Golfe du Mexique – Forage en Offshore Profond, par Benoit Debray

Billet invité.

J’aime fréquenter le blog de Paul Jorion car l’approche critique qu’il propose pour la crise financière s’applique naturellement à d’autres crises et donc en particulier à la catastrophe en cours dans le Golfe du Mexique. La question centrale est la représentation que l’on se fait du problème et la capacité d’en changer quand cela s’avère nécessaire. Les symptômes observés lors de ces crises sont souvent des absences de décisions au moment où elles seraient nécessaires auxquelles succèdent des phases d’inaction puis d’agitation avec malheureusement des solutions proposées dérisoires par rapport à la taille du problème à résoudre. En restant dans les généralités et essayant de garder un peu d’humour malgré les circonstances dramatiques, je ne vois rien de plus explicite que de regarder la vidéo suivante :

Afin de répondre à cet « appel à compétences », je me propose de décrire succinctement dans les lignes qui suivent ici la problématique générale du forage en Offshore Profond en espérant que cela aidera à se faire une représentation correcte du problème que BP et ses partenaires tentent de résoudre. Tout d’abord il faut imaginer la succession de couches géologiques non comme un empilement statique mais plutôt comme un système complexe, chaque couche ayant ses propres caractéristiques physiques et étant saturée par des fluides sous des régimes de pression différents. Le forage de ces couches perturbe, et doit restaurer ensuite, ce fragile équilibre qui s’est établi à l’échelle des temps géologiques. Pour rester simple on considérera deux paramètres principaux: d’une part la pression des fluides qui saturent la couche à traverser, d’autre part la pression nécessaire pour « fracturer » la roche c’est à dire détruire la cohésion des grains de matière qui composent la couche.

On conçoit aisément qu’il faut se maintenir impérativement au dessus de la limite basse constituée par la pression des fluides saturant la roche, sinon le puits en cours de forage entre en éruption, sans jamais dépasser la limite haute constituée par la pression de fracturation. Le forage rencontrant plusieurs couches avec des pressions (fluides et fracturation) différentes on parlera de gradients et on ajustera les paramètres de forage (en particulier la densité du fluide de forage) pour parvenir à forer une certaine longueur puis à la tuber avec un tube en acier qui sera cimenté.

La difficulté du forage en Offshore Profond est que l’écart entre la pression des fluides saturant la roche et la pression de fracturation est très réduite par rapport à un forage dans des terrains plus consolidés, comme ceux que l’on trouve à terre. La difficulté est accentué par le fait que le forage est réalisé à partir d’un navire situé à la surface de la mer et qu’il faut opérer un dispositif permettant au fluide de forage de parcourir les 1 à 2 km de hauteur d’eau avant d’entrer dans le puits proprement dit. La marge de manœuvre de ces opérations est donc très réduite par rapport à du forage classique. Elles nécessitent l’emploi de technologies et de surveillance particulières qui, en général, sont considérés comme correctement maitrisés aujourd’hui.

Ceci étant exposé, j’en viens à certaines considérations sur cette catastrophe sans précédent. Il est illusoire de penser que l’on peut contrôler ce genre de situation à partir d’un point unique à savoir la tète de puits sous marine, que ce soit en cours de forage ou bien une fois que l’éruption a eu lieu et n’a pas pu être contrôlée. La maitrise du fluide de forage est essentielle dans toutes les configurations possibles (forage, contrôle du trou, descente de tubage, cimentation). L’existence d’un dispositif de fermeture d’urgence au niveau de la tète de puits, certes très important, est une sécurité supplémentaire dont le fonctionnement ne peut, à l’évidence, être considéré comme acquis. Après la catastrophe (et la disparition de la plateforme et ses occupants), il est douteux qu’un contrôle local puisse être d’une part mise en œuvre avec succès, d’autre part être efficace à partir du moment ou une pression forte en tête de puits se répercute à tous les niveaux entrainant des fuites possibles au travers des couches fracturées.

Cela dit, j’espère comme tout le monde que les opérations récentes sur la tête de puits finiront néanmoins par fonctionner. J’attends surtout le résultat des puits de secours (relief wells) qui ont été démarrés il y a plusieurs semaines et qui devraient restaurer l’étanchéité du puits défectueux aux niveaux adéquats dans le courant du mois d’aout.

Les événements étant concomitants, je reviens sur l’intérêt que je trouve au blog de Paul Jorion (c’est à dire lui-même et les commentateurs de son blogs) pour solliciter l’intelligence et la capacité d’échange de chacun pour explorer collectivement les périodes de crise et tenter de trouver des solutions. C’est cette démarche que je trouve extraordinaire qui m’a poussé à écrire cette modeste contribution à cet appel à compétences.

Benoit Debray : Blog, Site.

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