Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Mark Madoff, le fils aîné de Bernard Madoff, était l’objet ces jours-ci de pressions considérables : d’une part l’enquête en vue de savoir qui parmi les proches du Charles Ponzi moderne était dans la combine, est entrée dans sa phase finale et ce n’est qu’une question de jours apparemment avant qu’Annette Bongiorno, l’assistante personnelle du maître déchu ne se mette à table, d’autre part, Irving Picard, le liquidateur de la société de Madoff, chargé de retrouver l’argent escroqué, avait mis le fils aîné sur sa liste des gagnants d’un jour à qui il ferait rendre gorge : famille, proches, clients qui se croyaient chanceux pour avoir touché des sommes rondelettes. Picard voulait récupérer du seul Mark Madoff, 66,8 millions de dollars transformés en maisons luxueuses.
Qui savait quoi parmi les proches de Madoff et parmi les VRP du fonds ? Mark Madoff aimait paraît-il répéter : « Comment un père peut-il faire cela à ses fils ? » Bonne question sans doute, mais une autre que tout le monde se pose est « Comment un fils, peut-il ne pas voir en son père ce que tant d’autres voyaient pourtant si bien » ? « Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre » est sans doute la réponse. Tous ne savaient pas mais tous devaient certainement se douter puisque des questions étaient posées dans la presse depuis de nombreuses années (en particulier dans un fameux article de Barron’s publié en 2001) et tous préféraient ne pas se poser trop de questions. Et cela aussi est en soi révélateur : cela trahit que dans un certain monde on se fiche de savoir exactement comment grossit l’argent : « De l’argent qui grossit, c’est de l’argent qui grossit », doit-on se dire, point à la ligne. Pourquoi s’en préoccuperait-on d’ailleurs alors que les limites sont tellement floues entre ce qui au sein de ce monde-là est honnête et ce qui ne l’est pas : où s’arrête en effet la bonne information et où commence le délit d’initié ? où s’arrête la « bonne » spéculation qui apporte aux marchés une liquidité bénéfique, où commence celle qui génère des émeutes de la faim ?
Le problème n’apparaît que le jour où l’argent cesse de grossir et que quelqu’un est chargé d’expliquer d’où il venait exactement. Bernard Madoff a pris un risque calculé, et il a dû calculer qu’il était minime pour diverses raisons. Un risque existerait-il même, qui voudrait inculper un ancien directeur du NASDAQ, avec des amis bien placés, et son propre réseau familial dans les instances de contrôle constitué d’un frère ici, d’une nièce là, de quoi offrir logiquement tout le temps nécessaire pour réagir en cas d’enquête. Une crise comme celle que nous traversons constitue le grain de sable : l’événement statistiquement impossible qui fait un jour capoter la combine. En 2008, tout est allé trop vite.
La justice n’est pas de ce monde, on le sait, mais la justice divine opère semble-t-il encore de temps à autre. Nul n’est à l’abri de la tragédie grecque. Avis aux grands de la terre qui se croient tout permis.
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