1930 : KEYNES A L’ESPRIT AILLEURS

A Treatise on Money et ses 771 pages, paraît en 1930.

Mais où est donc passé le John Maynard Keynes que nous avons connu jusque-là ?

« Les idées que j’ai fini par avoir sont très différentes de celles avec lesquelles j’avais débuté, écrit-il dans la préface. Le résultat en est, j’en ai peur, qu’une grande partie de ce livre reflète le processus par lequel je me suis débarrassé des idées qui étaient les miennes pour devenir celles que j’ai maintenant ».

Et il ajoute : « J’imagine néanmoins que ma décision est bonne d’offrir mon livre au monde pour ce qu’il vaut au stade qu’il a maintenant atteint, même s’il ne constitue que des matériaux rassemblés plutôt qu’un ouvrage achevé ».

Où est le Keynes qui en 1919, évoquait dans The Economic Consequences of the Peace les grands de ce monde comme autant de sinistres pantins ne cherchant qu’à faire carrière ? Où est le Keynes qui en 1925, dans The Economic Consequences of Mr. Churchill expliquait au fameux ministre des finances de sa majesté comment fonctionne une monnaie et que l’étalon-or auquel il tient tant n’est qu’une survivance barbare ?

Il n’est pas vrai que le Treatise on Money soit un ensemble de pensées disparates car son sujet est systématiquement traité, mais on y trouve tout au long le Keynes sur la défensive que l’on a découvert d’emblée dans la préface. Si un sentiment de malaise se dégage de l’ensemble, c’est que Keynes n’a pas su distinguer l’essentiel de l’accessoire : il s’est apparemment senti obligé de dire tout ce qu’il savait sur la monnaie, sans avoir su faire ce tri auquel tout auteur est astreint entre ce qui a pu retenir son attention pour une raison quelconque au cours de la rédaction et ce qui est susceptible par ailleurs d’intéresser un lecteur.

1930, c’est l’année aussi où Keynes met la dernière main à « The Economic Possibilities of our Grandchildren », les alternatives économiques de nos petits-enfants, cette conférence qu’il aura donnée à plusieurs reprises depuis 1928. Or il n’aura pas de petits-enfants, et Lydia et lui n’auront pas eu d’enfants. Toute la perspicacité de Skidelsky, biographe émérite de Keynes, n’a pas suffi à découvrir ce qui s’était véritablement passé. Un vague propos ici dans une lettre fait-il allusion à une hystérectomie ? Quoi qu’il en soit, le désarroi d’un auteur incapable de faire le tri dans un manuscrit trop copieux ne reflète peut-être rien d’autre qu’un esprit occupé ailleurs, en proie au souci et à une grande tristesse.

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