Décroissance pratique : réduire la vitesse, par Samuel Gérard

Billet invité.

Ces temps de crise sont souvent propices à l’émergence d’idées nouvelles, et offrent souvent les conditions nécessaires aux changements en rapport.

Le document qui suit propose une telle idée, dont le fondement n’est pas technique, mais infiniment pragmatique. Elle pourrait révolutionner l’univers des transports.

L’analyse des données les plus fondamentales (disponibilité des ressources s’amoindrissant, perspectives de croissance automobile insoutenables, techniques alternatives impuissantes en l’état, aliénation des comportements), permet de dégager une idée force : dans un monde ou l’être humain fait de plus en plus sentir le poids de ses actions, la décroissance doit passer par certains facteurs physiques avant tout. En matière de transport, la variable d’ajustement est la vitesse. Il convient en période d’urgence de la réduire drastiquement.

La proposition de réduire la vitesse maximale autorisée sur route à 60km/h de façon « universelle » pourra choquer ou faire rire. A la réflexion il n’en reste pas moins qu’elle constitue une solution à très court terme à de nombreux problèmes (énergétiques, environnementaux, économiques, industriels…).

Ses conséquences vertueuses dépassent de très loin le simple cadre des transports (on peut citer l’urbanisme, la relocalisation économique, la re-socialisation des espaces, la réduction de la fracture technologique, etc…).

A moyen terme, il faut bien avoir à l’esprit que le monde entier gagnera à appliquer une mesure globale de limitation drastique de la vitesse. Il va même de soi que cela pourrait constituer une transition moins brutale vers la société « sans voiture » qui pourrait nous être imposée à terme par la diminution des ressources, ou vers une société à énergie solaire, ou ce que vous voudrez d’énergétiquement et écologiquement soutenable.

Cette mesure ne constituerait pas une atteinte au progrès, dont la notion forcément relative varie énormément selon les angles d’analyse (en cela, la moindre pollution, la préservation des ressources, la relocalisation de l’économie et la diminution des accidents représenteraient aussi un progrès remarquable).

Il est également probable qu’individuellement, une majorité de citoyens ne soit pas préparée à une telle mesure. Mais les jeunes générations semblent malgré tout se faire à l’idée d’un monde moins fondé sur la toute puissance de l’automobile individuelle, puisqu’elles favorisent de plus en plus l’achat de petits véhicules simples, la location d’automobile et les transports en commun. Collectivement, faisons-nous confiance : nous saurons plus facilement nous adapter à un monde moins rapide qu’à l’effondrement brutal d’une société principalement fondée sur le pétrole.

Il faut enfin considérer avec gravité qu’historiquement, chaque période de grandes pénuries et de marasme économique a engendré guerre, génocides et fascisme.

Nous vivons un instant peut-être historique : le passage d’une société du « toujours plus et plus vite » à une autre du « moins et mieux ». Voici donc venu le moment de nous résoudre à modifier certains de nos standards, quitte à faire quelques – grandes – concessions sur ce que nous considérons – sans doute à tort – comme des éléments indispensables au bien être. « The American Way of Life is not negotiable », disait Georges Bush père lors de la conférence de Rio en 1992, et nous autres de nous indigner. C’est sans doute le moment de prouver que cette indignation n’était pas qu’une posture, et il va de soi que la plus grande partie de la réussite de cette entreprise dépendra de notre faculté à adapter ainsi nos comportements.

TRANSPORTS : L’IMPUISSANCE EST POUR DEMAIN

SOMMAIRE

AVANT PROPOS CANDIDE

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE : LES SOLUTIONS TECHNIQUES

Idée reçue 1 : il y a bien assez de pétrole pour tous et pour des décennies encore
Idée reçue 2 : remplaçons les produits pétroliers par les agrocarburants
Idée reçue 3 : passons à la propulsion électrique
Idée reçue 4 : vive la voiture hybride
Idée reçue 5 : l’air comprimé comme vecteur énergétique
Idée reçue 6 : la solution est la voiture à hydrogène
Idée reçue 7 : améliorons simplement le rendement des véhicules « standards »
Idée reçue 8 : « ils » vont bien inventer/trouver quelque chose au moment voulu
Les autres solutions techniques
Conclusion de la première partie

DEUXIEME PARTIE : LES SOLUTIONS COMPORTEMENTALES

La solution de l’autolimitation et les changements d’outils
Conclusion de la deuxième partie

TROISIEME PARTIE : LIMITER LA VITESSE DE MANIERE DRASTIQUE

Avantage 1 : limiter la consommation d’énergie, tout en permettant l’émergence de nouvelles techniques
Avantage 2 : limiter l’impact des gaz à effet de serre
Avantage 3 : favoriser les comportements les plus sobres
Avantage 4 : permettre l’instauration d’une taxe carbone
Avantage 5 : relocaliser et restructurer l’économie
Avantage 6 : Donner la possibilité aux citoyen d’être acteurs du changement
Avantage 7 : faire sortir du marasme une industrie automobile en panne, et au-delà une économie en récession
Avantage 8 : diminuer le coût social et financier des accidents de la route

CONCLUSION

REFERENCES

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AVANT-PROPOS CANDIDE

Au commencement de l’Histoire il y avait l’Homme, qui ne pouvait compter que sur ses propres forces. Après sans doute bien des tentatives et des échecs, Il parvint à dompter l’Animal, lequel lui fournît un surcroît de force dans son travail. La vie devint ainsi plus facile par certains aspects. D’ères en époques, l’Homme constata que mettre ses congénères au travail pour ses besoins personnels accroissait encore sa capacité d’agir. Ainsi certains individus se croyaient-ils puissants, ainsi se pensaient-ils libres. Mais l’Homme comprit un jour, au cours d’un cheminement difficile qui conduisait vers une société plus juste, que cela avait une conséquence désastreuse pour nombre de ses frères, qui d’esclaves devinrent alors citoyens. Par coïncidence (?) il réussit dans le même temps à remplacer la force musculaire par la force mécanique. Durant deux siècles, il se montra d’une ingéniosité prodigieuse, inventa toutes sortes de machines, se déplaça d’un bout à l’autre de sa planète, profitant de l’équivalent en puissance de plusieurs dizaines d’esclaves mis de la sorte à son service [1]
Cette fois, il était vraiment libre, se disait-il. Hélas, en plus de certains de ses semblables, c’est sa propre planète qu’il exploitait dès lors sans vergogne pour alimenter les besoins toujours croissants de ses inventions. Cette Terre, devant le pouvoir fabuleux de son hôte, commença à donner des signes de fatigue inquiétants. Il devint bientôt évident qu’elle ne serait plus à même d’assurer sa mission. l’Homme regardait cela mais, ivre de sa propre réussite et confiant en son destin, ne voulait pas y croire. Pourquoi et comment se départir, au moins temporairement, d’une partie de ce pouvoir ? Il ne voyait pas encore que sa soif inextinguible de puissance l’entraînait vers la déchéance et le chaos. De maître, il allait devenir esclave, faute de savoir contrôler ses ambitions.

INTRODUCTION

Nous voici donc à l’heure où les grandes puissances commencent à constater avec hébétude les conséquences de la folie dans laquelle nous a plongé la quête d’une puissance illimitée. La crise économique actuelle n’est qu’un corollaire navrant des inconséquences de nos comportements boulimiques. Nombreux sont ceux qui prennent conscience aujourd’hui que toute exploitation non raisonnée conduit tôt ou tard à la déroute, à la misère, à l’esclavage, à la mort.

Il est un exemple illustrant parfaitement ce récit : les transports routiers motorisés. Ils représentent tout à la fois le symbole d’une certaine puissance, d’une forme de liberté et de rêve pour tous, tout en étant responsables de plus de 40% de la consommation pétrolière mondiale selon l’observatoire de l’énergie (alors que les transports totaux en représentent 60% [2]), et de plus de 17% des émission de CO2 (secteur en très forte croissance [3]).
En France, les transports motorisés utilisent 56% du pétrole consommé [4], et sont responsables de 27% des émissions de gaz à effet de serre dues à l’activité humaine [5].
Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, le maintien des politiques énergétiques actuelles se traduira à l’horizon 2050 par une augmentation de la demande en pétrole de 70% (tandis que les émissions mondiales de CO2 augmenteront de 130 %). Cette tendance lourde est principalement liée au transports [6].
Dans ce contexte, les réserves prouvées ne devraient alors être capables, selon les pétroliers eux-mêmes, de fournir matière à carburer que pour les 35 années à venir. Et encore, en supposant que nous en restions à notre niveau actuel de consommation ! Le moment crucial, économiquement et symboliquement parlant, sera en réalité représenté par l’instant où la demande excédera l’offre, et où l’offre sera de plus en plus difficile à assurer à un coût acceptable. Or, cet instant est proche.

La crise énergétique est pour très bientôt. Elle touche même déjà certains pays, avec son cortège de conséquences allant de la hausse des prix des biens essentiels à la naissance des conflits les plus violents. Elle devrait vraisemblablement s’accompagner des conséquences d’une autre crise d’envergure planétaire, climatique cette fois, engendrée par les mêmes causes. Malgré l’imminence de ces deux crises, toutes deux fortement liées aux transports, il faut bien avouer que nous ne bougeons guère, bercés par les effets d’annonces de constructeurs présentant des modèles « propres et économiques » , d’ingénieurs promettant des avancées techniques définitives, « d’experts » ne voyant aucun problème de ressource ou de pollution, ou de politiques se réclamant de la paradoxale et par certains côtés absurde, « croissance verte »…

Pourtant, envisagés à l’aune d’une population mondiale qui devrait atteindre d’après l’ONU 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050, et dont une majeure partie souhaite vivre « à l’occidentale », ces effets d’annonces trop entendus se révèlent n’être que de simples idées reçues : des slogans formulés par la cupidité des uns, servant d’alibi à l’immobilisme des autres.
Un passage en revue de ces idées permettra de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la consommation énergétique liée aux transports routiers, et ouvrira des perspectives sur les solutions réellement envisageables, tout en donnant à réfléchir sur l’ampleur du défi qui nous attend.
Nous postulerons en dernier ressort que si des alternatives techniques, comportementales et organisationnelles s’imposent absolument, elles ne peuvent être mises en place que dans un cadre légal fondamentalement modifié.

Nous avons volontairement choisi d’analyser la situation sous l’angle des ressources énergétiques. Très parlant, il permet en outre d’appréhender la situation relative aux émissions de gaz à effet de serre.

PREMIERE PARTIE : LES SOLUTIONS TECHNIQUES

Idée reçue 1 : il y a bien assez de pétrole pour tous et pour des décennies encore

Une façon pertinente d’appréhender le futur consiste à considérer le nombre de véhicules particuliers dans le monde et le rapporter au nombre d’habitant par pays. Nous comptions en 2007 un peu plus d’ 1.030.000.000 automobiles dans le monde, et il s’en vend à cette échelle environ 70.000.000 annuellement (ce qui correspond à une augmentation de plus de 130 unités par minutes en 2008 [7]). Or, si en Europe le ratio est d’environ 600 voitures pour 1000 habitants (davantage encore aux Etats Unis), en Chine il est d’à peine 28, ce qui représente déjà 40.000.000 de véhicules [8]. Pensons-nous vraiment qu’une Chine en plein développement technique s’en tiendra là (on y prévoit déjà 150.000.000 de véhicules à l’horizon 2020) ? Non bien sûr, et certains rapports prévoient ainsi un doublement du nombre d’automobiles sur la planète à l’horizon 2030 [9].

Compte tenu des prévisions concernant l’usage des transports dans les pays émergents (lesquels tentent de s’inscrire, quoi de plus évident, dans notre sillon) et dans un contexte de croissance économique généralisée, la consommation mondiale d’hydrocarbures risque d’exploser. L’on peut dès à présent s’attendre à brève échéance (20-30 ans) à une disponibilité réduite des carburants et à une hausse importante de leurs coûts.
En effet, selon les pétroliers eux-même, le « peak oil » [10] est probablement dépassé depuis 2006 [11], ou très près de survenir (2020 selon l’entreprise Total). Appelé aussi « pic de Hubbert », le peak-oil correspond au sommet de la courbe de croissance de l’extraction mondiale des hydrocarbures, c’est à dire la date à partir de laquelle la production ne peut que décroître, quels que soient les moyens mis en oeuvre. À cela s’ajoute le fait que nous consommons actuellement 4 fois plus de pétrole que nous n’en découvrons [12].

Le problème est difficile à appréhender pour les non initiés, le concept de réserve pétrolière étant très élastique [13]. De plus, les définitions varient selon les pays. Comme le précise Jean-Marc Jancovici sur son site manicore.org, cette définition est « physico-technico-économique », en ce sens que la seule présence de pétrole ne suffit pas à constituer une réserve : encore faut-il qu’il soit extractible, à un coût raisonnable. Quoi qu’il en soit, la connaissance des ressources n’a guère changé depuis 1975, seules les notions de réserves probables, possibles et prouvées ont évolué [14].

Malgré tout, certains contestent le risque de pénurie avant un demi-siècle [15] autant que le risque de hausse des coûts dus à cette pénurie. Ils sont de moins en moins nombreux et leur argumentation s’essouffle, alors que de plus en plus de professionnels indépendants tirent la sonnette d’alarme, tout en dénonçant les interprétations fallacieuses et les données tronquées qui abusent les décideurs politiques eux-mêmes.

Bien entendu il y aura toujours du pétrole sur Terre. Mais arrivera le jour où il faudra davantage d’énergie pour l’extraire que l’énergie qu’il représenterait potentiellement. À moins que les difficultés d’extraction ne grèvent son coût de façon démesurée (cas des schistes bitumineux de l’Alaska et du Canada -Alberta- dont le bilan d’exploitation est en outre épouvantable sur le plan écologique et humain). Ce sera la fin d’une époque d’abondance, et en conséquence la fin de l’utilisation massive de l’or noir dans les transports.

L’ère du pétrole bon marché pour tous touche à sa fin.

Idée reçue 2 : remplaçons les produits pétroliers par les agrocarburants

Quelques chiffres clé : Affecter 10% des surfaces agricoles mondiales à des agrocarburants permettrait une production nette équivalente à 4% de la consommation actuelle de produits pétroliers, pouvant monter jusqu’à 10% selon les scénarii les plus favorables. Un exemple parmi d’autres : le territoire agricole français ne suffirait pas à faire rouler la moitié du parc automobile national dans les conditions actuelles [16].
Certains pays comme le Brésil, il est vrai, semblent s’en sortir. Mais à un coût environnemental intolérable (déforestation massive et changement des climats locaux, monoculture intensive, pollution des sols et des eaux par les engrais et pesticides).

Par ailleurs, l’on a déjà pu constater que la conversion massive des surfaces agricoles « alimentaires » en surfaces agricoles « énergétiques » avait systématiquement des répercussions très défavorables sur le prix des céréales destinées à la consommation.

De plus, les filières conduisant à la production d’éthanol ou d’huile végétale sont elles-mêmes fortement énergivores (notamment en raison des contraintes liées à l’agriculture intensive), d’où des rendements souvent peu intéressants en plus d’un écobilan parfois désastreux, surtout concernant l’éthanol (impact sur les réserves aquifères, pollutions diverses).
Le passage aux agrocarburants de deuxième génération (matière végétale non alimentaire) ne sera pas une solution évidente, dans la mesure où nous retrouverons, organisés autrement, les mêmes problèmes de substitution d’espaces agricoles « alimentaires » en espaces agricoles « énergétiques », de pollution, d’alimentation en eau et de déforestation.
Si des projets alternatifs existent, comme la culture de végétaux en plein désert [17] ou d’algues à proximité des centrales et usines rejetant du CO2 [18] , ils resteront à la fois marginaux et insuffisants dans le cadre d’une alimentation massive du marché des carburants.

Enfin, si l’on considère que le rendement des moteurs thermiques est faible (moins de 10% en ville, 35% au mieux sur route à vitesse stabilisée) : la solution des agrocarburants consisterait vraiment à faire partir plus des trois quarts de nos récoltes en fumée…

Les agrocarburants représentent donc une mauvaise idée, surtout pour les transports de masse énergivores d’aujourd’hui. Ils pourraient notamment être utilement réservés aux exploitants agricoles, qui y trouveraient une certaine autonomie.

Idée reçue 3 : passons à la propulsion électrique

Du point de vue des ressources énergétiques, on ne fait que décaler le problème si l’on produit l’électricité nécessaire aux transports de masse via les hydrocarbures. Si l’on décide de produire cette électricité via l’énergie nucléaire, cela posera nombre des problèmes presque insolubles, allant de la ressource disponible aux contraintes industrielles énormes en passant par la gestion des déchets et les aléas géostratégiques [19]. Et les énergies renouvelables n’offrent pas, d’un point de vue technique, de perspectives satisfaisantes à court et moyen terme.
A titre d’exemple, uniquement en France, il faudrait construire 50% de centrales nucléaires supplémentaires (soit 29 réacteurs classiques ou 22 de type EPR), ou couvrir de panneaux solaires la moitié des toits (5000km2), ou planter au minimum 250000 éoliennes (!) pour alimenter un parc de plus de 30 000 000 de véhicules [20]. Ce qui dans les deux derniers cas ne résoudrait en rien le problème de stockage de cette énergie.
De plus, les améliorations techniques envisageables du point de vue de l’ingénieur sont difficilement généralisables à moyen terme, et sont à mettre systématiquement en regard d’un doublement probable du nombre de véhicules à l’horizon 2030. Cet angle d’approche permet de comprendre les immenses difficultés qu’il y aurait à utiliser massivement certains métaux rares et précieux comme le Lithium, dont les réserves sont insuffisantes et représentent des sources de conflits potentiels [21].

Enfin, séduisant parce que durable et à haut rendement, le moteur électrique est peu adapté au transport particulier si nous lui demandons des performances en tout point équivalentes aux moteurs thermiques selon les standards de mobilité actuels (vitesse/autonomie/stockage/approvisionnement). En définitive, on arrive au même constat que précédemment : il sera nécessaire de révolutionner les normes et standards de la mobilité individuelle.

Idée reçue 4 : vive la voiture hybride

Les voitures hybrides tirent la totalité de leur énergie du pétrole. Mais grâce à l’accouplement entre moteur thermique et moteurs/générateurs électriques, optimisent le rendement du premier de façon il est vrai très intéressante.

Cependant, jusqu’à présent, les voitures hybrides ont seulement permis une légère baisse de la consommation comparativement à leurs homologues thermiques (la très connue Toyota Prius consomme ainsi entre 4 et 5 litres aux cent), ce qui est très insuffisant eu égard aux économies dont les véhicules de demain devront faire preuve. Et si nous prenons en compte leur éco-bilan (fabrication/recyclages de l’ensemble batterie-moteur), nous constatons qu’il n’est pas des plus brillants… Les nouvelles générations d’automobiles hybrides seront à moyen terme à peine plus performantes, et leur technologie et leur coût rendront leur accès difficile à une majorité d’utilisateurs, réduisant vraiment leur intérêt au niveau mondial pour les deux prochaines décennies. Invention séduisante, pur produit marketing ou vitrine technologique coûteuse, le constat est le même : ne convient pas pour une utilisation massive et à court terme, selon les standards de la mobilité actuelle.

Idée reçue 5 : l’air comprimé comme vecteur énergétique

L’intérêt du principe réside principalement dans le fait que l’air comprimé est un vecteur d’énergie non polluant et stockable assez facilement. Cela étant , on retrouve en gros les mêmes problèmes qu’avec le moteur électrique (le besoin de fournir d’une façon ou d’une autre, et proprement, l’énergie primaire nécessaire à la compression de l’air, pour un usage mondial généralisé), avec un rendement moins bon dû à la perte énergétique lors des cycles compression/détente, un ratio poids/puissance assez peu intéressant [22], mais un aspect de moindre dépendance au flux d’énergie primaire (si l’on décide de coupler avec l’électricité d’origine éolienne ou solaire par exemple).
A réserver aux petits trajets à faible vitesse.

Idée reçue 6 : la solution est la voiture à hydrogène

Que ce soit par le biais d’une pile à combustible ou via un moteur à explosion, la filière hydrogène est séduisante sur le papier, notamment en raison d’émissions polluantes quasi nulles au pot d’échappement. Mais l’hydrogène ne se trouvant pas à l’état natif sur notre planète (il ne peut être considéré comme une source d’énergie), son utilisation pour les transports de masse consiste une nouvelle fois à décaler le problème : sa production demande une énergie comparable à l’énergie produite par les carburants fossiles utilisés dans les moteurs, et même davantage eu égards aux problèmes de rendements des filières, énergie qui pour l’instant serait fournie majoritairement par les produits pétroliers, que les sources d’énergies renouvelables ne sauraient remplacer. En outre, le stockage de l’hydrogène et son transport sont également très difficiles à maîtriser, très coûteux et énergivores (un comble).
Et enfin, sauf à révolutionner les lois connues de la physique, les voitures autoproduisant de l’hydrogène à partir d’eau sont plutôt assimilables à des vitrines marketing [23].

Idée reçue 7 : améliorons simplement le rendement des véhicules « standards »

L’idée en apparence la plus simple. En effet, à performance de transport égale (vitesse, accélération, autonomie, sécurité), on peut théoriquement arriver à diviser par deux la consommation de carburant d’un véhicule standard. La Logan Eco 2 de Renault est à ce titre un bon exemple, même si elle se révèle finalement moins sobre qu’une VW Lupo d’il y a… 10 ans ! Il faut cependant considérer que le moteur à explosion de nos voitures aura toujours un rendement médiocre (aux alentours de 35 % dans les meilleurs cas), même si certains fabricants proposent néanmoins des innovation techniques séduisantes ou très « exotiques », susceptibles de rendre les moteurs un peu plus économes [24].
Supposons alors que les constructeurs décident aujourd’hui même de ne plus proposer que des modèles consommant 3 ou 4 litres au cent en moyenne. Une reconversion du parc mondial prendrait environ 15 ans. Rappelons alors qu’à l’horizon 2030, ce parc aura, sauf crise mondiale ou prise de conscience aiguë, probablement plus que doublé… Tant de prouesses pour un retour à la case départ, retour d’autant plus navrant qu’à cette période-là il restera pour une dizaine d’année de pétrole, rappelons-le. Vous avez dit… Shadocks ?

Idée reçue 8 : « ils » vont bien inventer/trouver quelque chose au moment voulu

Cela ne peut avoir valeur d’argument, car il n’existe aucune garantie à cela : L’histoire de l’humanité montre en effet que la notion de progrès technique n’évolue absolument pas de façon linéaire : il y a de fortes avancées, et des coups d’arrêt majeurs, lesquels ont malheureusement déjà causé la disparition de civilisations incapables de s’adapter. Se reposer ainsi sur la possibilité d’une découverte in extremis relève surtout de la croyance : nous autres humains aimons croire, c’est dans notre nature. Nous croyons ainsi également que nous pouvons radicalement modifier les effets sans changer radicalement les causes.

Les autres solutions techniques

Les solutions techniques évoquées plus haut montrent toutes, quelque soit leur ingéniosité, une grande insuffisance à relever le défi qui nous est proposé.

D’un point de vue physique, cela s’explique aisément. Sachant que les principaux facteurs de consommation énergétique d’une voiture sont la résistance à l’air, à l’inertie et au roulement (voir aussi l’exemple simplifié développé ci-après), l’essentiel des améliorations automobiles ne peut s’effectuer qu’en modifiant trois paramètres principaux : la surface frontale et l’aérodynamisme, la masse, et la vitesse [25]. Un certain nombre de véhicules ont déjà ainsi été conçu [26]. Analysons-les : nous constatons aisément qu’en jouant sur les deux premiers paramètres, les inventeurs ont obtenu des engins légers, étroits, tenant généralement plus de la soucoupe ou du cigare que de la voiture standard, et capables d’économies de carburant substantielles aux vitesses autorisées aujourd’hui, comme la Loremo consommant en moyenne un peu plus d’1,5l de diesel au 100 km [27]. Mais les contraintes liées à la vitesse (tenue de route, autonomie, sécurité passive) interdisent de descendre en deça d’une certaine masse, facteur majorant la consommation énergétique notamment en conduite urbaine.

Pour améliorer encore la sobriété des véhicules, il nous faut agir également sur le paramètre vitesse (à l’instar des prototypes s’affrontant lors de concours de sobriété [28], les derniers en date ayant remporté la palme avec plus de 3500 km avec un seul litre d’essence, et plus de 5300 km avec un litre d’hydrogène… à 30km/h de moyenne !). En effet, d’un point de vue physique, il faut considérer que la puissance nécessaire pour propulser et maintenir un véhicule à une allure donnée est principalement une fonction quadratique de la vitesse, en raison de la résistance de l’air.
Cela étant, on constate que ces diverses améliorations techniques se font au détriment de la polyvalence (critère de choix essentiel pour les utilisateurs).

Nous pouvons donc tirer de ces exemples les enseignements suivants :

– les rares véhicules très sobres susceptibles de s’inclure dans le trafic actuel sont et seront très exclusifs en terme de design et de performances, ce qui réduit et réduira leur polyvalence et leur intérêt, et donc in fine leur utilité dans la quête d’une réduction drastique de la consommation mondiale d’énergie. Et si leur sobriété est correcte à régime stabilisé, elle l’est moins dans le cadre d’un usage courant.
– les véhicules très sobres et polyvalents ne peuvent pas se déplacer aux vitesses en vigueur actuellement
– les véhicules ultra sobres ne peuvent pas se déplacer aux vitesses actuelles, et ne sont pas polyvalents

Petit exemple simplifié : un véhicule standard se déplaçant sur une route plate sans vent à une vitesse V (en m/s) sur une distance D (en m).

La force aérodynamique (Fa) que ce véhicule doit contrer dépend de sa vitesse (V en m/s), de sa surface (S en m2 ) elle-même pondérée par le fameux coefficient de pénétration dans l’air (Cx), et de la masse volumique de l’air (ρ, environ 1,3kg/m3), selon la formule : Fa = ½ ρ S Cx V2

La force de résistance au roulement (Fr) que ce véhicule doit contrer est causée principalement par les déformations incessantes des pneus. Elle dépend de la masse du véhicule (m) de l’accélération de la pesanteur (g en m/s/s) et d’un coefficient de pondération k dépendant de la vitesse (k = 0,01 + 1 x 10 -5 V2), selon la formule : Fr = m g k [28]

Caractéristique de notre véhicule : m = 1000kg, S = 2,6, Cx = 0,29

L’énergie (E) que devra dépenser le véhicule est le produit des forces à vaincre par la distance parcourue, soit :
E = (Fa+Fr) D = ½ ρ S Cx V2 D + m g k D

Sur une distance de 1 km (1000m) à 100 km/h (environ 28m/s), l’énergie dépensée E100 sera égale à :
E100 = 0,5 x 1,3 x 2,6 x 0,29 x 282 x 1000 + 1100 x 9,81 x 0,01784 x1000 = 576 749,84 Joules, soit environ 160,21 Wh

Sur la même distance, mais à 50 km/h (14m/s), l’énergie dépensée E50 sera égale à :
E50 = 0,5 x 1,3 x 2,6 x 0,29 x 142 x 1000 + 1100 x 9,81 x 0,01196 x1000 = 225 119,96 Joules, soit environ 62,53 Wh (à peine plus qu’une smart [29]

Nous obtenons donc entre ces deux consommations un ratio de 2,56. Dans la réalité, cette comparaison manque de précision : d’une part, les voitures actuelles sont construites pour connaître leur meilleur rendement (cependant faible : 35% max) à un régime moteur correspondant à des vitesses de l’ordre de 90-110 km/h (ce qui minorerait le ratio), et d’autre part, des véhicules construits pour rouler à 60-70 km/h auraient un rendement adapté, une taille plus réduite (d’où une moindre prise au vent) et un poids largement inférieur.

Un véhicule spécifiquement conçu pour rouler à 50km/h consommerait une énergie E’50 plutôt en rapport avec l’équation suivante :
E’50 = 0,5 x 1,3 x 1,8 x 0,34 x 142 x 1000 + 500 x 9,81 x 0,007 x1000 = 112303,8 Joules, soit environ 31,2 Wh

Soit un ratio de plus de 5, ce qui commence à être très intéressant (mais à comparer avec la consommation des véhicules de l’extrême déjà cités, avec leur consommation de 1Wh/km !).

Puisqu’ 1l de carburant fournit environ 10 kWh (un peu moins pour l’essence, un peu plus pour le diesel), et que le rendement d’un moteur à essence est au mieux de 35% environ, 1l de carburant fournit environ 3,5 kWh d’énergie utile. On en déduit qu’un véhicule « low speed » de type petite citadine imaginé plus haut et se déplaçant sur le plat à 50km heure consommerait moins d’1l/100 km à vitesse stabilisée.

A cet exemple il faut ajouter que la part essentielle de la consommation énergétique est dépensée (et généralement perdue ensuite au freinage pour tout moteur thermique) lors des phases d’accélération. La Puissance (P) nécessaire pour propulser un véhicule de masse (m) selon une accélération (Ï’) à une vitesse (V) s’écrit : P(t) = m x Ï’ x V(t). On en déduit qu’une accélération constante sur une distance (D), consomme une énergie (E) égale à :
E = m x Ï’ x D.

Il est donc évident que plus un véhicule léger prévu pour rouler à faible vitesse (et donc selon de faibles accélérations sur de courtes distances), consommera une énergie bien moindre durant cette phase. Un raisonnement identique peut être tenu pour l’étude des déplacements selon un dénivelé positif.

Conclusion de la première partie

Que déduire de cette rapide analyse à propos de ce que l’on pourrait appeler « les solutions techniques imparfaites » ? Si certaines sont intéressantes, notamment combinées entre elles, aucune n’est généralisable, seule ou associée à d’autres, de façon a faire diminuer la consommation énergétique mondiale et la pollution, dans le cadre de standards de mobilité inchangés, et dans le contexte d’un accroissement du nombre de véhicules et de ressources s’épuisant rapidement.
Par ailleurs, leur relative impuissance à concurrencer les technologies éprouvées des véhicules standards sur leur terrain n’incitent guère à leur développement massif via les constructeurs automobiles, ni à leur plébiscite par les utilisateurs. On incrimine assez facilement les lobbies divers d’être responsables de ce manque de réactivité, mais cette explication, pour valable qu’elle soit, est sans doute plus marginale qu’on ne le pense : retenons plutôt qu’en l’état actuel des connaissance, les solutions techniques sont insuffisantes pour optimiser massivement le rendement des automobiles selon une utilisation « traditionnelle ».

L’analyse des différents paramètres influençant la consommation d’énergie est donc claire : au niveau technique, pour diminuer la consommation de façon réellement significative au niveau mondial, dans le cadre des connaissances actuelles, tout en utilisant des véhicules polyvalents, il nous faudra renoncer au poids et à la vitesse de nos automobiles, pour y substituer d’autres critères de performance (sobriété, simplicité, ingéniosité).

Nous allons voir à présent comment ce renoncement pourra en outre influencer radicalement et de façon vertueuse les facteurs comportementaux déterminant la consommation énergétique liée aux transports.

DEUXIEME PARTIE : LES SOLUTIONS COMPORTEMENTALES

Résumons :
1) L’humanité est à l’aube de deux crises majeures : l’une énergétique, et l’autre climatique.
2) Pour couronner le tout, sa population augmente (ce qui pose sans doute un problème), une population qui ne demande qu’à consommer en général et à se déplacer en particulier.
3) Elle n’a pas de solution technique pour continuer à se déplacer massivement selon des standards considérés subjectivement comme les plus élevés (vitesse et confort).

Rendons-nous à l’évidence : les alternatives salutaires, valables énergétiquement et écologiquement s’appuient toutes sur l’adage : « la seule énergie propre est celle que nous ne consommons pas ».

La solution de l’autolimitation et les changements d’outils

Voici un catalogue non exhaustif de bonnes vieilles recettes généralement reconnues comme efficaces [31] :
– Abandonner la voiture (on peut affirmer sans crainte de se tromper que moins il y aura de véhicules et d’automobilistes sur Terre, mieux la planète et l’humanité se porteront).
– Louer son véhicule au besoin.
– Rouler moins.
– Covoiturer (au besoin avec des outils logistiques modernes [32] ), solution connaissant des débuts prometteurs notamment dans les grandes et moyennes entreprises
– Partager [33].
– Organiser le travail et les lieux d’activité différemment.
– Consommer moins et mieux.
– Consommer local.
– Utiliser systématiquement le vélo, la marche à pied et les transports en commun dès lors que cela est possible (à propos de ces derniers, une autre idée reçue consiste à croire que tout pourrait être résolu selon cette voie [34]).

Cependant, aucune population ne change massivement de comportement avant d’y être conduite par les faits ou incitée par les réglementations. Du côté de ces dernières, retenons les incitations fiscales comme la très efficace « Taxe carbone » [35] (dont on ne pourra pas faire l’économie à l’avenir), qui conduisent rapidement à une diminution de la consommation pétrolière, (nous avons pu constater quelle était l’influence d’une hausse brutale du prix du baril sur le secteur des transports début 2008). Malheureusement, ces dispositifs pourraient également, associés à l’augmentation inéluctable bien qu’erratique du coût moyen du pétrole, générer rapidement un coût social proche de l’insupportable pour une partie importante de la population, celle qui n’aura pas les moyens techniques ou logistiques de s’adapter.

Si l’ensemble de ces mesures génère de nombreuse tensions, c’est parce qu’il existe des raisons autres que financières qui conduisent les sociétés occidentales à ne pouvoir vivre, pour l’instant, hors du « tout voiture ». Raisons qui constituent autant de frein à l’essor des comportements « vertueux ».

Des raisons « structurelles » tout d’abord : les pays occidentaux, voués aux transports motorisés, possèdent des infrastructures dédiées essentiellement aux véhicules personnels rapides, et des modalités d’activités en rapport. In fine tout s’organise à presque tous les niveaux selon ce type de mobilité particulier. Pour en résumer les conséquences selon un point de vue différent, notre modèle, dédié au transport personnel « rapide », ralentit considérablement l’éclosion de systèmes « lents ».
De plus, il existe une donne géographique des lieux de vie et d’activités, construite pendant des décennies sur des critères de grande mobilité personnelle : pour une certaine population, rurale ou néorurale par exemple, la voiture reste – encore – le meilleur, voire le seul, moyen de se déplacer.

Des raisons « de concurrence » ensuite : la force de travail énorme, les possibilités d’action et de gain très importantes, permises par les techniques les plus puissantes et les plus énergivores, limitent considérablement l’intérêt immédiat de techniques certes plus sobres mais infiniment moins puissantes (allez donc convaincre un VRP d’enfourcher un vélo pour faire son boulot si son concurrent reste en voiture !). En mettant sous perfusion ces techniques puissantes (en les autorisant, en les favorisant, en les subventionnant), avec la volonté de retarder l’échéance fatidique, on génère non seulement des tensions et des injustices, mais surtout on empêche le développement de techniques alternatives, qui nous l’avons vu ne sauraient être massivement concurrentielles dans un cadre et un contexte inchangés.

Enfin, last but not least, des raisons liés à l’inertie de gestes du quotidien fortement ancrés (rappelons-nous que 50% des trajets effectués en France font moins de 3 km !). Beaucoup de professionnels de l’environnement oublient ici deux notions primordiales : d’une part le geste est tout autant lié à l’outil que l’inverse (relisons Jacques Ellul [36] ), et d’autre part la nature profonde d’homo sapiens est profondément mimétique et mue par le désir. Une exemplarité des outils et des individus utilisant ces outils, le tout représentant ainsi un nouvel archétype et de nouveaux modèles de référence, s’impose donc.

Conclusion de la deuxième partie

Les conseils les plus salubres et les dispositifs fiscaux les plus recommandables resteront fatalement en suspens tant que les outils, les règles et le cadre lui-même ne seront pas modifiés, de même que les changements de comportements pourtant indispensables.
On retrouve donc, et de façon étonnante, les besoins évoqués à la fin de la première partie consacrée aux solutions techniques : le besoin de modifier le cadre de l’action et les règles du jeu.

A ce moment de la démonstration, la prise de conscience de l’immensité de la tâche qui nous attend peut décourager ceux qui se sentent impliqués (les autres attendant au propre comme au figuré que le ciel leur tombe sur la tête). C’est surtout la complexité générée par les différents niveaux de responsabilité interconnectés qui effraye.
Et pourtant, une mesure simple pourrait fournir ce cadre évoqué précédemment, nécessaire à la répartition des tâches entre tous les acteurs, pour un bénéfice gigantesque aux niveaux énergétique, écologique et social.

TROISIEME PARTIE : LIMITER LA VITESSE DE MANIERE DRASTIQUE

Nous avons constaté l’inefficacité des solutions techniques proposées dans la perspective d’une continuité des standards actuels de la mobilité (vitesse et confort).
Nous avons vu que ces mêmes standards empêchent structurellement un changement significatif des offres industrielles d’une part, et une évolution majeure des comportements d’autre part.

S’attaquer à ces standards semble donc bien LA seule voie susceptible, éventuellement accompagnée d’une taxe carbone, de briser les freins liés à la permanence des infrastructures, à l’inégalité des forces techniques en présence et à l’inertie des comportements. Ce serait de même la seule voie permettant une transition à court terme entre le schéma actuel (qui conduit vraisemblablement à la catastrophe), et un schéma de grande sobriété fondé sur les comportements respectueux de l’Homme envers son environnement.

Comment mener cette attaque ? Simplement en considérant que la croissance de la puissance de déplacement des terriens n’est pas gravée dans le marbre de l’évolution, et que la vitesse ne saurait être considérée dans l’absolu comme le gage du modernisme le plus abouti.
Une fois cette révolution intérieure effectuée, la solution vient naturellement à la lumière des considérations techniques et comportementales évoquées plus haut: il suffit de rouler moins vite. Beaucoup moins vite.
Une « simple » mesure serait le fondement constitutionnel de ce nouveau paradigme : limiter drastiquement la vitesse sur routes et autoroutes à 60 km/h maximum, et 35km/h en ville, partout dans le monde (la France pourrait être dans cette perpective un pays précurseur).

Invitons ceux qui lèvent les bras au ciel à ce stade de l’exposé à relire posément chaque chapitre, et à méditer sur l’adage « penser globalement, agir localement ».

De façon plus constructive, examinons les avantages d’une telle mesure :

Avantage 1 : limiter la consommation d’énergie, tout en permettant l’émergence de nouvelles techniques

Nous l’avons vu plus haut, une diminution drastique de la vitesse à 30 km/h permet la création de véhicules futuristes – quoique totalement inadaptés aux usages les plus courants – pouvant consommer jusqu’à 300 ou 400 fois moins d’essence que la moyenne des voitures actuelles. A des vitesses de l’ordre de 50 à 70 km/h, et pour une utilisation standard, les calculs montrent qu’il serait vraisemblable de tabler sur des automobiles consommant 10 à 20 fois moins qu’aujourd’hui, selon leur usage.
En effet, la réduction drastique de la vitesse maximale autorisée induit la création d’un cercle vertueux au niveau de la puissance des moteurs (électriques, thermiques ou chimiques), de la masse des véhicules, et par voie de conséquence de la consommation d’énergie et de la pollution
Dans ce cadre, quelques solutions techniques variées existent bel et bien, pouvant s’appuyer sur différentes sources et vecteurs énergétiques (relire les paragraphes dédiés aux idées reçues), et il semble dès lors possible de fabriquer des véhicules correspondant à de nouvelles normes de vitesses autorisées, ne consommant pas plus de l’équivalent d’1/2l de carburant aux 100 km.

Avantage 2 : limiter l’impact des gaz à effet de serre

Bien entendu, quelques soient les techniques motoristes, consommer moins d’énergie conduit à émettre moins de gaz à effet de serre, et à limiter d’autres types de pollution afférentes.

Avantage 3 : favoriser les comportements les plus sobres

Il va de soi qu’une telle mesure conduirait les voyageurs à se déplacer autrement. Le véhicule individuel motorisé deviendrait uniquement une option parmi d’autres, peut-être même un objet de location et non plus de propriété. Cette conséquence serait très bénéfique pour des pays dit « émergents » comme la Chine et l’Inde, de même que pour sociétés « occidentales », où elle engendrerait un trafic urbain différent, moins dense et moins rapide, permettant notamment un fort développement des véhicules à propulsion musculaire.

Avantage 4 : permettre l’instauration d’une taxe carbone

Comme nous l’avons évoqué, le taxe carbone est un outil très efficace récompensant les comportements les plus sobres, mais pouvant s’avérer très inégalitaire dans certains contextes, aussi bien entre les individus qu’entre les entreprises et les activités économiques internationales. Diminuer volontairement la toute puissance des transports par le biais de la vitesse permet dès lors d’instaurer une taxe à la fois équitable et nécessaire.

Avantage 5 : relocaliser et restructurer l’économie

De même que le pouvoir d’aller loin et vite a historiquement permis un déplacement des zones d’activités, le fait de réduire ce pouvoir engendrera une adaptation de nos sociétés à la nouvelle donne. Songeons seulement qu’en un siècle, le temps de trajet domicile-travail est resté constant [37]. Du côté des pays dits « émergents », cela aurait en outre l’immense mérite de ne pas favoriser la déstructuration le tissu économique et social existant.
Nous pourrions même en faire un véritable projet de société, en favorisant différentes initiatives qui en découleraient, en soutenant les plus ennuyés par une telle décisions, en promouvant des secteurs d’activités en relation (transports en commun, télétravail…).
La planification d’une telle opération et la refonte structurelle qui en découlerait pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois dans de nombreux secteurs, tant privés que publics.

Avantage 6 : Donner la possibilité aux citoyen d’être acteurs du changement

Imaginons : n’y aurait-il pas une source d’enthousiasme pour tout un chacun à participer concrètement à la refonte d’une société ? Nos contemporains souffrent énormément des conséquences d’une certaine dictature de l’efficacité industrielle. Avec une telle mesure, remettant en cause les modes de vie et la philosophie de l’existence, il y a fort à parier qu’une majeure partie de citoyen aura le sentiment (et le pouvoir, enfin) d’avoir prise sur son développement (nouvel urbanisme, nouveaux modes de production…).

Avantage 7 : faire sortir du marasme une industrie automobile en panne, et au-delà une économie en récession

Qui dit nouvelles règles dit nouveaux standards, d’où nouveaux véhicules. Obliger les fabricants existants ou à venir, à proposer ensemble (condition essentielle) des alternatives, sur des critères où le progrès ne serait plus assimilé à la vitesse ou au confort, mais à la sobriété et au moindre poids, pourrait se révéler très bénéfique pour ce secteur d’industrie employant en France un salarié sur dix et qui, soyons lucides, se cherche vainement depuis quelques années, tandis que ses insuffisances stratégiques et structurelles engloutissent les aides de l’état en attendant le prochain choc pétrolier ou la prochaine crise de surproduction.

Paradoxalement, n’y aurait-il pas un risque à donner un second souffle à l’industrie automobile via une mesure portant sur la nécessaire décroissance de la consommation d’énergie et des matières premières? Si bien sûr. A cela plusieurs réponses : adapter le seuil de vitesse autorisé (moins on peut aller vite individuellement, moins on roule, plus on privilégie les transports en commun et la propulsion musculaire). Ensuite, un cahier des charges fixé par les scientifiques et les institutions pourra aider à « diriger »les fabricants vers la recherche du plus léger et du moins gourmand. Enfin, puisque les nouveaux véhicules seront sans doute plus rustiques et plus « technologiques » à la fois, moins chers à l’achat et à l’entretien (ce qui correspond à une demande croissante de la part des utilisateurs occidentaux, et à une demande tout court des utilisateurs des pays en voie de développement), le faible coût au km pourra être compensé au besoin par une taxe carbone flottante, permettant de réguler la mobilité sans étrangler complètement le consommateur.

Parenthèse : il va de soi qu’il resterait des véhicules puissants et massifs (utilitaires divers), mais cela serait marginal (10 à 15 % du parc tout de même), et surtout des véhicules spécifiques pourraient être loués au coup par coup.

Avantage 8 : diminuer le coût social et financier des accidents de la route

Une conséquence qui se passe de commentaire.

Au chapitre des inconvénients, on peut en citer de nombreux (chacun les trouvera facilement), mais aucun qui soit réellement rédhibitoire eu égard aux enjeux. Citons en vrac :
– Temps de trajets rallongés (mais finalement pas tant que ça pour la très grande majorité d’entre eux, dans la mesure où le trafic serait fluidifié).
– Certains trajets difficiles à réaliser « comme avant » (ici, il faut considérer que de toute façon, à brève échéance et en continuant sur notre lancée, le résultat sera pire).
– Cohabitation temporaire de 2 types de véhicules dans les pays déjà bien équipés, les uns plus lourds que les autres, et certains nécessairement plus rapides (comme ceux des secours).
– Réaction des lobbies (constructeurs d’automobiles dont le prestige est fondé sur la puissance, motards…).
– Nécessité de refondre les codes, lois et homologations diverses.

CONCLUSION

A moyen terme, il faut bien avoir à l’esprit que le monde entier gagnera à appliquer une mesure globale de limitation drastique de la vitesse. Il va même de soi que cela pourrait constituer une transition moins brutale vers la société « sans voiture » qui pourrait nous être imposée à terme par la diminution des ressources, ou vers une société à énergie solaire, ou ce que vous voudrez d’énergétiquement et écologiquement soutenable.

Cette mesure ne constituerait pas une atteinte au progrès, dont la notion forcément relative varie énormément selon les angles d’analyse (en cela, la moindre pollution, la préservation des ressources, la relocalisation de l’économie et la diminution des accidents représenteraient aussi un progrès remarquable).

Il est également probable qu’individuellement, une majorité de citoyens ne soit pas préparée à une telle mesure. Mais les jeunes générations semblent malgré tout se faire à l’idée d’un monde moins fondé sur la toute puissance de l’automobile individuelle, puisqu’elles favorisent de plus en plus l’achat de petits véhicules simples, la location d’automobile et les transports en commun. Collectivement, faisons-nous confiance : nous saurons plus facilement nous adapter à un monde moins rapide qu’à l’effondrement brutal d’une société principalement fondée sur le pétrole.

Il faut enfin considérer avec gravité qu’historiquement, chaque période de grandes pénuries et de marasme économique a engendré guerre, génocides et fascisme.

Nous vivons un instant peut-être historique : le passage d’une société du « toujours plus et plus vite » à une autre du « moins et mieux ». Voici donc venu le moment de nous résoudre à modifier certains de nos standards, quitte à faire quelques – grandes – concessions sur ce que nous considérons – sans doute à tort – comme des éléments indispensables au bien être. « The American way of life is not negotiable », disait Georges Bush père lors de la conférence de Rio en 1992, et nous autres de nous indigner. C’est sans doute le moment de prouver que cette indignation n’était pas qu’une posture, et il va de soi que la plus grande partie de la réussite de cette entreprise dépendra de notre faculté à adapter ainsi nos comportements.

REFERENCES

[1] http://www.webenergie.ch/actions/energy_assessment/backups/1152099687_1/index_c.htm
[2] http://www.iea.org/textbase/nppdf/free/2007/key_stats_2007.pdf
[3] http://www.manicore.com/documentation/serre/GES.html
[4] http://www.industrie.gouv.fr/energie/comprendre/q-r-pet-eco.htm
[5] CITEPA inventaire CCNUCC décembre 2005[archive].
[6] http://www.industrie.gouv.fr/energie/statisti/pdf/co2-monde.pdf
[7] http://antivoitures.free.fr
[8] Comité Français des Constructeurs Automobiles : http://www.ccfa.fr
[9] http://www.lepoint.fr/actualites-economie/exclusif-le-rapport-enterre-qui-accable-la-voiture-electrique/916/0/296691
[10] http://www.planete-energies.com/contenu/energie/consommation/fossile/reserves-mondiales-petrole.html
[11] Association for the study of peak oil ; http://www.peakoil.net/ ; Energy Watch Group : http://www.energywatchgroup.org/Startseite.14+M5d637b1e38d.0.html
[12] http://www.journaldunet.com/science/environnement/dossiers/06/0606-petrole/2.shtml
[13] http://wolf.readinglitho.co.uk/francais/fpages/freserves.html
[14] http://www.manicore.com/documentation/reserve.html
[15] http://www.linternaute.com/savoir/petrole/interview.shtml
[16] http://www.manicore.com/documentation/carb_agri.html
[17] http://www.agrocarb.fr/agrocarburants-de-deuxieme-generation.php
[18] http://www.biocarburants-energies.com/micro-algues.html
[19] « Courrier International » n° 956
[20] http://www.manicore.com/documentation/eolien.html
[21] « Courrier International » n°954
[22] http://www.lepost.fr/article/2008/09/25/1272901_petit-calcul-pour-la-voiture-air-comprime.html
[23] http://www.escapetheillusion.com/blog/category/topics/free-energy/
[24] http://www.moteurstirling.com/ ; http://quasiturbine.promci.qc.ca/ ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Moteur_Pantone
[25] http://cocyane.chez-alice.fr/pdf/voiture_2litres.pdf
[26] http://generationsfutures.chez-alice.fr/vertueux/hypervoitures.htm
[27] http://evolution.loremo.com/
[28] http://www.ingveh.ulg.ac.be/fr/cours/Repetitions_MECA_0004/Repet_2.pdf
[29] http://pboursin.club.fr/velec/calculs.htm
[30] http://www.shell.com/home/content/eco-marathon-en/about/about.html) ; http://www.ecomotionteam.org/blog/
[31] http://www.carfree.fr
[32] http://www.dominique-bied-cap21.com
[33] http://fr.wikipedia.org/wiki/Autopartage
[34] http://www.manicore.com/documentation/trains.html
[35] http://fr.wikipedia.org/wiki/Taxe_carbone ; http://www.manicore.com/documentation/serre/taxe_C.html
[36] « Le bluff technologique », Jacques Ellul, 1988, Ed. hachette Littérature
[37] « La liberté de circuler », Colin Ward, 1991, Ed. Silence)

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71 réponses à “Décroissance pratique : réduire la vitesse, par Samuel Gérard”

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  1. Ajouter qu’en termes de « faux-jetons » … me semble-t’il…. ceci devrait frôler un record.. : https://www.lalibre.be/international/europe/2025/07/05/un-couple-neerlandais-implique-dans-79-accidents-comparait-pour-fraude-a-lassurance-ce-sont-les-autres-conducteurs-qui-ne-font-pas-attention-4CR4LQWSHBBMHC77BXUG75NR7Q/ … » Autre élément surprenant :…

  2. La vraie question…à nouveau donc , me semble-t’il , reste : https://www.pauljorion.com/blog/2025/07/05/video-les-faux-jetons-sont-au-pouvoir/comment-page-1/#comment-1078536

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