VERITES ET MENSONGES DE LA THEORIE MONETARISTE, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité

Champ de cohérence de la théorie

Aliena fait au fil de ses interventions sur le blog une présentation instructive de la Modern Monetary Theory (MMT). Elle explicite les réalités que cette théorie considère et celles qu’elle ne reconnaît pas. Cette théorie dominante aux États-Unis si l’on en croit la politique monétaire actuellement suivie pose la monnaie comme la production spécifique de l’État dans l’économie. Le signe monétaire est une matière sui generis qui n’a pas d’autre cause que la décision souveraine de l’autorité publique d’émettre telle quantité plutôt que telle autre et de faire appliquer la loi à tous les signes émis. Quelles que soient les quantités émises, les signes monétaires sont d’autorité libératoires de toute dette et résolvent toute obligation d’un débiteur qui a remis le nombre de signes correspondant au prix contractuel légal négocié.

Dans cette théorie, la quantité de monnaie mise en circulation n’a pas de cause rationnelle. Elle n’a pas d’autre explication que la science infuse de l’autorité monétaire politique qui est réputée savoir entretenir la croissance sans inflation et sans chômage. Cette théorie est indiscutable sur son volet juridique et pratique. La monnaie est bien le signe légal et efficient de la libération d’une dette. Mais la MMT ne dit rien des causes objectives de la crise des subprimes survenue sous le despotisme éclairé de la Fed, n’explique rien de la crise mondiale de liquidité qui s’en est suivi, ni de la faillite de Lehman Brothers, ni de l’effondrement de la croissance dans les pays développés alors que la « planche à billets » tourne à plein régime. Soit la monnaie n’a rien à voir avec tous ces phénomènes économiques, soit elle les dirige d’une certaine manière qu’il appartient aux seuls tenants de la MMT et aux autorités monétaires étasuniennes de connaître et de comprendre. Comme l’avait déclaré John Connally au monde « the dollar is our currency and your problem ».

Inefficacité de l’étalon or

Vraie ou fausse, notons que cette théorie de la monnaie est très pratique quand on est étasunien, représentant du pouvoir politique fédéral, doté d’une fortune personnelle et sollicité par les journalistes pour expliquer la politique monétaire en vigueur. Les étrangers qui utilisent le dollar dans leurs transactions internationales le font librement et n’ont par conséquent aucune légitimité à émettre des critiques sur l’empire monétaire mondial des États-Unis. L’État étasunien en manque de ressources fiscales trouve une solution à son problème de financement grâce au rachat massif de titres de dette publique contre émission monétaire. Comme par hasard, l’émission monétaire fait monter le prix des actifs boursiers mais pas les salaires qui pèsent sur la rentabilité du capital nécessaire à la croissance officiellement souhaitée. Enfin, la MMT permet d’expliquer à l’opinion publique comment la planche à billets permet miraculeusement de stimuler la demande qui fait monter les prix, qui ferait repartir la croissance, qui va donc stimuler l’offre et faire embaucher les chômeurs. Si cette politique pratiquée depuis 1945 grâce à la sage domination du dollar sur l’économie mondiale ne porte pas tous les fruits attendus, c’est sûrement lié à l’inculture ou à la mauvaise foi des salariés étasuniens, des Européens et des Chinois qui s’effraient de l’accumulation de dettes forcément remboursables et de la cupidité des salariés des pays en développement qui réclament trop tôt le prix de leurs efforts.

La MMT repose sur une idéalisation matérialiste de l’État que la théorie suppose porté par une minorité dirigeante éclairée par définition de sa nature dirigeante. La démonstration de pertinence de la MMT est réputée évidente puisqu’elle ne contient que de bonnes intentions de croissance économique, de plein emploi et de stabilité des prix. Si jamais il reste des doutes, la MMT est une religion du bon sens qui comme d’autres ne serait efficace que si l’on y croit. Examinons donc les raisons d’y croire qui en révèleront le champs des hypothèses en quoi il faut avoir la foi. Commençons par convenir que l’indexation de l’émission monétaire sur un stock d’or ou sur n’importe quelle matière première a pour conséquence d’induire une rigidité du prix de la matière de référence et de limiter la création monétaire par le volume de matière étalon disponible et inégalement distribuée. Parce que le prix de l’or ne pouvait pas varier en 1929 et parce que les emprunteurs défaillants n’avaient pas d’or, il a fallu laisser l’économie mondiale s’effondrer pour ramener le stock d’or disponible dans une proportion rassurante de la production. Le réajustement du crédit à l’or et de l’économie au crédit ont convergé par le bas. Le monde de 2007 a évité le désastre des années trente grâce à des monnaies non convertibles à un prix fixe d’une quelconque matière physique.

Despotisme éclairé de la planche à billets

Une fois scellé le sort de l’étalon or, que dit la MMT ? Que la Réserve Fédérale des États-Unis sait par définition la quantité de monnaie qu’il faut émettre pour remettre le monde sur le chemin de la croissance. Et si la croissance ne revient pas ? C’est que le monde ne fait pas confiance à la Fed. So what ? Si nous revenons au réel qui a le sens que nous lui donnons, faire tourner la planche à billets signifie émettre de la monnaie au-delà de ce que le marché achète par l’équilibre de l’offre et de la demande de liquidité. Jusqu’en 2007, les banques centrales avaient appris à ne fixer unilatéralement que le taux d’intérêt de leurs concours en monnaie centrale ; depuis, elles ont aussi repris le contrôle unilatéral du volume de la liquidité centrale en circulation. Concrètement, la Fed, comme la BCE et la Bank of England, achète plus de titres de dette que ne lui en proposent effectivement les acheteurs de liquidité : les banques centrales émettent plus de liquidité monétaire que n’en demande effectivement le marché. Cela signifie que des banques se retrouvent avec plus de monnaie sur leur compte de dépôt à la banque centrale qu’elles n’en n’ont effectivement besoin pour refinancer les crédits qu’elles ont déjà accordés à des débiteurs solvables ; des débiteurs raisonnablement capables selon leurs calculs de rembourser avec une probabilité proche de 100%.

La planche à billets est un marché de la liquidité doublement administré par le prix et par le volume. La banque centrale ne demande aucune information à l’économie réelle, ni sur le volume de transactions qu’elle opère réellement par ses ventes et ses achats de biens et services, ni sur le moment où les agents économiques comptent régler leurs transactions. Le prix du futur dans le présent s’exprime normalement dans le loyer de l’argent qui établit l’équilibre entre les emprunteurs de monnaie qui doivent régler immédiatement leurs achats et les prêteurs de monnaie qui peuvent ou veulent les différer à plus ou moins long terme. La fixation du loyer de l’argent par la banque centrale vise à inciter les agents économiques à distribuer leurs règlements sur la durée entre l’immédiat et le long terme. Le banquier central dirige la liquidité par le prix du court terme en le baissant pour inciter l’économie à anticiper ses paiements ou en le montant pour inciter à retarder les dépenses. La planche à billets consiste à administrer toute la courbe des taux sur toutes les échéances indépendamment des besoins naturellement exprimés par le marché. Le prix de la disponibilité effective des biens et service ainsi que le prix du temps sont dissimulés par la banque centrale.

Production masquée de risque par la liquidité

Que font les banques avec la liquidité que la banque centrale leur remet sans qu’elles l’aient demandée ? Elles spéculent ; elles jouent avec les règles. Comme elles ont déjà satisfait toutes les demandes de crédit qui leur paraissaient raisonnablement remboursables, elles sont obligées de chercher des emplois à la liquidité non demandée dont elles disposent. Spéculer avec la liquidité revient à imaginer des prix offerts qui ne sont pas demandés ou des prix demandés qui ne sont pas offerts. Les prix doivent être imaginés et non pas négociés car personne n’exprime de besoin réel sous-jacent au prix. C’est l’origine du foisonnement des produits dérivés qui servent à attribuer un prix non pas à l’objet d’une transaction entre un acheteur et un vendeur mais à la cause possible d’une transaction si l’on parvient à convaincre un acheteur ou un vendeur à s’y engager. L’immense intérêt du produit dérivé est d’être en soi-même un objet, un prix, la négociation du prix, la variabilité du prix et le bénéfice assuré de son vendeur quel que soit son acheteur. Le dérivé négocié hors d’un marché organisé où l’offre et la demande de l’objet sous-jacent soit visible et mesurable transfert le prix de la volatilité indéfinie de la valeur de ce qui n’existe pas de l’acheteur du dérivé à son concepteur financier.

La théorie moderne de la monnaie est un paravent pseudo scientifique à la politique de stimulation monétaire de la croissance sans marché, sans régulation et sans économie réelle. Pseudo scientifique car ne demandant aucune vérification par les faits et organisé dans une dissimulation complète d’une possibilité de réalité des prix, indépendante des intermédiaires financiers qui en profitent. L’abandon définitif de l’étalon-or lors des accords de la Jamaïque en 1976 a supprimé tout critère international partagé de régulation de la liquidité monétaire. La Fed a pu adopté une politique de facilité monétaire unilatérale qui a financé à bon compte les déficits du budget et de la balance des paiements étasuniens par l’augmentation de la volatilité financière dans l’ensemble du monde. Le système financier international en a profité pour accroître son prélèvement dans la valeur ajoutée mondiale en vendant des produits dérivés permettant d’absorber l’excès de liquidité manifesté par l’accroissement continu de la volatilité des prix. La crise des subprimes a éclaté à cause de la trop grande complexité des produits dérivés génératrice de doute sur la réalité du crédit de ses acheteurs. La prolifération des dérivés hors de toute confrontation de l’offre et de la demande réelles empêche toute mesure objective du crédit et des actifs financiers. Elle stimule la production de nouveaux dérivés achetés désormais directement par les États pour cacher l’insolvabilité publique résultant de l’insolvabilité bancaire.

Impossibilité d’existence de la responsabilité du risque de la liberté

Tous les États qui avaient essayé de résister à la dérégulation et à l’inflation de dollars sont obligés de vendre des garanties de crédit aux pays en difficulté pour éviter d’afficher l’effondrement de tout le système financier. Bien sûr pour la MMT, tout effort de régulation de la dette publique et bancaire pour éviter une trop grande divergence entre le réel et le financier est un délire de défiance envers la grande sagesse de conception étasunienne de la monnaie. Cette sagesse est nominalement valable parce que supposée vraie par définition dans la loi des États-Unis. Il n’est pas légalement envisageable qu’elle ignore la faculté et la volonté même des agents économiques à produire ce qu’ils veulent dépenser. Le crédit n’exige du coup aucun calcul, aucune règle ni aucun engagement ; il n’est que la réponse d’une injonction centrale à produire et dépenser. Les banques appliquent mécaniquement une transformation de la liquidité centrale en crédits à des emprunteurs qui les transforment mécaniquement en ventes auprès d’acheteurs qui consomment mécaniquement à proportion des prêts qu’on leur consent. Et pour que les consommateurs emprunteurs soient obéissants, on comprime les salaires pour qu’ils ne connaissent pas le prix de ce qu’ils consomment par le prix de ce qu’ils produisent.

Le monétarisme quantitatif a pour autre conséquence méconnue d’annuler la réglementation du crédit et la prudence financière. L’accumulation de liquidités dans les banques les obligent à fabriquer du risque réel non nommé pour consommer les surplus de liquidité. Elles versent des bonus et stock-options à leurs dirigeants et gérants pour masquer toute perception de la réalité objective. Toute intériorisation de la règle de prudence est neutralisée, qui engage le calcul du risque de crédit à son prix raisonnable. La capacité d’anticipation de l’incertitude réelle du futur est remplacée par le calcul abstrait d’un capital nominal systématiquement sous-estimé afin d’augmenter fictivement la rentabilité. La production artificielle de liquidité par la banque centrale stimule l’innovation financière pour acheter du risque non-comptabilisable ou vendre du risque comptabilisé en crédit. La MMT repose sur le nominalisme juridique qui voit la valeur dans le prix et non dans un objet négocié et consommé dans le respect du droit. Le bénéfice réel et concret de cette conception est d’attribuer la richesse aux minorités qui contrôlent économiquement le droit.

Intérêt et faisabilité du bancor

L’opposition de la MMT à tout étalon objectif de valeur vise à ne pas poser les conditions d’une discussion ouverte et transparente des prix. Si les États démocratiques adoptent le bancor fondé sur un marché d’égalité de droit entre tout acteur public ou privé, étasunien ou non étasunien, individuel ou social, alors les prix ne sont plus manipulables ni des biens réels, ni de la liquidité, ni du crédit ni du capital. Le bancor de Keynes est devenu totalement viable et efficace grâce aux techniques des produits dérivés ; à la condition d’instaurer un marché de négociation transparente des primes de risque par le crédit sous-jacent, du crédit par le prix des objets réels sous-jacent, des objets réels par le capital sous-jacent et du capital par la liquidité sous-jacente à la négociation équitable et objective entre une offre et une demande identifiables et quantifiables. La MMT a raison sur la valeur publique intrinsèque de l’État de droit dans la liquidité. Mais cette théorie est une escroquerie si elle ne pose pas les conditions d’une négociation marchande équitable entre tout acheteur et tout vendeur de tout objet auquel les hommes attribuent de la valeur quelle que soit leur nationalité et leur statut social.

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