Le mécanisme de la crise du crédit

Les phénomènes humains collectifs sont en général difficiles à analyser et par conséquent à comprendre ou à expliquer. La raison en est que même si à la base le mécanisme est simple, les êtres humains apprennent : ils observent le mécanisme à l’œuvre et s’y adaptent et cette adaptation–même en modifie les termes, déclenchant une dynamique de changement. Une telle rétroaction rend le phénomène complexe et sa description ardue.

Parfois, heureusement, comme dans le cas présent, celui du tarissement du crédit sur le marché des capitaux, le mécanisme est relativement simple et donc explicable de manière relativement aisée : la crise résulte d’une distorsion du principe de l’assurance due à deux facteurs accessoires propres au cas de l’immobilier américain : la parcellisation de l’assurance entre un nombre considérable d’« assureurs » et l’alternance des périodes « avec » et « sans » sinistre.

Dans l’assurance, la principale composante de la prime acquittée par l’assuré est la prime de risque, dont le coût reflète le montant du sinistre multiplié par sa probabilité. Le principe de l’assurance fonctionne pour deux raisons : d’une part, parce que les sinistres sont rares et se produisent de manière aléatoire et d’autre part, du fait que l’assureur est présent sur le long terme et peut donc étaler les pertes qu’il subit à l’occasion de sinistres grâce aux assurés qui s’acquittent de la prime sans subir de sinistre.

Le prix d’un prêt au logement comprend lui aussi une prime de risque mais le schéma classique est dévoyé ici des deux manières que j’ai indiquées : d’une part, parce que les sinistres sont regroupés dans le temps du fait que la santé du secteur est sinon cyclique, du moins connaît une alternance entre des périodes fastes où pratiquement tous les emprunteurs sont à même de rembourser leur prêt (du fait que le prix des habitations croît de manière constante et qu’il existe donc toujours une issue de secours consistant à revendre la maison à un prix plus élevé que celui à l’achat) et des périodes où au contraire beaucoup y échouent (parce que cette fois le prix des habitations baisse) ; d’autre part, parce que l’assureur n’est pas présent ici sur le long terme mais est constitué de la multitude des investisseurs ayant temporairement acquis des Mortgage–Backed Securities (MBS) ou des Asset–Backed Securities (ABS), ces titres adossés à plusieurs milliers de prêts individuels constitués en une obligation unique.

Le prix d’un prêt au logement comprend, je l’ai dit, une prime de risque, calculée sur la longue durée. Mais les périodes alternent où très peu d’emprunteurs défaillent et celles où au contraire un grand nombre subissent ce sort. Dans les périodes du premier type, la prime de risque est sur–évaluée : son taux ne vient pas compenser des pertes effectives et les investisseurs en MBS et ABS se remplissent les poches, la sur–évaluation objective de la prime de risque envisagée sur le court terme constituant leur profit. C’est durant une telle partie favorable du cycle que les officines de Wall Street rivalisèrent pour acheter des ABS remplies de petits prêts « subprime » d’un excellent rendement et les utilisèrent comme la farce des CDO qu’elles émirent. Dans la seconde partie du cycle, sa partie défavorable, quand le prix des maisons baisse et que de nombreux emprunteurs n’arrivent plus à faire face à leurs obligations, la prime de risque est alors objectivement sous–évaluée : elle ne parvient pas à compenser les défaillances effectivement enregistrées et les investisseurs essuient des pertes, ils y sont cette fois, de leur poche. Sur le marché secondaire, les vendeurs se voient alors obligés de brader leur produit pour arriver à le vendre ou, ce qui revient au même, d’augmenter artificiellement son rendement jusqu’à reproduire une prime de risque correspondant au risque effectivement couru.

Comme on le voit donc, dans le cas de l’immobilier résidentiel américain, les deux facteurs accessoires, de la cyclicité ou de la pseudo–cyclicité, d’une part, et de la parcellisation des assureurs, d’autre part, ont enrayé la belle logique de l’assurance. Il ne s’agit donc nullement avec le tarissement du marché des capitaux auquel on assiste en ce moment, et comme on l’entend souvent répéter ces jours–ci, d’un phénomène de contagion mais simplement du fait que les prêts hypothécaires « subprime » contiennent une prime de risque qui est aujourd’hui objectivement sous–évaluée et que cette sous–évaluation ne peut manquer de se révéler partout où ces prêts sont présents, qu’ils aient été reconvertis dans des Asset–Backed Securities (ABS), dans des Collateralized Debt Obligations (CDO), ou dans des billets de trésorerie (commercial paper) que s’échangent les entreprises et les organismes financiers.

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3 réponses à “Le mécanisme de la crise du crédit”

  1. […] les autres, je voudrais y revenir, en développant un aspect que je n’ai fait qu’effleurer dans Le mécanisme de la crise du crédit ainsi que dans le blog d’hier : les modèles qui se fondent sur l’analyse de comportements […]

  2. […] de la crise des subprimes (Crise du « subprime » et titrisation) et du tarissement du crédit (Le mécanisme de la crise du crédit) que les deux crises découlaient du fait que la prime de risque comprise dans le taux […]

  3. Avatar de Soriano

    Dans un post critique concernant votre « tournant keynésien » j’ai oublié de vous remercier pour le très grand intérêt de vos analyses. Le présent papier, en particulier, est absolument capital pour tout comprendre de ce que nous cachent les « crises » et cela dans des termes parfaitement accessibles au sens commun. Bravo et encore merci.

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