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Johannes Finckh, dont vous avez dû lire les commentaires enthousiastes en faveur de la monnaie fondante m’a fait parvenir un exemplaire de « L’ordre économique naturel », un ouvrage de Silvio Gesell originellement publié en allemand en 1907.
J’y retrouve bien des idées sur la monnaie, sur les prix, sur l’économie en général, que je croyais avoir exprimées pour la première fois sous cette forme dans mes propres écrits. Bien sûr la manière de le dire est différente – plus pamphlétaire chez Gesell – et le recouvrement seulement partiel, disons entre le tiers et la moitié.
Qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve, me semble-t-il, que quand on part des mêmes prémisses : que les économistes n’y ont rien compris et qu’il faut reprendre ces questions à zéro, en les réexaminant et en en faisant émerger patiemment l’anatomie et la physiologie de l’économie et de la finance, on débouche immanquablement sur les mêmes conclusions.
Pourquoi la science économique elle-même n’a-t-elle jamais intégré cette façon de voir ? Pour une raison que je décrivais de la manière suivante dans « La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire » (Fayard 2008 : 285 – 286 ) :
L’économie et la finance sont des activités serties dans le fonctionnement des sociétés humaines et sont déterminées par les rapports de forces qui caractérisent celles-ci. La description scientifique de l’économie et de la finance met en évidence le mécanisme de ces rapports de forces, et souligne l’arbitraire qui préside au fait qu’ils bénéficient à certains individus plutôt qu’à d’autres. Il n’est pas surprenant dès lors que ces bénéficiaires entreprennent une promotion systématique des théories de ces deux champs qui les représentent comme déterminés par d’autres principes que les simples rapports de forces entre parties impliquées, voire qui représentent ces deux champs comme n’étant pas même sertis dans le fonctionnement des sociétés humaines, et font croire, par exemple, que leur mécanisme est autonome et est soumis, non pas à des règles juridiques et éthiques, mais à des forces du même type que celles qui président aux mouvements d’astres lointains.
Mais là aussi, j’ai été précédé, non pas par Gesell mais par un certain Professeur Brentano, auteur de l’ouvrage « Le chef d’entreprise », cité par Gesell :
Dans l’enseignement de l’économie politique, une doctrine, si bonne soit-elle, n’est jamais admise que quand elle défend les intérêts d’un parti puissant, et aussi longtemps que ce parti reste puissant ; si un autre parti devient plus influent, les doctrines les plus erronées seront réhabilitées si elles semblent servir ces nouveaux intérêts. (Brentano, cité par Gesell [1907] 1948 : 115).
Un siècle nous sépare, durant lequel le pouvoir dont l’argent dispose a permis que son mécanisme demeure un secret bien gardé.
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Silvio Gesell, L’ordre économique naturel, trad. Félix Swinne, Paris-Berne-Bruxelles, [1907] 1948
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