La fin du libéralisme alimentaire ?, par Adrien Montefusco, agriculteur

Billet invité.

LA FIN DU LIBERALISME ALIMENTAIRE

Dans le contexte économique que nous vivons et que probablement nous allons vivre, la question de l’indépendance alimentaire et même de l’accès à l’alimentation mérite d’être posée. Pas seulement dans les pays du Tiers Monde, mais aussi dans les pays développés, le cap des 1 milliard d’hommes souffrant de la faim sur Terre sera passé en 2010. La faillite du système capitaliste et financier nous obligera à revoir l’économie agricole, de la production au commerce des marchandises. Par ailleurs, au-delà du défi alimentaire que devra relever l’agriculture, elle devra s’investir davantage dans le secteur de la production énergétique, ce qui ne manquera pas de perturber d’autant les marchés des produits alimentaires.

Le constat est celui-ci : dans les pays occidentaux, l’agriculture, même si elle est subventionnée (et précisant qu’en Europe la règle des 80/20 est respectée ; 20 % des subventions est à partager entre 80% des agriculteurs ! En précisant aussi que les subventions agricoles servent aussi à financer l’exportation, et donc ce sont de grands groupes industriels qui en bénéficient…), repose sur des marchés libéralisés (céréales, viandes…) sauf le lait, dont la réglementation des quotas est en train de disparaître ; les prix sont donc la résultante de la confrontation d’une offre et d’une demande. Avec des prix très volatiles (des amplitudes de plus en plus fortes, et une fréquence plus élevée) la rémunération des agriculteurs est mise à mal ; les volontaires sont de moins en moins nombreux.

On pourrait aussi s’intéresser à la « Question environnementale », qui invite les agriculteurs à investir fortement pour produire mieux, meilleur, …, plus (?) et à ne pas mieux vivre de leur métier !

Dans les pays « sous-développés », le subventionnisme des pays occidentaux a tout son effet, néfaste. Toute notre surproduction, « nos déchets » (les cous et pattes de poulet, les queues et oreilles des cochons) y sont exportés à des prix 3 ou 4 fois inférieurs aux prix locaux, détruisant ainsi l’agriculture locale, et entrainant des exodes massifs des campagnes vers les villes. Accentuant aussi la famine et la malnutrition du fait de la pauvreté des populations migrantes.

Là aussi, la « Question environnementale » peut être posée ; sous prétexte d’un besoin croissant des sociétés modernes à une énergie « propre » (ou verte), les terres agricoles sont dévastées (sans parler des forêts) et font place à la monoculture (soya au Brésil, huile de palme en Indonésie, …) d’une production qui ne permet même pas à ces agriculteurs de dégager un revenu.

Certains États pourraient tout de même tirer leur épingle du jeu ; les pays formant le BRIC, en plein développement bénéficient de richesses et de ressources naturelles favorables. Une main-d’œuvre performante et peu chère, et des surfaces qui n’attendent qu’à être exploitées ; à condition que le développement de leur agriculture soit fait avec bon sens, certains d’entre eux pourraient être en position dominante de terme de production et d’indépendance alimentaire. La Chine par exemple a déjà ciblé son facteur limitant : sa ressource en eau. Mais elle s’y prépare en consacrant une part importante de son budget dans des travaux herculéens (retenues d’eau, canaux…).

D’une part assurer que partout sur la planète, le droit fondamental de se nourrir (de manière saine et équilibrée) soit établi, par une production suffisante, variée et disponible. D’autre part, que cette production soit accessible en termes de prix.

Pour répondre à la première problématique toutes les options à la fois technique et technologique devront être mises à disposition : agrochimie (engrais, protection phytosanitaire), pharmacie, biologie moléculaire et cellulaire (OGM, PGM, …), machinisme,…, devront être utilisés de manière responsable et raisonnée en fonction des paramètres et des enjeux locaux. Ensuite, l’agriculture devra disposer des fonds financiers nécessaires pour que les paysans du monde puissent disposer de manière équitable des différents moyens techniques et technologiques nécessaires. L’agriculture devra reprendre une place prépondérante dans les sociétés, socialement et économiquement.

La difficulté de disposer des marchandises ne pourra être résolue que par un marché des matières premières agricoles protégé des spéculations, qui outre le fait de contribuer à l’augmentation des prix sur le marché a pour conséquence de retirer virtuellement du marché une marchandise physiquement indispensable à notre survie. En effet, quand un fonds de pension américain achète 100 000 tonnes de céréales (dont il n’a aucun usage physique), même si ces céréales sont physiquement présentes dans un silo sur un port américain, elles ne seront physiquement accessibles à un meunier français que lorsque le propriétaire (le fonds de pension) décidera de les vendre (avec de la valeur ajoutée, bien entendu !).

Je le rappelle, la seconde problématique, sera (ou est déjà) l’accessibilité en termes de prix des produits agricoles. Il faut intervenir à nouveau sur deux axes. D’une part, limiter les variations de prix des marchandises, et par le biais du subventionnisme à la production, faire en sorte qu’ils soient le plus bas possible ; tout en s’assurant du revenu des agriculteurs, cela va de soi ! Il doit être inclus dans ce système une autre façon d’organiser les échanges pour que les écarts de prix d’une région à l’autre de la planète soit les plus faibles possibles.

D’autre part, l’accès à l’alimentation se posera sous l’angle du pouvoir d’achat, mis à mal par l’inflation, et par la dette des ménages. Alors, faut-il parler de détaxation des produits alimentaires ? Faut-il être plus ferme sur l’économie de la distribution, avec une « répartition des marges » ? Je ne saurais dire. La réflexion est ouverte, doit-on inventer un nouveau modèle économique pour les marchandises agricoles (alimentaires et/ou énergétiques), ou simplement remettre de l’éthique dans le libéralisme agricole ?

A l’heure où le « durable » tend à diriger notre pensée, n’oublions pas que le durable ne passera que par un modèle économique qui puisse lui aussi répondre du durable.

Partager :

39 réponses à “La fin du libéralisme alimentaire ?, par Adrien Montefusco, agriculteur”

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Assistanat d’apparence. L’Etat nous fait savoir qu’il nous aime de multiples façons. Ses preuves d’amour sont la protection contre la…

  2. @Garorock La comparaison avec la France serait intéressante, la dette privée étant sans doute moins importante au grand DAM des…

  3. D’après les données disponibles, le pays où il y a le plus de cartes de crédit en circulation et où…

  4. Que pense Musk de ces camps? Rien. Et il reviendra manger dans la main du Donald. Il n’aura pas le…

  5. …  » Urgence: ralentir! « … Une accélération bienvenue ET urgentissime …^!^… : https://www.huffingtonpost.fr/international/article/18-passagers-deux-deputes-lfi-ce-que-l-on-sait-du-nouveau-navire-humanitaire-en-partance-pour-gaza_252475.html ET CETTE FOIS , en cette période…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx LLM pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés Singularité spéculation Thomas Piketty Ukraine Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta