L’actualité de la crise: le doute se généralise, par François Leclerc

Billet invité

LE DOUTE SE GÉNÉRALISE

Les membres du Committee of European Banking Supervisors (CEBS) – l’organisme européen réunissant les régulateurs bancaires chargé de conduire les tests d’effort – se sont-ils résignés à accepter l’idée que la transparence était la clé du succès, dans un monde financier où celle-ci est toujours revendiquée mais rarement rencontrée  ?

Suite à d’amicales et insistantes pressions des marchés, une liste de 91 banques a été publiée par leurs soins et des indications partielles ont été données sur les paramètres d’effort qui vont être utilisés. Mais les marchés ne s’en sont pas contentés, à peine ces informations publiées, attendant de nouvelles précisions des régulateurs et le faisant savoir. Ils craignent en effet que les tests soient effectués à l’envers, et que ce soit en fonction des résultats finaux que les paramètres détaillés du test seront déterminés. On n’apprend pas aux vieux singes à faire des grimaces.

En attendant la publication des résultats toujours prévue pour le 23 juillet prochain, des résultats circulent, notamment en provenance du Crédit Suisse qui a effectué sa propre enquête, contribuant à rajouter à la confusion ambiante qui se poursuit. Seuls les chiffres officiels allant faire foi (mais de quoi ?), les questions demeurent en suspens.

Plusieurs ambiguïtés de fond subsistent en effet. Avant tout, les décotes appliquées sur les obligations souveraines sont considérées comme trop modestes, au regard de celles qui pourraient intervenir dans le cadre d’éventuels processus de restructuration des dettes publiques. Pour sa part, la liste des banques retenues est analysée, non seulement en fonction de celles qui y figurent, mais surtout de celles dont ce n’est pas le cas. Il est par ailleurs relevé qu’aucune information n’est donnée à propos de la méthode adoptée de calcul de la valorisation des actifs, ni des seuils qui feront considérer que les banques auront ou non le nez hors de l’eau. Ni, enfin, de ce qui sera retenu comme fonds propres « durs » pour les calculer. Tout cela fait beaucoup d’imprécisions et témoigne, lorsqu’elles sont évoquées, du profond doute qui s’est installé et ne va pas être résorbé.

En réalité, les marchés ne sont pas spécialement inquiets à propos de la solidité du système bancaire : ils sont bien placés pour en connaître la grande fragilité globale, sans avoir besoin de tests, même s’ils aimeraient avoir plus de détails et connaître les moutons noirs du troupeau, afin de les isoler. Les marchés craignent à la fois les tensions à venir sur le marché obligataire et le retour de la récession économique, qui appellent des Etats des réponses contradictoires. En dépit des arguties de ceux qui, comme Jean-Claude Trichet, prétendent que « consolidation budgétaire et croissance ne s’excluent pas mutuellement », appelant à la rescousse les résultats européens en Coupe du Monde de football pour justifier la confiance dans l’avenir de l’Europe…

Marchés et Etats sont tout aussi désorientés, dans le contexte actuel de détérioration de la situation. Le processus de désendettement engagé est non seulement long et douloureux – comme prévu – mais il est entré dans une nouvelle phase aiguë, et une question troublante est à nouveau posée : cette digestion pourra-t-elle s’accomplir ou est-elle en train de se bloquer ? Si c’était le cas, comment pourrait-il y être remédié ?

Nier la profonde tendance récessive globale dans laquelle l’économie occidentale se trouve, comme le fait la BCE en se crispant, ou se satisfaire de la situation actuelle du marché de la dette souveraine européenne pour laisser entendre que ses acquisitions sur le second marché pourraient être arrêtées, ne font pas une politique. A quand la prochaine crise, à laquelle il faudra à nouveau répondre dans l’improvisation ?

Dans l’immédiat, les ministres des finances européens vont à nouveau se retrouver en conclave lundi et mardi prochain, avec sur les bras un nouveau problème à résoudre. Ayant du admettre qu’il n’était pas raisonnable de s’en tenir à leur discours initial, selon lequel les tests allaient démontrer que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes bancaires, il leur faut trouver le moyen de financer les renforcements de fonds propres qui vont maintenant être rendus nécessaires par ceux-ci, afin d’en asseoir la crédibilité.

Les esprits chagrins se demandent même s’ils ne mettent pas la charrue avant les boeufs, élaborant le dispositif de financement et les montants qui pourront être réunis grâce à lui avant de finaliser le résultat des tests, afin que tout coïncide pour le mieux… Quand le doute est installé, c’est tout un art que de le résorber  !

Certes, des fonds ont été prévus de longue date. Les Allemands disposent de 50 milliards d’euros avec le SOFFIN précédemment mis en place. Les Grecs de 10 milliards d’euros, en application du plan de sauvetage dont ils ont bénéficié. Ombre au tableau, les Espagnols ont déjà quasiment épuisé les 12 milliards d’euros de leur FROB. Où trouver les fonds, si les besoins dépassent ces montants, et surtout s’ils ne sont pas répartis en accordance avec le résultat des tests ? Des voix discrètes ont déjà proposé que le fonds de stabilité européen, destiné à venir au secours des Etats et qui continue à lentement être mis en place, pourrait être utilisé à cet effet. Bien qu’un tel détournement de ces fonds (qui proviendront d’emprunts réalisés sur les marchés par le véhicule spécial, avec la garantie des Etats) soit politiquement délicat à revendiquer.

Comme des poissons pris au piège d’un filet et frétillant désespérément, les acteurs de la crise continuent de chercher dans le désordre une issue. Tandis que la BCE continue de jouer les pères fouettards tout en assurant de facto le rôle d’une sorte de fonds monétaire européen qu’elle n’est pas, le FMI préconise une position d’autant plus nuancée qu’il n’a pas à la mettre en pratique, soumis aux impératifs contradictoires de ses principaux membres, Etats-Unis d’un côté et Européens de l’autre (ce dernier camp fort divisé). C’est peu dire que les dirigeants occidentaux sont dans l’expectative et à la remorque des événements. Parlant de son pays, Barack Obama vient de reconnaître qu’il avait reçu « un coup de massue ».

Des notabilités universitaires y font désormais l’inventaire de ce qui serait nécessaire pour faire face à une situation de plus en plus préoccupante. Que l’Etat fédéral avance aux Etats sinistrés des fonds qu’ils ne peuvent emprunter sur le marché pour financer leur fonctionnement. Et que la Fed – qui s’interroge de plus en plus ouvertement à ce sujet – se réengage dans une politique de franche création monétaire, afin de tenter officiellement de contribuer à la relance économique et pratiquement de monétiser la dette publique.

Hier, on se raccrochait à la croissance chinoise, ou bien à celle des Etats-Unis. Aujourd’hui, on se contente des chiffres de mai dernier des commandes industrielles allemandes. C’est faible pour tirer la croissance mondiale. Décidément, il est encore trop tôt pour que soit clairement reconnue, dans toute son étendue et sa portée, une aveuglante constatation que l’on préfère encore ignorer : le monde ne va pas retomber sur ses pieds et recommencer comme avant.

Le mécanisme est cassé et ne peut pas être réparé. Il ne s’agit pas seulement de quelques réformettes de régulation financière, dont Tim Geithner, secrétaire d’Etat au Trésor américain, essaye contre toute évidence de faire croire que les banques en sont « très mécontentes ». Ou que les Européens tentent de mettre avec retard sur pied dans un illusoire pré carré. Ni même de tenir pour durer, en tentant de limiter la casse sociale afin que la crise ne déborde pas.

Avec une croissance introuvable et une relance de l’endettement – comme substitut à une meilleure répartition de la richesse – qui l’est tout autant, il se confirme qu’une époque est en train d’irrévocablement se terminer. Dur à admettre pour ceux qui y tenaient, même si le doute commence là aussi à s’insinuer.

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