité politique globale, c’est-à-dire leur responsabilité pour la survie même de l’espèce humaine ?

        Diffuser de beaux et bons discours, pour le commun des mortels, même si le diffuseur se nomme Vigneron, ne suffit pas. Il faut à mon avis que chacun ajoute sa pierre à l’édifice. C’est pourquoi j’apporte ci après la mienne.

        La survie de l’espèce humaine est, selon moi, et avant tout, dépendante de l’aptitude des diverses communautés humaines à adapter leur consommation, quelles que soient ses formes, à ses capacités de captation d’énergie, notamment sur les flux librement accessibles dans son environnement.

        Comme les diverses communautés sont, et seront toujours, en concurrence pour leur survie, chacune aura tendance à préserver ou à accroître ses acquis territoriaux, qu’elle devra protéger et donc défendre de la convoitise et des attaques des autres.

        Simultanément, chacune des communautés, devra veiller à préserver les réserves d’énergies et matières premières que la nature et les temps immémoriaux ont stockées sur son territoire.

        Pour le reste, il conviendra aux responsables politiques de veiller à ce que les populations prennent conscience de la nécessité de travailler plus et non de travailler moins, comme certains le croient et veulent le faire croire. Cette moindre activité productrice, ce moindre temps de travail durant une vie qui s’allonge, n’a été possible que parce que nous avons utilisé les matières premières, notamment énergétiques, les plus économiquement accessibles. Cela deviendra de plus en plus difficile d’y accéder dans le futur.

      2. Avatar de Julien Alexandre

        Jducac,

        C’est le livre de la jungle que vous décrivez, ni plus ni moins 😉

        Vaclav Havel, une vie « oeuvre d’art » comme l’a dit Kundera… jusqu’en 2003 au moins, avant le club des 8 avec Bush&co, malheureusement…

      3. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        Beau discours!

         » La tâche principale à l’époque qui s’annonce est d’une autre nature : une renaissance radicale du sens de notre responsabilité. Notre conscience doit rejoindre notre raison, sans quoi nous sommes perdus.
        Je crois profondément qu’il n’y a qu’une seule façon de réaliser cette fin : nous devons nous détourner de notre anthropomorphisme égocentrique, de notre habitude de nous considérer comme les maîtres de l’univers qui pouvons faire ce que bon nous semble. »

        Science sans conscience… Tout à fait d’accord avec le premier paragraphe (à ceci près qu’il nous faudra, à mon avis, profondément modifier le sens que nous attribuons actuellement à la « rationalité », autrement dit c’est notre raison qui doit rejoindre notre conscience et non « notre conscience [qui] doit rejoindre notre raison »).

        Mais pas du tout avec le début du second. Pour moi nous ne pouvons connaître que nous-mêmes (je pense comme je suis) et par conséquent il nous est impossible de « nous détourner de notre anthropomorphisme égocentrique ». « La renaissance radicale du sens de notre responsabilité » viendra lorsque nous aurons réalisé que nous pouvons connaître le monde qui nous environne parce que (et seulement parce que) il est fait comme nous.

        Thom (once more): « Les situations dynamiques qui régissent l’évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l’évolution de l’homme et des sociétés; l’emploi de vocables anthropomorphes en Physique s’en trouve ainsi justifié. »

    1. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      Thom:

      « Où se trouve le monde réel, l’univers concret où nous vivons? La réponse est simple: le monde concret se trouve immergé dans cet abîme qui sépare le vrai continu [l’infini naturel de PYD?], celui que nous procure l’intuition immédiate du temps, du faux continu pseudo-numérique [l’infini artificiel de PYD?] que nous fabriquent les logiciens et autres théoriciens des fondations de la mathématique ».

      Le temps se présente comme un continu. Et sa représentation comme succession d’instants repérés par des nombres réels ne permet même pas, à mon avis, de résoudre les paradoxes de Zénon. La coupure galiléenne est abyssale.

      En ce qui concerne l’évolution de la souveraineté j’aime bien ce qu’en dit le lacanien Charles Melman (L’homme sans gravité): « La barbarie consiste en une relation sociale organisée par un pouvoir non plus symbolique mais réel. A partir du moment où le pouvoir qui est établi s’appuie sur -a pour référence- sa propre force, et ne cherche à défendre et à protéger rien d’autre que son existence en tant que pouvoir, son statut de pouvoir, eh bien, nous sommes dans la barbarie. Est-ce que vous connaissez une seule des grandes manifestations récentes d’exercice du pouvoir dans notre monde qui ne soit pas une manifestation de la barbarie? »

    2. Avatar de arciatus
      arciatus

      Les nouvelles technologies de communication, en donnant en particulier à nos enfants le pouvoir d’ubiquité ( qui autrefois était réservé aux dieux), leur permet d’échapper aux formes de rationalité que la société avaient pensées pour eux. Et les voilà autistes plus ou moins
      «à la réalité de la famille au profit de la virtualité tribale des copines et des copains » (Michel Onfray), par exemple . Certes, mais toute innovation technique s’accompagne d’une phase de désordre et crée dans les structures sociales antérieures l’anomalie (ana-homo-élie = à l’encontre du semblable,soit ce qu’on n’attendait pas) Ce n’est surtout pas une raison pour condamner, par effet de balancier, les avantages inouïs d’une telle innovation.

      1. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @ arciatus

        Voici ce que pensait Thom des « avantages inouïs de l’innovation »:

        Décourager l’innovation

        Les sociologues et les politologues modernes ont beaucoup insisté sur l’importance de l’innovation dans nos sociétés. On y voit l’indispensable moteur du progrès et -actuellement [années 1980]- le remède quasi-magique à la crise économique présente; les « élites novatrices » seraient le coeur même des nations, leur plus sûr garant d’efficacité dans le monde compétitif où nous vivons. Nous nous permettrons de soulever ici une question. Il est maintenant pratiquement admis que la croissance (de la population et de la production) ne peut être continuée car les ressources du globe terrestre approchent de la saturation. Une humanité consciente d’elle-même s’efforcerait d’atteindre au plus vite le régime stationnaire (croissance zéro) où la population maintenue constante en nombre trouverait, dans la production des biens issus des énergies renouvelables, exactement de quoi satisfaire ses besoins: l’humanité reviendrait ainsi, à l’échelle globale, au principe de maintes sociétés primitives qui ont pu -grâce, par exemple à un système matrimonial contraignant- vivre en équilibre avec les ressources écologiques de leur territoire (les sociétés froides de Lévi-Strauss). Or toute innovation, dans la mesure où elle a un impact social, est par essence déstabilisatrice; en pareil cas, progrès équivaut à déséquilibre. Dans une société en croissance, un tel déséquilibre peut facilement être compensé par une innovation meilleure qui supplante l’ancienne. On voit donc que notre société, si elle avait la lucidité qu’exige sa propre situation, devrait décourager l’innovation. Au lieu d’offrir aux innovateurs une « rente » que justifierait le progrès apporté par la découverte, notre économie devrait tendre à décourager l’innovation ou, en tout cas, ne la tolérer que si elle peut à long terme être sans impact sur la société (disons, par exemple, comme une création artistique qui n’apporterait qu’une satisfaction esthétique éphémère -à l’inverse des innovations technologiques, qui, elles, accroissent durablement l’emprise de l’homme sur l’environnement-). Peut-être une nouvelle forme de sensibilité apparaîtra-t-elle qui favorisera cette nouvelle direction? Sinon, si nous continuons à priser par-dessus tout l’efficacité technologique, les inévitables corrections à l’équilibre entre l’homme et la Terre ne pourront être -au sens strict et usuel du terme- que catastrophiques.

  6. Avatar de juannessy
    juannessy

     » L’homme n’est ni infini ,ni objet , et le malheur veut que celui qui fait l’infini par objet interposé , ne fait que l’objet ».

    Mais je fais le pari qu’une pause café ne suffit pas à le concevoir .

  7. Avatar de CHAPONIK
    CHAPONIK

    A Vigneron

    Vous devriez lire le silence de la mer de VERCORS

    Je ne vous salue pas

    Eliane CHAPONIK

  8. Avatar de CHAPONIK
    CHAPONIK

    a PROPOS VIGNERON

    Il n’y a pas que la poésie que les Allemands aimaient. Il y a aussi la musique
    Ils adoraient pendre les gens sur des airs de la Veuve Joyeuse.

    Vous ne me croyez pas ? Demandez à ma mère !!!!

    Eliane CHAPONIK

  9. Avatar de timiota
    timiota

    Je case ce petit mémo de l’article de 1991 de John Berger sur « L’aliéné » de Géricault ici (juste la partie libre)… pour faire réfléchir mais il faudrait que j’y revienne…
    http://www.monde-diplomatique.fr/1991/12/BERGER/44030

  10. Avatar de arciatus
    arciatus

    Merci Timiota de préciser les limites de mon propos!
    Bien évidement je suis pleinement d’accord avec le plaidoyer de Thom tel qu’exprimé ici contre le culte de l’innovation dans le sens de la Croissance et du Progrès . Je ne parle que de l’invention du computer et de la possibilité d’une troisième ère envisageable de l’information après celles qui ont suivi l’invention de l’écriture et de l’imprimerie. Je vous approuve pleinement de corriger ma formulation, j’aurai du écrire « invention inouïe« car le mot « innovation » est complètement piégé. Mais c’est bien le potentiel de technicité et le niveau d’accès à la connaissance atteinte qui pourraient donner encore les moyens d’effectuer les corrections à l’équilibre qui s’imposent. Je ne développe pas car ce ne serait pas ce que souhaite précisément Damien Rambaud

    1. Avatar de juannessy
      juannessy

      La différence se fait ( enfin , c’est ce qu’on m’a appris) entre :

      – Innovation : l’art de faire autre chose avec ce qui existe déjà

      – création : y avait rien , et voilà-t-il pas qu’il y quelque chose .

      1. Avatar de arciatus
        arciatus

        Pour être précis ( et en préservant le rôle des techniques dans le processus d’humanisation de la nature durant l’histoire) c’est un peu plus complexe. Pour « inventer, créer » ( contraire de conserver, recopier) le Larousse donne comme exemple « Gutemberg a inventé l’imprimerie »,. Innover, c’est améliorer l’existant. Et Gutemberg à créé une technologie pour copier, conserver, améliorer les moyens de diffusion de l’information écrite, ce qui correspond bien au verbe « innover » qui signifie améliorer l’existant. Ni la technique ni l’art n’ont jamais créé quelque chose à partir de rien

      2. Avatar de Juannessy
        Juannessy

        @arciatus :

        C’est pour ça que , lorsqu’on dit d’un artiste qu’il est un créateur , je tique un peu , et que je préfère l’art défini par Oscar Wilde :

        « L’art est le résultat mathématique d’un désir sentimental de beauté » ( ça devrait plaire à Basic Rabbit )

        ou

        « L’art ne s’adresse ni à l’intelligence , ni au cœur , mais au tempérament artistique »

        Quand il m’arrive d’associer création et hors du temps , c’est d’ailleurs une flatterie faite aux génies qui sont capables de  » s’abstraire » pour imaginer ce que personne n’avait vu ou imaginé d’associé .
        « L’invention » , quant à elle , serait donc plutôt une innovation plus innovante que les autres !

        Même le CERN n’a encore rien créé .

      3. Avatar de Juannessy
        Juannessy

         » …d’associer … »

      4. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @ juannessy
        Pour moi l’art et la mathématique ont en commun d’être des langages par lesquels on tente d’exprimer ce qui est inexprimable en langage vernaculaire. Mais je vois la mathématique comme un jeu, si possible signifiant (ce n’est pas gagné d’avance!). Je ne pense pas que l’art soit un jeu (sans trop savoir ce qu’il est…).

    2. Avatar de timiota
      timiota

      Vous répondiez à Basic Rapid, qui donne fort fréquemment à Thom sa voix, je n’en fait pas un fromage (de Savoie)

      1. Avatar de timiota
        timiota

        Basic Rabbit, pardon.

      2. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        J’ai déjà eu droit à BasicRabhi et à BasicRabbin. Vous enrichissez la collection!

        J’ai choisi ce pseudo pour le « Les hommes sont comme les lapins, ils s’attrapent par les oreilles » (attribué à Mirabeau).

    3. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      @ arciatus

       » Mais c’est bien le potentiel de technicité et le niveau d’accès à la connaissance atteinte qui pourraient donner encore les moyens d’effectuer les corrections à l’équilibre qui s’imposent. »

      Ce commentaire m’étonne de vous.
      Pas d’accord avec vous pour le technicité (allusion à Uexküll et aux « morphogénèses » comparées d’une montre et d’un triton): pour moi le cadre « scientiste » actuel ne peut « donner les moyens d’effectuer les corrections à l’équilibre ». Le scientisme actuel ne peut au contraire qu’accentuer les déséquilibres car il n’a pas encore perçu (et a fortiori pas encore tiré) les conséquences de l’exigence de stabilité structurelle (s’il les avait perçues il ne continuerait pas cette course démentielle à la complexité!).

      Il nous faut acquérir des connaissances naturelles et non les connaissances artificielles initiées par la philosophie soit-disant naturelle de Newton (Principes mathématiques de la philosophie naturelle). En commençant par se rendre compte qu’il y a une différence entre les deux, que la coupure galiléenne est très profonde.

      Invention et innovation.
      Je suis d’accord avec la définition d’innovation que donne juannessy: pour moi l’informatique est une innovation.
      Quant à l’invention, pour moi une grotte se découvre d’abord et s’invente ensuite (le découvreur en fait l’inventaire).
      Autrement dit, pour moi, c’est « invention » qui est piégeux, pas « innovation ».

      Ainsi je pense que les grands mathématiciens sont des découvreurs de nouvelles voies, de nouvelles orientations.
      Grothendieck (Récoltes et semailles): « J’étais le seul à avoir le souffle. Mes élèves [dont Deligne, futur médaille Fields!] n’étaient que des tâcherons ». Le travail d’inventaire est un travail de tâcheron.

    4. Avatar de arciatus
      arciatus

      Je ne pense pas que le scientisme soit lui-m^me capable de répondre au désordre actuel que l’usage irréfléchi des inventions a produit. Mais la science oui, sous réserve de se montrer créatrice. Un débat collectif ici sur invention et innovation, créativité et création,etc…serait plein d’intérêt, mais c’est Paul jorion qui dispose de l’ordre du jour des billets ouverts à commentaires. Par un saut de puce vers la Gestalt Théorie je trouve un texte de Sartre sur le café:
      « … Il est certain que le café, par soi-même, avec ses consommateurs, ses tables, ses banquettes, ses glaces, sa lumière, son atmosphère enfumée, et les bruits de voix, de soucoupes heurtées, de pas qui le remplissent, est un plein d’être. Et toutes les intuitions de détail que je puis avoir sont remplies par ces odeurs, ces sons, ces couleurs… Mais il faut observer que, dans la perception, il y a toujours constitution d’une forme sur un fond. Aucun objet, aucun groupe d’objets n’est spécialement désigné pour s’organiser en fond ou en forme : tout dépend de la direction de mon attention. Lorsque j’entre dans le café, pour y chercher Pierre, il se fait une organisation synthétique de tous les objets du café en fond sur quoi Pierre est donné comme devant paraître… Chaque élément de la pièce, personne, table, chaise, tente de s’isoler, de s’enlever sur le fond constitué par la totalité des autres objets et retombe dans l’indifférenciation de ce fond, il se dilue dans ce fond. Car le fond est ce qui n’est vu que par surcroît, ce qui est l’objet d’une attention purement marginale. (…) Je suis témoin de l’évanouissement successif de tous les objets que je regarde, en particulier des visages, qui me retiennent un instant (« Si c’était Pierre ? ») et qui se décomposent aussi précisément parce qu’ils « ne sont pas » le visage de Pierre. Si, toutefois, je découvrais enfin Pierre, mon intuition serait remplie par un élément solide, je serais soudain fasciné par son visage et tout le café s’organiserait autour de lui, en présence discrète. »
      Soit un espace construit autour de  » bonnes formes » et selon les lois de composition d’un espace fait pour être rassurant?

  11. Avatar de karluss
    karluss

    nous sommes dans le temps de l’édition permanente, mais tout est relatif, il suffit de faire les bons choix. Si je vais à la médiathèque, je ne prends pas tous les supports, mais celui qui me convient et qui m’intéresse.

  12. Avatar de Steve
    Steve

    Bonjour à tous

    « Faut le temps qu’y faut »
    De là on peut entrer dans deux rapports au temps différents  » La marquise sortit à 5 heures.. » est la première phrase d’un livre de Dumas et nous introduit immédiatement dans un monde d’action minuté, celui des jours de la semaine que nous vivons tous . Ou « Longtemps je me suis couché de bonne heure… » première phrase de la Recherche de Proust qui introduit dans une toute autre relation aux autres et au temps, au temps subjectif des jours d’ennui qui n’en finissent pas ou des heures de plaisir trop tôt enfuies…
    Lorsque M. Rambaud s’assied à la terrasse de son café préféré pour lire le Monde papier accompagné d’une ou de deux tasses de café, il passe du monde de la marquise qui sort à 5 heures à celui de Longtemps…. Avec la complicité compréhensive et bienveillante de ceux qui partagent ce moment de sensation de liberté du week end quand les obligations minutées du travail font relâche quelque temps.Avec la complicité bienveillante de ceux qui ont mis longtemps à lui proposer un format décent et civilisé: pour peupler sa bulle irisée. Tous en humains européens que nous sommes, nous avons une connaissance intuitive, en tant qu’adultes, que nous vivons dans un tissu relationnel qui ne disparait qu’à notre mort, avec ses temps raides et ses temps plus souples. Donc M. Rambaud avec le format que lui ont proposé ses semblables peut expérimenter pleinement une bulle de temps à lui seul . Bulle de temps qu’il sait et accepte ne pas pouvoir étendre à l’infini car il est toujours en relation – en arrière plan quelques instants, le temps que le sucre fonde- avec ceux qu’il aime. Les éditeurs du Monde papier connaissent donc la taille permise de la bulle de Damien car en gros c’est la même que la leur. En hommes civilisés, en compatriotes ils se font les complices bienveillants en lui fournissant des compléments ludiques du week-end , acte reconnaissant que Damien dispose d’une plus grande bulle personnelle le samedi matin.
    Tout ceci témoigne d’une culture et d’une civilisation.

    Or ceci n’est plus: la tablette ne lui propose plus un format civilisé agréé et éprouvé par tous en un consensus né d’une longue pratique commune mais une porte virtuelle qui en fait ouvre sur un labyrinthe sans limites! Oui un piège cruel et difficile à maîtriser: j’ai du pour me libérer de mes chaînes, balancer ma télé il y a longtemps…
    Passer cette porte virtuelle peut, selon notre maîtrise de nous même et plus encore notre vigilance, nous emporter vers un monde plus ouvert ou n’être que la huitième porte de Barbe Bleue, celle qui ouvre sur la nuit, nous happe et nous laisse coincés dans les couloirs du temps comme Chaplin dans les rouages de sa machine des temps modernes.

    Ce que Damien relate là c’est l’abolition de notre culture et de notre civilisation.

    Il y a pire à venir: un smartphone, une tablette, vous pouvez toujours la mettre en veille et l’abolir temporairement dans un étui ou une poche mais voici qu’un nouvel appareil mixe cette porte avec le truc usuel qui scande nos rapports; la montre, que l’on ne retire que rarement dans la journée. J’ai vu une vidéo d’expérience de la montre soit disant intelligente que tous les m’as tu vu frivoles et conformistes berlurés par la propagande veulent avoir les premiers: ce qui a mis mal à l’aise l’expérimentateur c’est la quasi impossibilité d’échapper aux notifications permanentes, inoubliables puisqu’elles clignotent sans cesse sous vos yeux et peuvent même vous réveiller. Mais c’est comme les clopes, c’est fait pour qu’il s’y fasse assez vite et il s’y fera! Les ex vers de la pomme qui relatent leur expérience journalière parlent tous des réponses obligatoires à fournir dans l’instant quelle que soit l »heure et le lieu! Y compris le week end à 1 heure du matin….
    Lorsque Chaplin est à la chaîne au début des Temps Modernes, il s’en sort , arrive à suivre tant bien que mal, il s’adapte car il fait partie d’une culture d’une civilisation. Puis on expérimente sur lui la machine à embouffer pour qu’il puisse ne pas quitter la chaîne pendant qu’on lui fait le plein. La machine se dérègle et ensuite il ne peut plus suivre à la chaîne et finit par se faire happer: magnifique et géniale métaphore de la destruction de la culture et de ses conséquences,( car la coiffure, le vêtement et la façon de se nourrir sont des éléments fondamentaux d’une culture ) et de fait on lui a CASSE SON RAPPORT AU TEMPS! (Il va ensuite régresser jusqu’à l’animal avant de renaître ailleurs.)
    Les soi disant smart watches sont des pions désormais visibles et séduisants des casseurs de civilisation, de ceux qui, comme dans le Full Metal Jacket de Kubrick nous mènent à la fin dans un monde de ruines et de flammes dans lequel toute humanité à été déstructurée et ce jusqu’au langage puisque les errants armés du film ne peuvent plus que répéter, épeler en boucle M I C…K. E Y. …. M… O…U. ..S…E. !

    RIDEAU!

    Merci Damien Rambaud.

    Bonjour chez vous .

    1. Avatar de vigneron
      vigneron

      Quel roman de Dumas commence ainsi ? Entre Breton citant Valéry et Dumas comme ça y’a un écart.

      1. Avatar de Steve
        Steve

        @ Mon cher Valéry
        Merci pour la pince à épiler! le poil n’était effectivement pas droit
        Steve

  13. Avatar de CHAPONIK
    CHAPONIK

    il faut le constater dans l’Histoire le temps du malheur n’arrive pas au même moment
    pour tous les peuples. Il apparait que ce n’est que lorsque le temps du malheur devient le même pour tous qu’il y a réveil des consciences. Retrouver le temps du bonheur devient alors indispensable. Il y aura sacrifices mais ils seront accomplis.

    Eliane C

    1. Avatar de Juannessy
      Juannessy

      J’avais aussi ressenti quelque chose de cet ordre en écrivant que le choc métaphysique du siècle , qui va bousculer les consciences , c’est la perception par l’immense majorité de la fin des rêves de far west(s) au moins spatiaux pour s’en tirer en allant planter sa tente plus loin , et que l’issue à notre tragédie passe davantage par notre utilisation du temps imparti ( et pas aussi élastique qu’on l’aurait cru ) que par la consommation d’objets et de matière .

    2. Avatar de GUDULE
      GUDULE

      Trés beau discours de v

  14. Avatar de GUDULE
    GUDULE

    bonjour à toutes et tous,

    ATTENTION : Nuages noirs sur nos libertés individuelles et dérives néo sécuritaires graves, !!!

    le cyber flicage institutionnalisé !
    http://blogs.mediapart.fr/edition/libres-enfants-du-numerique/article/110415/loi-renseignement-peut-encore-croire-la-democratie-parlementaire

    Extrait , je cite  » Lors du vote de la loi de police du 13 novembre 2014, dite loi « Terrorisme », j’avais émis le vœu qu’on puisse compter un par un ceux qui sauveraient l’honneur en votant contre la loi. Les manœuvres des présidents de groupe pour rejeter le vote solennel avaient permis d’éviter ce décompte, même si Isabelle Attard (et elle seule) avait alors pu voter contre. Cette fois-ci nous échapperons à cette mascarade, il y aura bien un vote solennel. Et c’est tout aussi solemnellement que je le dis : si la loi est adoptée sans que les alinéas 14 à 16 de l’article 2 soient supprimés intégralement, ce sera un devoir impérieux de combattre la société de surveillance et de suspicion généralisées à laquelle une telle loi illégitime et attentatoire aux droits les plus fondamentaux ouvrirait la porte. »

    cordialement

  15. Avatar de redrock
    redrock

    Sur, que continuer à lire le Monde ne relève pas de l’infini et ne peut apporter cette plénitude-béatitude-qui semble vous manquer.
    C’est que les mMondes ont changé et que leurs changements sont bien liés mais ce n’est pas celui de la majuscule qui vous le dira, trop occupé à servir ses nouveaux maitres!

  16. Avatar de GUDULE
    GUDULE

    Trés beau discours de Vacla Havel, sage et visionnaire, arrivée à un certain stade d’interconnexion, l’humanité , ce monde multi polaire devra s’ouvrir à plus de sagesse , de solidarité et de tolérance pour pouvoir survivre et cela passe nécessairement par des bouleversements de conscience majeurs et donc du rapport au monde vivant dans son intégralité,
    en fait un changement de paradigme.

    je cite :  » Et les commandements de base de cette spiritualité archétypale ne sont-ils pas en harmonie avec ce qu’une personne même irreligieuse – sans savoir exactement pourquoi – peut considérer comme juste et plein de sens ?

    Naturellement, je ne suggère pas que les hommes modernes puissent être contraints d’adorer d’anciennes déités ou d’accepter des rituels qu’ils ont depuis longtemps abandonnés. Ce que suggère est quelque chose de tout à fait différent. Nous devons arriver à une profonde connexion mutuelle ou parenté entre les diverses formes de notre spiritualité. Nous devons nous souvenir de notre substance originellement spirituelle et morale, qui s’est développée à partir de la même expérience essentielle de l’humanité. Je crois que c’est là le seul moyen de réaliser une authentique régénérescence de notre sens de la responsabilité envers nous-mêmes et envers le monde. Et, en même temps, c’est le seul moyen de réaliser une compréhension plus profonde entre les cultures qui les rendra capables de travailler ensemble dans un esprit authentiquement œcuménique afin de créer un nouvel ordre du monde. »

    e t » Il ne sera certainement pas facile d’éveiller en l’homme un nouveau sens de la responsabilité pour le monde, une capacité à se conduire comme s’il devait vivre sur cette terre pour toujours, et d’être comptable un jour de son état. Qui sait combien de cataclysmes horribles devront se produire avant qu’un tel sens de la responsabilité soit admis ? Mais cela ne signifie pas que ceux qui désirent y contribuer ne puissent pas commencer immédiatement. C’est une grande tâche pour les professeurs, les éducateurs, les intellectuels, le clergé, les artistes, les entrepreneurs, les journalistes, pour tous ceux qui exercent une activité dans la vie publique.  »

    puissions nous tous nous en inspirer……….

    cordialement

    1. Avatar de redrock
      redrock

      Seul, le dernier paragraphe est authentiquement visionnaire mais il masque cependant le fait essentiel que ce sont uniquement les systèmes de pouvoir en place qui bloquent les nécessaires évolutions que beaucoup ont déjà décrites, particulièrement sur ce blog.

      L’Humanité, dans son ensemble, ne fait que subir mais les intellectuels et globalement tous les « hommes de bonne volonté » ont déjà les clés des problèmes posés.
      C’est le pouvoir et tous ses séides-dont le Monde-qui verrouillent les serrures.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Mais, bonne nouvelle dans ce monde de brutes : Fitch et Moody’s laissent la note de la France inchangée… 🤑 https://www.tdg.ch/dette-fitch-et-moodys-laissent-inchangees-la-note-souveraine-de-la-france-766745382534

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta