L’actualité de la crise : Le donnant-donnant chinois, par François Leclerc

Billet invité.

LE DONNANT-DONNANT CHINOIS

Les Chinois, dans un timing parfait, viennent de décider unilatéralement de l’ordre du jour véritable du prochain G20, coupant l’herbe sous le pied aux Américains, qui pensaient l’avoir fait avec leurs demandes insistantes de cofinancement de leurs efforts de relance.

Dans un document mis en ligne sur le site internet de la banque centrale chinoise (The People’s Bank of China), Zhou xiaochuan, son gouverneur, a publié un document intitulé tout simplement « Reform the International Monetary System » .

Il s’agit en réalité d’un texte fondateur de la plus grande importance, qui explique la « vision » chinoise d’une sortie par le haut de la crise financière actuelle, posant au passage explicitement ses conditions pour participer au laborieux et mal parti sauvetage en cours. C’est clairement du donnant-donnant.

Des objectifs sont établis, ainsi que leurs modalités générales d’application et même de transition ; une négociation est même proposée, avec toute la souplesse requise, afin d’aboutir graduellement à ceux-ci. Il ne s’agit pas d’un ultimatum, qui resterait sans lendemain, mais d’une proposition faite avec la volonté de la voir aboutir, bien que déterminée et non sans moyens de pression pour la voir se concrétiser. Voilà en tout cas comment il est visiblement souhaité que les chancelleries l’interprètent.

Sans entrer dans les détails, le texte est accessible grâce au lien ci-dessus, en anglais, l’idée générale est de mettre à profit le mécanisme existant des Droits de Tirage Spéciaux des FMI (dont l’acronyme anglais est SDR) crées en 1969, et d’en élargir considérablement le rôle. Comme monnaie de référence mondiale, en substitution du dollar comme monnaie de réserve.

Le gouverneur s’appuie sur un certain nombre de rappels historiques, et de considérations théoriques sur le rôle que doit jouer une monnaie de réserve mondiale, montrant en creux en quoi le dollar ne répond plus aux exigences de la situation, avant de faire référence clairement au Bancor, cette monnaie qui avait été proposée par Keynes et n’avait pas été retenue à l’époque.

Pour en venir au présent et au fait, les Chinois lient la nouvelle répartition des forces au sein du FMI, lentement engagée sur un mode mineur, et qu’ils veulent donc accélérer et approfondir, à la mise en place de ce nouveau dispositif, dont ils participeraient à son financement. Au passage, cela leur permettrait de convertir en DTS leurs actuels avoirs en dollars (près de 2.000 milliards de dollars), qui sont menacés par le processus inflationniste que les USA sont en train de risquer de déclencher, et dont ils ont déjà clairement dit qu’ils s’en inquiétaient fortement. Beauté du dispositif proposé, de leur point de vue : plus l’on voudrait qu’ils participent au financement de la sortie de crise, plus il faudrait leur faire de la place et leur accorder du pouvoir au sein du FMI. Donnant-donnant.

Mais l’élargissement proposé ne correspond pas seulement à une nouvelle répartition des pouvoirs, plus ou moins au prorata des apports financiers permettant la création massive de nouveaux DTS (car des réserves devraient être constituées, selon des apports qui devraient être constatés). Il s’agit également de généraliser l’usage de ces DTS. Actuellement réservés à des transactions entre Etats et institutions financières internationales et servant d’unité de compte, ils pourraient devenir un mode de payement utilisé dans toutes les transactions commerciales (en substitution du dollar, principalement visé), ainsi que des actifs, qui pourraient être libellés en DTS (par exemple, les avoirs en dollars des chinois).

Ce que n’envisage pas la proposition chinoise, c’est qu’un arrosage de DTS dans l’économie mondiale, non plus par les banques centrales comme cela est engagé, mais par le FMI nouvelle formule, ce sont les risques d’inflation que cela pourrait créer également. A moins qu’ils ne considèrent que, les effets de celle-ci étant alors partagés, cela serait un moindre mal.

Quelles réactions allons-nous enregistrer à ce qui est un véritable coup de tonnerre, dans un ciel qui n’était pas sans nuages mais déjà très orageux ? Si les dirigeants chinois se sont décidés à rendre public ce qu’ils ont déjà dû suggérer lors de plus discrets conciliabules, c’est la preuve d’une incontestable manifestation d’impatience. D’autres signes en avaient été relevés. Les déclarations apaisantes mais formelles des dirigeants américains ne faisaient pas le poids, il faut maintenant des actes. Il va être plus difficile aux dirigeants américains de ruser avec les autorités chinoises, comme ils le font actuellement avec le plan Geithner vis à vis de leur opinion publique.

De premiers commentaires à ce document soulignent que sa publication pourrait être une simple mise en garde des Chinois, face au danger que représenterait la poursuite de la politique monétaire engagée par la Fed. C’est une manière de se rassurer comme une autre. Il y a, dans cette affaire, un côté heure de vérité qui ne pourra pas être éludée, car la Fed ne peut pas changer de politique, il va donc falloir évaluer la réalité de la menace que représente le bouleversement du système monétaire international proposé, et la prendre au sérieux.

Les Russes ont déjà fait savoir qu’ils étaient favorables à l’instauration d’une nouvelle monnaie de réserve, le cahier de doléance est désormais ouvert au plan international. Gordon Brown, qui est toujours rapide, a aujourd’hui mardi réaffirmé dans une interview au journal économique français La Tribune : « Il faut que la coordination des supervisions soit organisée, il faut un système d’alerte avancée contre les crises, et il faut que la Banque mondiale puisse s’occuper des problèmes d’environnement en plus du développement. Il faut donc des organisations de Bretton Woods très différentes ». With or without (milk), Gordon ?

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