Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Accompagnant la suggestion de « punir les coupables », on entend dire aujourd’hui que « moraliser la finance » ferait partie de la solution à la crise.
D’une certaine manière la totalité de Investing in a Post-Enron World (McGraw-Hill 2003) et la première partie de Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte 2007), sont consacrés à la fraude dans les milieux financiers.
J’ai déjà évoqué cette question dans Banalité et immoralité où je constatais « que dans le monde des affaires, rien ne prévient automatiquement les décisions rationnelles contre l’immoralité » et le fait est que sous sa forme actuelle, le capitalisme n’est pas moralisable : un système financier fondé sur les paris relatifs à l’évolution des prix, est nécessairement ancré dans le conflit d’intérêts. Toute information dont vous disposez personnellement et à laquelle les autres n’ont pas accès vous procure un avantage stratégique. Ne pas l’utiliser fait de vous non seulement un imbécile mais un perdant immédiat puisque le reste du monde exploite pour son bénéfice ce qu’il apprend de son côté sur l’évolution de ces prix dans les paris qu’il ou elle fait sur eux.
Sous la forme qui est la sienne aujourd’hui, le système financier offre une telle prime à la fraude que son fonctionnement normal est celui où chacun triche partout où l’occasion lui en est donnée : du délit d’initié à la comptabilité « créative », en passant par l’anti-datage des stock options. Le fonctionnement des salles de marché des établissements financiers repose entièrement sur le délit d’initié que constitue la connaissance des ordres des clients et l’exploitation faite pour son propre profit de cette information « confidentielle » aux yeux du monde, mais nullement pour soi.
C’est là une autre vertu de la mesure que je préconise de l’interdiction des paris sur l’évolution des prix : en éliminant la prime à la fraude, elle introduit une moralisation immédiate des pratiques, et ceci sans l’adjonction de règles accessoires.
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