Billet invité
Le 21 septembre 2010, la Banque Centrale Européenne (BCE) publiait une décision posant les modalités de gestion du compte bancaire du FESF. Le FESF est le Fonds Européen de Stabilité Financière, créé en catastrophe en juin 2010 pour venir en aide à la Grèce, en donnant, à cette aide, une apparence de légalité.
Pour mémoire, la fin de l’année 2009 et le premier trimestre 2010 furent marqués par la traumatisante question, pour l’Union européenne, de savoir si elle pouvait, ou devait, sauver l’un de ses membres, la Grèce. Question traumatisante, car, du point de vue politique et juridique, il n’était pas certain, et il ne l’est pas plus aujourd’hui, que la Grèce méritât l’aide de l’Union.
Souvenons-nous de la tragédie grecque : pour sanctionner la Grèce et ses 300 milliards d’euros de dettes, représentant pas moins de 120 % de son PIB, les agences de notation décidèrent de dégrader sa note. La conséquence directe de cette dégradation fut le renchérissement du coût du crédit auquel la Grèce pouvait se financer, sombrant ainsi dans un cercle vicieux : de moins en moins solvable, la Grèce doit supporter un coût de plus en plus élevé de son financement, avec pour conséquence l’accroissement de sa dette publique.
A la question de savoir pourquoi les pays de l’Union européenne se sont finalement portés au secours de la Grèce, deux raisons principales sont avancées. D’abord, la dette extérieure grecque est détenue à 85 % par des investisseurs de la zone euro, de sorte que ces derniers n’ont aucun intérêt à voir cet Etat courir à la faillite. Ensuite, parce que, dit-on, la défaillance de la Grèce ébranlerait l’Union Européenne et menacerait sa monnaie unique. En réalité, personne n’en sait rien.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’Union européenne, en procédant au sauvetage de la Grèce selon les modalités mises en œuvre, a purement et simplement violé son propre Traité, le texte qui lui a donné naissance.
Dans la droite ligne de la décision prise le 9 mai 2010 par le Conseil Ecofin, les ministres de l’Economie et des Finances de l’Union européenne décidèrent de la création du FESF. Ce fonds, créé le 7 juin 2010 et constitué sous la forme d’une société anonyme localisée au Luxembourg, a pour objet d’offrir des prêts, en collaboration avec le FMI, aux Etats Membres de l’Union européenne rencontrant des difficultés, et ce, sous réserve du respect par lesdits Etats en difficulté, de sévères conditions. Ce fonds se finance sur les marchés grâce à une garantie émise par les Etats Membres à concurrence d’environ 500 milliards d’Euros.
Un accord a été conclu entre les Etats Membres de la zone Euro et le FESF le 7 juin, entrant en vigueur le 4 août 2010 et prévoyant les modalités de financement des Etats rencontrant de graves difficultés et les conditions de garantie de ce fonds.
De prime abord, il peut sembler tout à fait normal que l’Union vienne en aide à l’un de ses membres. Sinon, à quoi pourrait bien servir la constitution d’une communauté entre Etats qui ne seraient pas solidaires des difficultés de l’un des leurs ? Et pourtant, cette solidarité ne va pas de soi sur le plan de la démocratie.
Certains ont pu affirmer que l’Union européenne disposait de l’arsenal juridique nécessaire pour sauver la Grèce, se référant à l’article 122(2) du Traité « sur le fonctionnement de l’Union européenne« . Et c’est bien, au demeurant, sur le fondement de ce texte que le FESF a été créé et que l’accord qui le lie aux Etats de la Zone Euro a été conclu. Que dit ce texte ? « Lorsqu’un Etat membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’Etat membre concerné. »
S’agissant de la Grèce, la question est la suivante : la situation budgétaire et financière catastrophique dans laquelle la Grèce se trouve correspond-elle à un « événement exceptionnel échappant à son contrôle » ? Plus concrètement encore, le laxisme budgétaire et la fraude fiscale généralisée qui ont notoirement cours en Grèce échappent-ils à son contrôle ? A l’évidence, la question recèle la réponse.
Ainsi, le sauvetage de la Grèce (et la création du FESF), sur le fondement de l’article 122(2) du Traité, est surprenant à un double titre :
(i) D’abord, il n’est pas raisonnable de soutenir que l’indiscipline grecque échappe à la volonté des Grecs ;
(ii) Ensuite, ce sauvetage ne pouvait se faire sans la décision du Conseil ; or, en mai 2009, la Présidence du Conseil semblait être plus que réservée sur l’utilisation de l’article 122(2) du Traité pour aider financièrement un Etat de l’Union dans le contexte de la crise financière.
En réalité, il faut le dire, le recours à l’article 122(2) du Traité pour justifier le sauvetage de la Grèce constitue une hérésie juridique, une violation du Traité.
Pourquoi l’Union Européenne a violé son texte fondateur
Si la presse s’est largement fait l’écho de la création du FESF, de son abondement et de la contribution des Etats Membres de la zone Euro en tant que garants de ce mécanisme, en revanche, il est remarquable de relever les obstacles auxquels est confronté le commun des mortels pour accéder à la documentation juridique régissant ce dispositif et le sauvetage de la Grèce [1]. On pourrait croire qu’en se rendant sur le site de l’Union européenne, on peut aisément trouver l’accord des Etats membres organisant les modalités de leur intervention en faveur de ce sauvetage mutualisé, tant l’actualité de cette affaire est brûlante, et sa dimension politique essentielle : car ce n’est ni plus ni moins que l’esprit démocratique de l’Union qui est remis en cause, dès lors que des décisions en violation du texte fondateur, le Traité de Rome (maintes fois amendé), sont prises dans le dos des peuples. Il n’en est rien : tout juste trouve-t-on, sur le site de l’Union, la décision précitée de la Banque Centrale, décision n’ayant aucun intérêt politique. De là à voir dans ce camouflage la volonté des gouvernants européens de mentir aux peuples d’Europe il n’y a qu’un pas facile à franchir.
Car, selon certains des plus grands juristes européens, la crise financière ne saurait être définie comme un événement exceptionnel échappant au contrôle des Etats [2], opinion que nous partageons sans réserve pour les raisons suivantes.
Si l’on peut considérer que la crise financière mondiale échappe à la prévision des Etats, en revanche, il en va tout autrement de leurs finances et de leur politique budgétaire et fiscale. En outre, la question se pose de savoir si « les difficultés » visées par l’article 122(2) du Traité ont pour cause la crise financière. S’agissant de la Grèce, rien n’est moins sûr et il est fort à parier que, crise mondiale ou pas, la Grèce, pour les raisons précédemment évoquées, eût, de toute façon vécu tôt ou tard la difficile situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. Donc, de fait, le sauvetage de la Grèce ne pouvait être justifié sur la base du Traité. Ce sauvetage ne pouvait pas plus être justifié en droit. Et, à cet égard, la réponse apportée par la Présidence du Conseil à la question du député européen, Kathy Sinnott, en mai 2009, est éloquente [3].
La question du député était la suivante : « Le Conseil estime-t-il que, dans la situation économique actuelle, certains Etats membres seront affectés par de tels événements exceptionnels ? » La Présidence du Conseil répondit en trois points principaux.
Premièrement, la Présidence du Conseil précise qu’il n’existe pas de définition de la notion « d’événements exceptionnels échappant au contrôle d’un Etat membre. » Deuxièmement, l’on apprend que le Conseil n’a jamais discuté de la question d’invoquer des « événements exceptionnels » au sujet de la crise économique actuelle ! Enfin, et surtout, troisièmement le recours à cette disposition du Traité, c’est-à-dire l’article 122(2) pour secourir un Etat doit être compatible avec la règle dite du « no bail-out » énoncée par l’article 125 (ex-article 100) du Traité.
Que signifie cette règle « no bail-out » ? Elle interdit tout simplement à l’Union européenne, mais aussi à tout Etat membre, de prendre en charge les engagements financiers d’un autre Etat membre. Et l’on comprend de la réponse de la Présidence du Conseil que cette interdiction de principe est supérieure, en droit, à la disposition selon laquelle il est possible d’aider un Etat membre en cas d’événements exceptionnels échappant à son contrôle. Cette règle du « no bail-out » procède de l’idée démocratique selon laquelle il n’est pas raisonnable de faire supporter aux ressortissants d’un Etat de l’Union européenne le poids des errements budgétaires d’un autre Etat membre sur lequel ils ne disposent d’aucun contrôle démocratique.
C’est aussi la position prise par les ministres des Finances suédois et finlandais, et par le professeur de droit européen Matthias Ruffert. Selon eux, il est inconcevable que l’endettement d’un Etat puisse être considéré comme un événement exceptionnel échappant à son contrôle, et aucun juge ne pourrait se ranger à l’opinion inverse. Et il est pour nous une évidence que la Grèce ne saurait se prévaloir de ses propres turpitudes en prétendant que son indiscipline budgétaire et son laxisme fiscal constituent des événements exceptionnels échappant à son contrôle.
Voilà comment l’Union a violé son Traité ; voilà pourquoi aucun débat public sérieux n’a eu lieu au sujet de la Grèce ; voilà aussi, peut-être, pourquoi la position de la Présidence du Conseil, allant dans un sens contraire à celle prise par le Conseil, lui-même, sur l’invitation pressante de la Commission et des Etats membres, n’a fait l’objet que d’une réponse écrite et n’a pas été présentée oralement lors de la session du Parlement Européen de mai 2009 à Strasbourg.
En définitive, même s’il est plus facile à la Chine qu’à un Etat Membre ou à l’Union européenne, d’aider un autre Etat membre, il n’est pas si difficile à l’Union de s’affranchir de ses textes, et ce, en parfaite violation du principe de démocratie.
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[1] Que des esprits curieux lancent une recherche sur le site de l’Union en insérant le nom « Fonds Européen de Stabilité Financière« , et ils devront éplucher pas moins de 2135 résultats : http://europa.eu/geninfo/query/resultaction.jsp?userinput=Fonds%20europ%C3%A9en%20de%20stabilit%C3%A9%20financi%C3%A8re
[2] http://www.telos-eu.com/fr/article/l_ue_a_t_elle_le_droit_de_renflouer_la_grece.
100 réponses à “Tribulations grecques de l’Union européenne, par Alain Gauvin”