Une occasion manquée, par Jean-Pierre

Billet invité

Formidable! Il leur a fallu trois jours pour arriver enfin à une conclusion que l’on attendait depuis plus de trois mois. Et nos doctes dirigeants estiment avoir résolu le problème. Ils ne se rendent pas compte qu’ils viennent de l’aggraver. Pourtant, dans leurs élucubrations de dernière minute se cachait une idée formidable. Elle a malheureusement été balayée d’un revers de main par deux acteurs éminents : la Grande-Bretagne et l’Allemagne.

De quoi s’agit-il? Comme on le sait, la Banque Centrale Européenne (BCE) n’a pas le droit d’acheter des emprunts d’Etat directement auprès des trésors concernés. Elle n’accepte ces titres que dans le cadre d’avances sur nantissement. Les titres doivent néanmoins être de qualité et leur notation ne peut être inférieure à BBB-. Mais depuis la rétrogradation de la Grèce sous ce seuil, la BCE n’a pas eu d’autre alternative que d’accepter tous les titres des pays membres de l’Union. Ne pas le faire eût sonné le glas de l’euro.

Bien sûr, cette procédure ne concerne que les banques. Ces dernières souscrivent aux émissions d’Etat après en avoir convenu les modalités avec le Trésor émetteur. Ensuite, ces banques négocient ces emprunts avec les investisseurs intéressés. De temps à autre, en fonction de leurs besoins en liquidités, elles mettent ces titres en pension auprès de la BCE et obtiennent un crédit très bon marché de sa part. La BCE gère ses différentes fenêtres de crédit en fonction de sa politique monétaire.

Depuis que la crise financière sévit, la BCE a dû introduire de nouvelles facilités pour soutenir le système bancaire. Elle acceptait des titres de piètre qualité, provenant même du secteur privé. Depuis le début de l’année, cependant, la BCE a commencé à enlever prudemment tous ces nouveaux filets de sauvetage. La crise était jugulée, paraissait-il. Jusqu’à ce que la prise de fonction d’un nouveau Premier Ministre en Grèce en octobre 2009, George Papandreou, ne fasse, par ricochet, trembler toute la zone euro. Comme tout politicien qui se respecte, la première chose qu’il entreprit après son élection fut de critiquer ses prédécesseurs, en affirmant avoir hérité de caisses vides et de comptes gravement déséquilibrés. Jusqu’alors, personne ne s’en souciait véritablement. Le 5 novembre, le gouvernement annonçait un déficit de 12,7% du PIB et une dette à 113,4%. Le 11 novembre, la Commission déclenchait une procédure pour déficits excessifs. Le 8 décembre, l’agence de notation Fitch abaissait la note de la Grèce de A- à BBB+.

La joie des spéculateurs était grande. Ils disposaient enfin d’une alternative aux Bourses qu’ils avaient poussées vers des sommets difficilement justifiables économiquement. Aujourd’hui, ils pouvaient s’en prendre aux emprunts d’Etat. Ils ont entamé leurs assauts par la Grèce. Tant et si bien que les politiciens et la gent académique se sont penchés sur cette affaire, fronçant les sourcils. La Grèce avait osé les berner, rendez-vous compte!

Les gouvernants ont tergiversé pendant plus de trois mois. Pour les spéculateurs, la situation est du pain bénit. Ils matraquent sans vergogne le cours des emprunts grecs, aggravant les conditions de refinancement du pays. C’est précisément là que l’Union vient de rater le coche. Ses membres étaient à deux doigts de créer l’arme la plus redoutable qui soit pour casser les reins des spéculateurs. Malheureusement, ni la Grande-Bretagne, ni l’Allemagne n’ont osé assumer cette responsabilité.

Le but était de créer un fonds qui émettrait des emprunts au nom de l’Union, garantis par l’avoir budgétaire de l’Union, donc par ses membres, et pouvant directement négocier les titres sur le marché obligataire afin d’en stabiliser le cours. On aurait pu élargir les prérogatives de ce fonds en invitant, par exemple, les Trésors nationaux à céder une partie de leurs emprunts afin que le fonds puissent les utiliser lors de ses interventions sur le marché.

Imaginez que ce fonds reçoive des Bunds et des OAT, les vende et, avec le produit ainsi dégagé, achète les titres grecs à vil prix. Aucun risque! Le fonds aurait de la sorte pris les spéculateurs à leur propre jeu. Au lieu que ces derniers aspirent les milliards d’euros des contribuables que les gouvernements dans leur inanité leur concèdent, le fonds récupérerait ces milliards au profit de l’Union en général et de la Grèce en particulier. Malheureusement, cette idée est morte avant même d’avoir vu le jour!

Non, les membres de l’Union, en collaboration avec le Fonds Monétaire International (FMI), préfèrent mettre 750 milliards d’euros à la disposition des marchés. Les spéculateurs doivent se frotter les mains. L’allocation de départ de 30 milliards a gonflé en moins de deux semaines, d’abord jusqu’à 110 milliards, quatre fois la somme initiale, puis jusqu’à 750 milliards, 25 fois la somme promise. De telles largesses sont totalement irréfléchies.

Car, dans l’intervalle, rien n’est entrepris pour stopper la spéculation. Les banques pourront continuer de manipuler les cours comme elles l’entendent. Surtout qu’elles sont maintenant assurées d’être remboursées. L’euphorie du lundi 10 mai suite à l’annonce de ce plan gigantesque était d’ailleurs spectaculaire. Elle fut de courte durée. Car rien n’est résolu. Que du contraire !

La volatilité des prix, de tous les prix, augmentera. Ce n’est que de cette manière que les banques gagnent de l’argent. Gageons que les spéculateurs voudront s’accaparer les 750 milliards qui leur sont présentés. Et qui sait, on leur promettra encore plus s’ils y parviennent. Ils ne s’attardent pas sur le fait qu’ils se détruisent eux-mêmes. Leur horizon dépasse rarement l’heure.

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