Billet invité.
ADAIR TURNER PERSISTE ET SIGNE
Sous le titre « La colère du peuple contre les banquiers est légitime », qui reprend ses propos, Adair Turner, patron de la FSA qui régule l’activité financière au Royaume Uni, vient de persévérer et signer. A l’occasion d’une interview accordée hier lundi à La Tribune, le quotidien économique français, il appelle à la rescousse Stephen Green, le patron de la banque HSBC, pour réaffirmer qu’ « une partie de leurs activités (financières) n’avaient aucune utilité pour l’ humanité », ce que ce dernier aurait admis, avec « d’autres financiers éminents ».
Allant cette fois-ci plus loin, poursuivant ainsi : «…c’est vrai qu’il y a parmi eux des responsables qui n’ont toujours pas compris combien légitime est la colère du peuple. Pendant des années, on a répété des fables sur l’innovation financière et le dynamisme du secteur bancaire, réputés favorables à l’économie dans son ensemble, et on a justifié ainsi les rémunérations considérables dans la finance. Après la crise, ces rémunérations un peu étranges sont devenues scandaleuses, à cause du tort que la finance a porté à l’économie. Et il y a aujourd’hui une demande populaire très légitime pour que les régulateurs et le gouvernement mettent de l’ordre. »
Adair Turner réitère la proposition qu’il a formulée au dernier Forum économique mondial de Davos, en préconisant la mise en oeuvre d’un contrôle du crédit, une mesure qui lui semble pouvoir « prévenir une autre catastrophe ». Ajoutant : « Nous pourrions nous pardonner de ne pas comprendre des crises nouvelles, mais ce qui pose problème, c’est notre incapacité à tirer les leçons de phénomènes qui se sont déjà produits ! ».
Voilà comment il voit les choses : « Il faudrait faire la différence entre les crédits selon leur finalité. Il y a ainsi des crédits qui financent l’activité réelle, de nouveaux actifs ou des investissements, qui débouchent sur de la croissance ; le remboursement s’effectue au moyen du cash-flow créé par l’activité nouvelle. Et d’autres financent le rachat d’actifs existants – les crédits pour l’immobilier, pour les LBO ou rachats d’entreprise – avec un endettement élevé, où ce sont les plus-values qui financent le coût du crédit. Ce sont deux formes de prêts très différentes, il n’y a pas de raison de limiter les premiers, alors que les autres n’ont pas toujours d’utilité sociale, ils peuvent même être dangereux. Et lorsqu’on relève les taux d’intérêt, on pénalise indifféremment les deux, on frappe même davantage l’activité réelle, alors que l’on récompense les spéculateurs : le resserrement de la politique monétaire se traduit souvent par une montée du taux de change, qui augmente la plus-value. On n’a pas assez réfléchi à cela, notamment au Royaume-Uni, à cause de l’idéologie ambiante qui était contre une telle distinction. Nous étions aveuglés par la crainte de voir resurgir l’interventionnisme et ses travers. » (*)
Le projet de réforme des activités bancaires de Barack Obama s’inspirait des idées de Paul Volcker, un ancien président de la Fed. Aujourd’hui, le sort qui va lui être réservé par le Sénat américain est pour le moins incertain. Ce qui va advenir de cette nouvelle proposition d’Adair Turner l’est tout autant. Dans les deux cas, ces réformes peuvent être considérées comme n’allant pas au fond des choses et ne pouvant empêcher le déclenchement ultérieur d’une nouvelle crise. Mais ces réserves ne sont-elles pas secondaires, si l’on considère la personnalité et la position de ceux qui sont à l’origine de ces tentatives de prévenir une nouvelle catastrophe, et sont conscient que si rien n’est fait elle sera inévitable ? Pouvant laisser penser que nous ne sommes qu’au début de la réflexion, et que la poursuite de la crise, sans attendre la prochaine, va faire mûrir la réflexion ?
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(*) Note PJ : J’ai souvent insisté sur la nécessité d’une telle distinction. Par exemple en octobre 2008 dans Un Bretton Woods dont l’espèce se souvienne et en janvier 2009 dans À propos de « Pour un système socialisé du crédit » par Frédéric Lordon.
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