Le mystère du fantomatique « chapitre 5 » (IV) Le rendement du capital provient du travail appliqué aux ressources naturelles

Le mystère du fantomatique « chapitre 5 » (I) Une trouvaille
Le mystère du fantomatique « chapitre 5 » (II) Keynes pressé par son agenda politique ?
Le mystère du fantomatique « chapitre 5 » (III) « Le taux d’intérêt tend à être égal au rendement marginal du capital »

Lisons un passage du « chapitre 5 » intitulé « Quasi-rent and the marginal efficiency of capital » d’un manuscrit perdu de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), datant de 1933 ou 1934 et retrouvé en 1976 dans un panier à linge à Tilton House, l’ancienne maison de campagne de John Maynard Keynes. Ce passage sera repris dans la Théorie générale à l’exception de l’expression « rente au sens large » remplacée par « rendement ». Keynes remplacera également, le mot « classique » par le mot « préclassique » dans l’expression « la doctrine classique ».

« Je préfère de loin dire du capital qu’il possède une « rente au sens large » que dire qu’il est productif. La raison pour laquelle un actif a un rendement durant la période de sa vie où il offre ses services, ayant une valeur agrégée supérieure à ses coûts de production, est simplement due au fait qu’il est rare. J’ai une certaine sympathie, du coup, pour la doctrine classique qui veut que tout est produit par du travail en conjonction, si vous voulez, avec ce qu’on avait l’habitude d’appeler l’art et que l’on appelle aujourd’hui la technique, que viennent compléter les ressources naturelles qui sont gratuites ou qui coûtent une rente selon leur rareté ou leur abondance, et par les résultats du travail passé, incarné dans des actifs, qui peuvent exiger un prix égal ou supérieur au prix du travail inclus en eux selon leur rareté ou leur abondance » (Keynes [1933-34] 1976 : 116).

Un examen même cursif de ce passage offre la réponse à la question posée par Keynes : la raison pour laquelle ces actifs génèrent un surplus n’a aucun rapport avec la rareté. Comment la rareté en tant que telle pourrait-elle en effet produire un surplus ? Ce qui produit un surplus, c’est l’investissement en travail appliqué aux aubaines que produit la nature : ce que Keynes appelle les « ressources naturelles ». Ce qui donne l’impression d’une « rareté », c’est le mode de redistribution de cette nouvelle richesse créée, qui ponctionne sur elle une rente, non pas en raison d’une « rareté » à proprement parler mais beaucoup plus simplement en raison de l’institution que nous cautionnons, consciemment ou inconsciemment, de la propriété privée.

C’est le rapport de force entre les parties en présence qui décidera du montant qu’atteindra la nouvelle richesse créée et de sa redistribution. Ces parties en présence sont : 1° le propriétaire de la ressource, 2° les travailleurs générant le surplus avec la complicité des aubaines que sont la générosité de la nature et le bénéfice de l’organisation collective du travail sur laquelle Proudhon (1809-1865) avait attiré l’attention dans l’exemple de l’érection et l’obélisque de Louxor sur la place de la Concorde à Paris : « Suppose-t-on qu’un seul homme en deux cents jours en serait venu à bout ? » (Propriété, 1er mémoire ; cité par Gide & Rist 1909 : 337), 3° l’« entrepreneur » : l’industriel superviseur orchestrant l’organisation collective et 4° le commerçant qui offrira un premier prix pour le produit fini tout en se réservant un profit sr la revente ultérieure, et qui décidera par le montant de son achat de celui de la nouvelle richesse créée.

La rareté apparente n’est en réalité qu’un artefact de la propriété privée exigeant une rente sur l’aboutissement d’un processus global combinant un ensemble d’« avances » : ressources naturelles, travail, et capital – mais présence du capital nullement par nécessité structurelle : seulement parce que nous l’avons bien voulu, parce que quand quelqu’un a dit : « Ceci est à moi ! », personne ne s’est élevé, comme l’aurait souhaité Rousseau, pour s’écrier : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne » (Rousseau [1755] 1966 : 164).

La sympathie exprimée par Keynes envers la doctrine « classique » ou « préclassique », équivaut à la proposition que « le taux d’intérêt tend à être égal au rendement marginal moyen du capital à venir » car elle en est la conséquence immédiate, proposition que Keynes avait dû démontrer antérieurement dans son manuscrit puisqu’il fait précéder son énoncé de la formule : « nous avons vu que… ». Cette sympathie en restera cependant là puisque l’équivalence du taux d’intérêt au rendement marginal du capital sera balayée par l’alternative que constitue dans la Théorie générale l’équivalence du taux d’intérêt à la préférence pour la liquidité.

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Gide, Charles & Charles Rist, Histoire des doctrines économiques depuis les physiocrates jusqu’à nos jours, Paris : Sirey 1909

Keynes, John Maynard, « 5 Quasi-Rent and the Marginal Efficiency of Capital », 1933-34, Collected Writings Volume XXIX, Cambridge : Macmillan / Cambridge University Press for the Royal Economic Society, 1979 : 111-120

Rousseau, Jean-Jacques, Å’uvres complètes III. Du contrat social, Écrits politiques, Paris : La Pléiade, Gallimard 1966

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