La rémunération des patrons

Je regardais tout à l’heure l’audition de Michel Aglietta sur la crise financière, le 2 avril devant le Sénat. Ce qu’il a dit était, comme à son habitude, excellent. J’ai beaucoup aimé ses remarques sur l’hypertrophie financière, par contre sa réponse à la question relative à la rémunération des patrons m’a un peu laissé sur ma faim. Comme j’ai quelque chose dans mes tiroirs sur cette question, je ne résiste pas à la tentation de vous le montrer.

Les dirigeants d’entreprises s’assurent toujours davantage la part du lion dans le partage des profits. Il en a résulté que leur rémunération n’a pas cessé d’augmenter et que l’écart s’est creusé entre la rémunération de l’employé moyen et celle du patron. A la fin du XIXème siècle, le fameux financier américain J. P. Morgan (1837–1913) aimait justifier le fait qu’un patron gagne vingt fois plus que l’employé moyen de sa firme. En 2005 aux États–Unis, le même coefficient était passé à 160. Lorsqu’en décembre 2001 la firme Enron, spécialisée dans le négoce de l’énergie, fit faillite, un fonds d’aide d’urgence à ses 4 500 employés fut créé, d’un montant de 5 millions de dollars. Un autre fonds avait été créé parallèlement dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, visant à la rétention des dirigeants clé de la firme. L’un de ceux–ci reçut une somme du même montant : 5 millions de dollars, en échange simplement de la promesse de ne pas quitter la firme pendant quatre–vingt–dix jours.

Les dirigeants d’entreprises ont également découvert de nombreux moyens permettant que des gains circonstanciels se transforment en gains permanents. Il leur est aisé par exemple de se laisser porter par la vague en période faste tout en protégeant leurs acquis durant les périodes difficiles. Les stock options leur offrent une prime équivalent à l’application d’un coefficient multiplicateur à la plus–value du cours de l’action de la firme, sans affecter la rentabilité de celle–ci. Elles permettent en fait aux dirigeants de détourner une partie importante des profits destinés aux actionnaires, l’attribution de ces options entraînant une dilution des actions de la firme et constituant du coup une simple ponction sur la part réservée traditionnellement aux investisseurs. Lorsque se développe une bulle boursière, la montée générale du cours des actions fait que les stock options assurent aux dirigeants d’entreprises une simple rente, indépendante de la rentabilité de leur propre firme.

A l’inverse, un excellent exemple de patrons ayant trouvé le moyen de protéger leurs acquis fut offert en mars dernier par Washington Mutual, qui avait été l’un des leaders dans l’attribution de prêts hypothécaires subprime aux Etats-Unis. La banque annonça en effet que le calcul des primes de ses dirigeants pour l’année 2008 n’inclurait pas le montant de certaines pertes liées aux prêts hypothécaires et aux saisies de logement, postes qui sont bien entendu au cœur de l’activité de la firme. La mesure avait été décidée en respectant les formes par le comité directeur de Washington Mutual qui – selon l’usage – est essentiellement composé de dirigeants d’autres entreprises.

Contribuent à cette asymétrie à la baisse et à la hausse de la rémunération des patrons, certains mécanismes unidirectionnels favorisant la surenchère. Ainsi David Leonhardt du New York Times expliquait il y a quelques années que « Les conseils de direction s’assurent en général les services de consultants en matière de rémunération pour en déterminer le niveau–cible. Il est cependant courant que le P–DG lui–même travaille en collaboration étroite avec ces consultants pour mettre au point la proposition qui sera soumise au conseil. Les directeurs l’approuvent le plus souvent, soit parce qu’ils supposent que le P–DG est le mieux à même d’évaluer sa compagnie, soit parce qu’ils sont eux aussi P–DG et que leur rémunération est fixée par rapport à un barème défini pour l’ensemble des principales firmes américaines. Quelle est la compagnie en effet qui n’entend pas offrir à ses dirigeants des revenus « supérieurs à la moyenne » voire au sein des 25 % supérieurs ? Ce système de surenchère tire bien entendu d’année en année ce barème vers le haut » (David Leonhardt, Did Pay Incentives Cut Both Ways ?, New York Times, le 7 avril 2002).

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