Billet invité
Dans un premier billet et de manière très allusive et approximative, je suggérais l’hypothèse que le bancor pouvait être une solution à la crise et ce de manière thermodynamique. L’analogie entre les lois de la thermodynamique et la crise financière actuelle a pu sembler étrange. Et cette réaction n’est pas infondée, tant il semble de plus en plus vérifié que le fonctionnement du système financier actuel n’était qu’un vulgaire village Potemkine depuis presque 40 ans.
En effet, s’il est apparu étrange qu’une telle comparaison puisse être effectuée, ou plutôt que de telles lois physiques puissent être appliquées à un champ aussi inhabituel que l’économie, c’est bien parce que le système financier a quelque part réussi à justifier et légitimer sa sortie de la réalité, qu’on avait fini presque par oublier. Et les lois de la physique de le lui et de nous le rappeler depuis 2006 avec les subprimes. Dura Lex, Sed Lex.
En physique, un système est soumis aux lois de la thermodynamique, dont la plus fondamentale (principe zéro) est la thermométrie, basée sur la mesure de stabilité d’un système et son équivalence à d’autres systèmes, produisant ainsi un étalonnage des systèmes au travers d’un référentiel universel : un thermomètre. Or, tout le projet du système financier a été de pouvoir s’extraire des règles communes aux activités économiques, afin de s’autonomiser, produire ses propres lois puis de les imposer à tous, par le biais d’une globalisation rapide et irréversible. Ceci implique dès lors pour ce système, afin de s’extraire des lois de thermodynamique, de … supprimer l’étalonnage, le thermomètre.
Ce fut fait en 1971, avec la suppression par Nixon de la parité or/dollar, l’or ayant été à de multiples occasions dans l’Histoire le seul étalon monétaire universellement reconnu (la livre sterling abandonna elle aussi définitivement en 1931 sa parité d’avec l’or). D’autres mesures suivirent, comme le Décret Giscard de 1973 sur l’interdiction à la Banque de France de financer le Trésor, interdiction que l’on retrouve dans le traité de Maastricht pour la BCE. Le système financier n’ayant plus de système d’étalonnage, il put ainsi prétendre à son autonomie, c’est-à-dire à la soumission à ses seules lois, créés par lui et pour lui.
In fine, on cessa même juste avant la crise des subprimes de communiquer les agrégats monétaires M3, jugeant qu’il n’était même plus nécessaire de justifier un tel arrimage à la réalité : le système était devenu réellement virtuel. Le langage fut d’ailleurs façonné à sa manière : « bulle financière », « flux financiers », « économie financière », …
Une fois de désarrimage effectué, combattre les deux lois de la thermodynamique devenait dès lors plus facile. Ainsi, le principe premier de la thermodynamique est la conservation de l’énergie et sa transformation : rien ne se créé, tout se transforme. Qu’à cela ne tienne ! Supprimons cette loi stupide et proclamons qu’au contraire tout se crée et que rien ne se transforme : la seule loi véritable est la loi de la croissance infinie, dont l’outil essentiel et presque exclusif est le crédit/dette. Le système financier est alors devenu un démiurge et ses acteurs centraux, à l’instar de Lloyd Blankfein, Pdg de Goldman Sachs, réalisent le travail de Dieu : la création, infinie. Rien de moins … Or, si vous abolissez le premier principe de la thermodynamique, vous en abolissez aussi le second, qui se base sur la transformation de l’énergie, produisant des frottements (de la chaleur) et des désordres, mesurés par l’entropie. Dès lors, puisque tout se créé et rien ne se transforme, il n’existe pas de désordres, donc pas d’entropie. Et s’il s’en crée, c’est que le système financier n’a pas encore totalement achevé son désarrimage au système économique réel.
Peuples du monde, ayez confiance, la fin de l’entropie est pour bientôt et la délivrance est proche : le système financier, basé sur le crédit à volonté, sera demain complètement virtuel.
Fin de la souffrance, alléluia.
Sauf que. Sauf que dans la « vraie vie réelle de tous les jours », les lois de la thermodynamique continuent à s’appliquer. Et qu’à un moment donné la vague des subprimes a fini par rencontrer le mur de la réalité sous forme de falaise de défaillances de remboursement. Dès lors, application de loi I : transformation du crédit privé en dette publique. Puis application de la loi II : désordre = entropie ; un désordre d’abord financier (crédit interbancaire), puis économique, puis social, le tout sur la sommation du dit système financier, autonome, que les dits systèmes réels produisent suffisamment d’effets retours pour rééquilibrer le dit système, qui soudain redécouvrit brutalement qu’il n’échappait pas aux lois thermodynamiques, ainsi qu’à la loi gravitationnelle, « de tout son poids » serais-je tenté de dire : la chute. En guise d’aérofreins, on improvisa diverses choses, comme la réduction des taux d’intérêt du crédit à quasi zéro, puis, devant l’insuffisance devenue évidence, le Quantitative Easing (l’assouplissement quantitatif) et enfin la transmission de l’entropie aux autres systèmes, notamment monétaires et sociaux.
On en est actuellement là et ce depuis fin 2006 – début 2007, soit plus de 3 ans, à utiliser toutes les solutions normales connues et reconnues par le système financier … sans qu’aucune n’ait encore fonctionné à ce jour. Pire pour le dit système, l’entropie transférée au système social menace maintenant de mettre en péril son existence même. La stricte application des lois de la thermodynamique aura pour conséquence finale la destruction du système ayant généré la transformation initiale. Sauf qu’avant que cela n’advienne, d’autres systèmes auront subi l’entropie de plein fouet, notamment les systèmes sociaux, sans aucune certitude sur leur capacité à résister.
L’intérêt du bancor est justement qu’au lieu de nier les lois thermodynamiques, il les applique, et même intégralement. C’est d’ailleurs tout son intérêt, au regard des phénomènes d’entropie.
Ainsi, pour ce qui concerne le principe « zéro », dit de thermométrie, le bancor est le thermomètre absolu puisqu’il n’a pas l’inconvénient, apparemment indépassable, d’être une des monnaies existantes : en tant que monnaie virtuelle et universelle, il permet au principe « zéro » de s’appliquer dans sa totalité. Il permet donc de mesurer la stabilité d’un système local monétaire intrinsèquement mais aussi d’évaluer l’équilibre entre différents systèmes locaux (pluralité de monnaies). Il ne peut pas exister de distorsions de mesure dans la stabilité et l’équilibre dans et entre les monnaies.
Pour ce qui concerne le premier principe de la thermodynamique, le bancor non seulement évalue immédiatement l’équilibre (interne/externe) mais il en restitue intégralement les évolutions ou transformations d’équilibre : à la fois au sein d’un système (prix, notamment) mais aussi entre les systèmes monétaires. Dans le cas de déséquilibres commerciaux par exemple, un pays qui exporte trop se verra compenser en bancor mais avec un taux de crédit négatif, l’incitant ainsi à revenir à l’équilibre commercial. Dans le cas inverse, un pays qui importe trop se verra allouer des bancor en crédit (dont le taux d’intérêt sera variable au regard des sommes générées), lui permettant alors d’investir dans son économie et réduire ses importations pour augmenter ses exportations, afin de revenir à l’équilibre.
Quel est l’intérêt d’accorder une telle importance aux balances commerciales et à leurs équilibres ? C’est Martin Wolf, du Financial Times, qui l’explique : toutes les crises financières qui se sont déclarées depuis 1971 sont advenues par excès de capitalisation de devises de pays, pour se garantir des risques de change, dont l’exact opposé est l’excès d’endettement d’autres pays, le système s’auto-entretenant ainsi pendant un temps, jusqu’à l’explosion, à chaque fois, des bulles ainsi créées : Mexique en 1982, Asie en 1997, etc. De la part d’un économiste si orthodoxe, cela ne peut que frapper.
Cet avis, très récent (04 mai 2010), ne fait que confirmer la nécessité de mettre en place un outil qui permettra ou aura pour objectif d’atteindre l’équilibre des balances commerciales, au travers de la fixation des cours monétaires (crédit/débit, dévaluation/réévaluation). Le bancor peut être cet outil, thermodynamique, donc.
Car l’idée derrière tout ceci est bien de réduire à minima les effets inévitables et irréversibles des transformations qui se produiront dans l’économie mondiale et maintenant globalisée, pour le pire comme pour le meilleur. Ces effets sont l’entropie produite par ces transformations, qui mesure le désordre produit dans chaque système et entre chaque système. Le bancor, en réallouant ainsi, par « découplage direct », les effets des transformations qui adviendront toujours dans les échanges commerciaux pourrait être un « embrayage à bain d’huile » très performant, réduisant voir dans le meilleur des cas, extrême, de pur équilibre et stabilité, annihilant totalement les effets d’entropie. On atteindrait ainsi le fameux troisième principe de la thermodynamique, principe qui ne se vérifie quasiment jamais ou en théorie, où l’entropie disparaît complètement, par absence de frottements lors des transformations (ou par absence de transformations, ou par transformations immédiates). Mais le veut-on vraiment, sachant que l’outrecuidance du système financier actuel était précisément de dépasser (ou de s’en extraire) les lois de la thermodynamique ?
Il me semble néanmoins que le bancor ne serait pas complet si on ne lui adjoignait pas deux éléments, qui lui permettraient de tenir son rôle thermodynamique : les monnaies locales et l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix. Les premières permettraient au bancor de ne pas avoir à supporter tout le poids de la transmission, au sens mécanique, des transformations et de leurs effets. Car une seule boîte d’embrayage, aussi performante soit elle, ne peut à elle seule être en capacité de jouer ce rôle au niveau mondial. Il pourrait donc être envisagé un découplage des fonctions du Bancor aux multiples niveaux locaux : régions, agglomérations, communes, communautés, etc., niveaux les plus pertinents car les plus proches de l’activité humaine. Chaque bancor local serait ainsi une courroie de transmission des différents échanges commerciaux en différentes monnaies, démultipliant et donc divisant les risques d’entropie qu’aurait eu à supporter un et un seul bancor.
L’interdiction des paris sur les fluctuations de prix serait quant à elle nécessaire, en complément du bancor, pour supprimer les tentatives des spéculateurs de provoquer des transformations trop importantes, de par les effets de levier engagés par ces paris, induisant ainsi des effets d’entropie qu’aurait à supporter le système du bancor, avec pour conséquence le déréglement d’une mécanique huilée de l’équilibre monétaire optimal. On pourrait utiliser comme image l’intérêt que pourraient avoir certains acteurs de provoquer artificiellement des vagues sur un lac où navigueraient différents esquifs, dans le but d’en faire chavirer quelques uns et de profiter ainsi des remous et du désordre créés pour déstabiliser le système (but à long terme), « aider » les navires coulés à se renflouer par le crédit et … réintroduire ainsi artificiellement l’ancien système financier crédit/dette (objectif à moyen terme), tout en générant de substantiels profits (objectifs à court terme). L’interdiction des paris sur les fluctuations de prix est donc nécessaire à la viabilité à long terme du bancor, afin de contribuer à maintenir la recherche de l’équilibre optimal du système dans son ensemble.
On peut d’ailleurs remarquer que ces outils complémentaires s’intègrent bien dans une nouvelle vision, thermodynamique, du bancor et qu’elles en épousent les lois : stabilité et équilibre, transformation et conservation, entropie.
Enfin, l’utilisation des lois de la thermodynamique comme nouveau paradigme économique aurait de multiples avantages :
– fonder un concept sur des lois physiques, prouvés et éprouvées (l’actualité de ces dernières années le montre bien), en phase avec le monde réel ;
– rendre plus lisible l’explication des phénomènes de crise actuellement en cours (et l’absence de justification et de légitimité de l’existence du système actuel) ;
– rendre plus légitime la mise en place de nouveaux outils comme le bancor, dont on peut aisément anticiper les résistances auquel il devra faire face, résistances politiques mais aussi philosophiques du système financier actuel.
Si, l’Europe, seule entité politique au monde jusqu’à présent à avoir mis en place un embryon de bancor arrive à transformer cet outil monétaire qu’est l’euro en véritable bancor, il y aurait fort à parier que la « vieille culture européenne » retrouve alors une véritable dynamique. Si elle arrive aussi à tendre la main à la Chine qui ne recherche rien d’autre que son propre équilibre, en lieu et place d’une conquête, qu’elle sait illusoire, d’un pouvoir impérial mondial, nous pourrions enfin trouver le chemin d’une rencontre entre le « juste » d’Aristote et « l’harmonie » du Tao, plus de 2000 ans après leurs émergences respectives.
Echanger un monde concurrentiel contre un monde coopératif.
Un tel véhicule ferait à coup sûr des étincelles.
Avanti !!
78 réponses à “Le bancor, solution thermodynamique à la crise (suite), par Zébu”