Billet invité.
Le 23 février dernier, je publiais un article dans Les Echos sur les Fonds Vautours. Le titre attribué à cet article : « Les Etats à la merci des Fonds Vautours », ne reflète pas ce que je pense de ces opérateurs financiers : il donne le sentiment que j’en condamne l’action, ce qui est faux. Certains de ces fonds peuvent avoir des pratiques condamnables, mais ceci est vrai de tout investisseur.
Pour analyser, avec sang-froid et objectivité, l’action de ces fonds, il convient tout d’abord de se défaire d’une idée reçue selon laquelle un Etat, parce qu’il est pauvre et, de surcroît défaillant, est forcément vertueux. Un Etat qui ne rembourse pas ses créanciers est avant tout un Etat qui ne respecte pas ses engagements. Est-il vertueux de ne pas tenir parole ?
Nous prendrons deux exemples démontrant qu’on ne peut se limiter à développer une opinion caricaturale de ces fonds. Le premier exemple concerne le fonds Elliott qui, en 1996, avait acheté, pour 11,4 millions USD, une partie de la dette du Pérou, d’une valeur faciale de 20,7 millions USD, et qui a refusé de participer à la restructuration de la dette de ce pays, contrairement à la majorité des obligataires. En 2000, le juge du District Sud de Manhattan condamnait le Pérou à lui payer la somme de plus de 55 millions USD. Mais avant d’en aboutir à saisir le juge, Elliot a multiplié, en vain, les propositions de règlement à l’amiable. Le second concerne le fonds Donegal qui acheta à la Roumanie, une partie de la dette de la Zambie pour 3 millions USD (que la Roumanie avait souscrite pour plus de 30 millions USD) et en réclama 50 millions devant les juges. Evidemment présenté ainsi, le citoyen ne peut que réprouver l’existence de tels fonds. Ce serait cependant oublier que le gouvernement de la Zambie a multiplié les bras d’honneur, d’abord à la Roumanie, puis au fonds Donegal qui ont vainement tenté un règlement amiable de cette dette. Je ne peux que renvoyer les esprits curieux (et courageux) à la décision de justice de 140 pages rendue le 15 février 2007 ([2007] EWHC 197 – Mr. Justice Andrew Smith).
Si l’on devait résumer l’utilité des Fonds Vautours, l’on dirait qu’ils sont les éboueurs des marchés financiers, comme les rapaces, dont ils portent le nom, sont les éboueurs de la nature.
Il suffit, pour le comprendre, de se mettre à la place d’un épargnant souscrivant des obligations d’Etat car, lui a-t-on dit, un Etat ne fait jamais faillite. Avec surprise, cet épargnant constate que l’Etat dont il a acheté les obligations ne lui verse pas les intérêts à l’échéance prévue. Que peut-il faire ? Il peut, bien sûr, agir en justice contre l’Etat défaillant, avec le coût inhérent à toute action en justice.
C’est à ce moment que les Fonds Vautours peuvent être utiles, en proposant à l’investisseur de lui racheter sa créance pour, sans doute, moins cher que ce qu’il aurait reçu si l’Etat débiteur n’avait pas été défaillant, mais plus cher que ce qu’il pourrait percevoir si sa créance était annulée. Croit-on que les investisseurs seraient nombreux à souscrire de la dette souveraine, si, en cas de défaut des Etats, ils n’avaient aucun espoir de recouvrer une partie de leur mise ? Et croit-on que les Etats pourraient se financer sur les marchés et séduire les investisseurs, en laissant penser que leurs obligations ne valent rien à la première défaillance venue ? Evidemment non, deux fois non !
Néanmoins, il existe des hypothèses où certains investisseurs peuvent compromettre le redressement d’un Etat. Pour y parer, deux initiatives méritent d’être soulignées, l’une de la Chambre des Représentants aux USA, que nous développerons dans un prochain billet, la seconde de la Banque Africaine de Développement succinctement exposée ci-après.
La Banque Africaine de Développement, sur l’initiative des Ministres des Finances africains, a mis en place l’« African Legal Support Facility ». Son objet est de fournir une aide juridique et judiciaire aux « PPTE », c’est-à-dire les « Pays Pauvres Très Endettés ». Cette initiative part d’un double postulat : d’une part, 70% des procès engagés ont engendré des jugements favorables aux créanciers des Etats africains en difficulté pour près de 1 milliard USD. D’autre part, les pays africains ne disposent pas de l’expertise juridique exigée face aux Fonds Vautours, pas plus qu’ils ne disposeraient des ressources financières nécessaires à l’acquisition de cette expertise. On notera cependant que, face à Donegal International, la Zambie était conseillée par le cabinet américain DLA Piper et William Blair, le frère de Tony Blair.
L’ambition de cet Institut est clairement affiché, ne serait-ce que dans son logo reproduit ci-dessous : faire la chasse aux Fonds Vautours par voie de justice.
Que penser de cette aide ? Du bien, évidemment. Cette aide rencontrera néanmoins rapidement ses limites en raison du droit international.
Lorsqu’un Etat emprunte sur les marchés, il conclut un contrat avec les investisseurs. Ce contrat est forcément soumis à une loi. De la même manière, le contrat désigne le juge qui sera compétent en cas de litige et qui appliquera la loi élue dans le contrat qui n’est évidemment pas celle de l’Etat débiteur.
Dans un tel contexte, quelle que soit la pertinence de l’aide de la BAD, un Etat, même très pauvre, même conseillé par les meilleurs avocats du monde, perdra son procès si la loi lui donne tort. Tous les juges du monde jugent en droit et non sur le fondement de la compassion.
Il nous semble que seule l’instauration d’un droit supranational applicable à l’endettement des Etats permettrait de protéger les populations d’Etats en difficulté des travers des marchés financiers. Ceci constitue un défi majeur, au même titre que l’élaboration et la mise en œuvre d’un système de réglementation financière mondiale, et ce, pour une même raison : ces deux défis ne pourront être couronnés de succès qu’à la condition que les Etats, tous les Etats, et non les plus pauvres, acceptent de se départir d’une partie de leur souveraineté, ce qui n’est pas gagné.
83 réponses à “Fonds Vautours : oiseaux de mauvais augure ou éboueurs des marchés financiers ?, par Alain Gauvin”