Quelques réflexions sur le Grand Défi, par Cédric Mas

Billet invité.

Tandis qu’une nouvelle étape portugaise de la crise s’enclenche sous nos yeux, admirablement décrite au quotidien par François Leclerc, nous constatons que les foyers épars qui s’embrasent sont de plus en plus nombreux, de plus en plus chauds et de plus en plus près.

Je découvre la dernière vidéo du vendredi de Paul Jorion. Le grand défi est dynamique et surtout remarquablement analysé. Une nouvelle fois, Paul Jorion met dans le mille, même si c’est toujours avec un tel temps d’avance qu’il ne lui en sera rendu aucune récompense.

Comment conjurer la mise en œuvre de la loi de physique classique qui veut qu’à un certain niveau de déperdition d’énergie, il faille passer à la combustion ?

Que les scientifiques me pardonnent cette description avec des mots simples, sûrement erronés d’un point de vue scientifique, de ce que j’ai compris du problème.

Le poids des lois de la physique appliquées à un tel niveau macro (ou méta-) semble de prime abord irrésistible.

Sommes-nous pour autant dépourvus de moyens ? Quels peuvent être les facteurs permettant d’espérer une inflexion, et d’agir dans ce sens ?

Relevons tout d’abord que tout n’est pas perdu, et que l’homme dispose grâce à son esprit des capacités de s’affranchir de nombreuses lois de la physique (de la thermodynamique serait plus exact), de s’affranchir est peut-être un mot erroné mais en tout cas de les dompter, de s’en accommoder. Il suffit de songer aux immenses énergies libérées par le progrès dans la domestication du feu, de l’énergie nucléaire, et utilisées notamment pour passer outre aux lois de la gravité ou prendre la main sur les molécules voire la procréation (je mélange sûrement plein de choses scientifiquement différentes, me diront fort justement les experts, mais d’un point de vue béotien, il y a là il me semble un phénomène global qui fait sens).

Jusque-là pourtant, force est de constater que la guerre a toujours fini par triompher, même dans des civilisations complexes et fines.

Pourtant.

Deux phénomènes nouveaux peuvent infléchir l’inéluctable (en apparence) :

a) les moyens militaires qui laissent de moins en moins la place à la guerre (ou en tout cas à la victoire), avec l’arme atomique. Je souris d’avance à l’idée que bientôt les défenseurs de la civilisation devront se mobiliser pour que l’austérité budgétaire ne frappe pas (le processus est déjà commencé) les capacités de frappes nucléaires honnies – fort légitimement – par les précédentes générations d’intellectuel. Jamais l’adage romain n’a été aussi vrai « Si vis pacem, para bellum atomicum » (adage légèrement adapté par mes soins).

De ce point de vue là, malheureusement, si ce facteur est réel, il n’est pas suffisant, et les derniers conflits montrent que même les états pourvus d’une arme nucléaire peuvent être défaits. Qui plus est l’utilité d’une arme nucléaire est nulle dans une guerre civile.

b) le second facteur est l’émergence d’un cerveau collectif globalisé grâce à internet. Là est selon moi le vrai facteur qui peut se révéler décisif. Car avec lui vient l’avènement d’une opinion publique mondiale et globale, qui progressivement va amener partout la prise de conscience de’ l’existence d’un intérêt commun. L’évolution d’un tel phénomène est déjà connue à des échelles plus réduites (avènement de conscience nationale, puis d’une communauté raciale ou religieuse).

Les effets de cette émergence sont multiples : outre les aspects historiques bien connus, avec une évolution durable des méthodes et des niveaux de gouvernement (les seuils et critères de légitimité évoluent d’abord, puis après confrontation, les structures de pouvoirs politiques changent – ou devraient changer si elles ne s’effondrent avant), j’entrevois que ce cerveau collectif est d’ores et déjà capable de mobiliser des capacités intellectuelles inconnues. Ces capacités seront-elles à la taille du défi posé, que PJ a été l(‘un des premiers à décrire aussi clairement ? Poser la question c’est déjà y répondre : oui mais au dernier moment (comme d’habitude – l’homme est une espèce colonisatrice, prédatrice mais aussi procrastinante – ce mot n’existe pas mais l’idée existe).

Il est intéressant de relever que la guerre comme solution à une « surchaufe » d’un système en voie de déclin, a toujours été historiquement déclenchée lorsque deux inégalités se cumulent et dépassent certains seuils qui deviennent inacceptables : l’inégalité des richesses mais aussi celle de la connaissance (de l’information diraient certains). or si aujourd’hui l’inégale répartition des patrimoines et des revenus atteint à nouveau des seuils critiques, la connaissance n’a jamais été autant répartie : diplôme, accès à internet, niveau de réflexion… Jamais dans l’histoire de l’humanité des sociétés n’ont reposé sur des populations autant éduquées et cultivées (même si les dernières évolutions montrent dans les pays occidentaux une dégradation de l’éducation – j’y reviendrai).

Grâce à la mobilisation de tous les esprits de bonne volonté, le défi peut être relevé.

Après avoir listé les facteurs de divergence permettant d ‘espérer une évolution, ne versons pas pour autant dans un optimisme débilitant, et réfléchissons à ce qui pourrait ne pas marcher, ne pas permettre de relever le défi.

Plusieurs aspects là encore qui me paraissent pouvoir guider notre action à venir :

1) les déséquilibres démographiques : là encore, rien que de classique. Dans les facteurs belligènes, les déséquilibre démographiques, et les flux migratoires qu’ils induisent ont toujours constitué l’un des ferments des guerres. Pour autant, il convient de relever l’élévation globale de l’âge moyen (et médian) des populations qui peut limiter l’impact de ce facteur belligène (les guerres sont toujours déclenchées par des sociétés jeunes, subissant un trop plein de jeunes gens).

Grâce aux travaux de Todd et Courbage, nous pouvons ainsi suivre les évolutions des guerres grâce aux facteurs démographiques (et d’alphabétisation). cependant les zones à risque se réduisent, même si de nouveaux déséquilibres apparaissent au sein des régions qui auraient dû être apaisées.

À notre niveau la continuité territoriale et les équilibres entre les régions doivent donc être un enjeu essentiel des politiques de demain (personne ne sera surpris si je précise que c’est justement l’inverse qui est aujourd’hui poursuivi par les politiques actuelles en Europe). Voilà déjà un premier objet d’action.

2) les capacités des gouvernants et des élites actuelles à entraver le cerveau collectif

D’abord par le contrôle des liaisons internet, les coupures ou pire le contrôle du contenu. Relevons que la seule surveillance avec enregistrement importe peu, mais nous touchons là à un vrai risque engendrant des contraintes.

Ensuite et surtout par la dégradation de l’éducation. Je reste frappé par le peu de mobilisation autour de cet enjeu majeur livré aux intérêts communautaristes dangereux et au clientélisme politicien le plus vil.

Qui se soucie des fonctions d’ouverture et d’unité de l’école ? Evaluée aux seuls résultats quantitatifs dans des matières scientifiques et médicales qui n’éduquent pas à l’humanisme, au goût de la culture et de la vie (les informaticiens font de très bons djihadistes, comme les médecins s’accommodèrent très bien des camps).

Qui s’intéresse aux nouvelles méthodes éducatives (grâce aux technologies média) et surtout à la nécessité d’intégrer dans l’éducation de nouvelles matières (par exemple : internet et média), seule vraie solution pour lutter contre les pires effets du Web (meilleur terrain de recrutement des mouvements extrémistes de tout poil) ?

Il ne faut pas sous-évaluer cet enjeu et le risque que nos élites sabotent le cerveau collectif en train d’émerger lentement, ce qui « casserait » la dynamique créée, et empêcherait de relever le défi dont Paul Jorion nous parle. La capacité suicidaire d’élites en faillite est un phénomène historique bien connu à travers les âges, et qui a engendré la disparition de civilisations très anciennes.

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