Billet invité.
Cette fois-ci, c’est le CAS (Centre d’Analyse Stratégique) qui le dit : « Si la première phase de hausse pouvait paraître cohérente avec la baisse des taux d’intérêt, il semble aujourd’hui probable que celle-ci ait biaisé les anticipations à la hausse, créant une bulle sur le marché immobilier français. »
Sources :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/05/04/immobilier-une-etude-demontre-l-existence-d-une-bulle-speculative_1516569_3234.html#xtor=RSS-3208
http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=1414
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/2011-04-29-prixdulogement-NA221.pdf
Cette analyse n’est pas unique puisque la presse dite ‘économique’ s’en empare (cf. L’Express ou La Tribune) mais c’est pourtant la première fois qu’une institution française de prospective qui ne soit pas directement partie prenante dans la question de l’immobilier reconnaît l’existence (possible) d’une telle bulle.
Un tel rapport, passé relativement inaperçu, est donc intéressant à lire, ne serait-ce que pour la manière dont il analyse la formation et l’existence de la bulle immobilière en France.
Et que dit ce rapport, dont le but est d’analyser les facteurs, tant sur l’offre que sur la demande, à court ou à moyen terme, qui peuvent influer sur les prix de l’immobilier en France ?
Qu’au-delà de tendances sur le long terme induisant une augmentation des prix de l’immobilier (notamment démographiques et sociologiques mais aussi de la qualité des constructions), le CAS relève des faits plus qu’émergents qui remettent en cause les canons paradigmatiques du marché immobilier en France, fondés sur la loi de l’offre et de la demande.
Qu’au cours des trente dernières années, le prix de l’immobilier a doublé en moyenne.
Que depuis 15 ans les prix à l’achat sont décorrélés des prix à la location, qui suivent, eux, la progression du salaire moyen.
Et que l’augmentation du coût de construction ou la faiblesse de l’offre ne sont pas suffisantes pour expliquer ce décalage quant aux prix à l’achat, quand dans le même temps la hausse des prix des loyers n’a, elle, explosé ‘que’ de 30% : « La relative modération de la hausse observée (en termes réels) conduit donc à remettre en cause l’idée d’une pénurie généralisée de logements. Si une telle pénurie sévissait, elle aurait dû se traduire par des hausses de loyers bien plus importantes. »
Exit donc la petite musique récurrente des marchands de sommeil en béton sur la pénurie de logement, cause des hausses de prix …
L’étude souligne aussi d’autres facteurs, très intéressants : « L’augmentation de la durée des prêts a été permise par de nouvelles techniques bancaires et par l’allongement de la durée maximale des prêts aidés. En libérant la demande, cette augmentation a pu favoriser la hausse des prix. Néanmoins, elle est aussi une conséquence de la hausse des prix, les ménages acceptant de s’endetter plus longtemps pour faire face à l’augmentation des prix. »
‘Nouvelles techniques bancaires’ dont le CAS tait les noms : subprimes, titrisation, crédit hypothécaires rechargeables, …
Mais il aborde aussi des aspects plus ‘pointus’, sociologiquement, notamment sur le foncier qui joue un rôle plus important en termes de renchérissement des coûts que le bâti, sur les règles d’utilisation des sols : « Or ces règles qui encadrent la mise à disposition du foncier dans les zones tendues sont le résultat d’intérêts divergents. Les propriétaires en place peuvent avoir intérêt à s’opposer à une libération du foncier pour ne pas voir leur logement se déprécier, même si une telle libération serait bénéfique pour les nouveaux entrants (30). »
Et de reprendre la théorie avancée par un autre chercheur, A. Jacquot, dès 2008 : « une déconnexion des prix de leurs fondamentaux serait d’autant plus probable que la proportion de ménages propriétaires de leur résidence principale est importante. »
Dans des pays où cette proportion est importante, comme en Espagne, en Irlande et au Royaume-Uni, la hausse des prix a été la plus forte, à l’inverse de pays où cette proportion est la plus faible, comme en Allemagne et en Suisse.
Les ‘propriétaires’ ne subissent donc pas ce que le CAS appelle une ‘force de rappel’ quant à la définition des prix de l’immobilier, à fortiori quand ils en attendent une plus-value leur permettant de changer de résidence, mieux située, de meilleure qualité, …
Les ‘nouveaux entrants’, eux, la subissent de plein fouet.
Pour terminer, l’étude rappelle qu’a contrario des exemples ainsi cités, la France ne connaît pas de taux d’endettement des ménages délirant, ni même, comme elle l’écrit en utilisant des métaphores pétrolières, « la pratique de l’extraction de plus-values latentes, courante dans les pays anglo-saxons » et donc que le secteur bancaire en France reste peu exposé au risque de la bulle immobilière.
Sauf que les évolutions, récentes, infirment au moins partiellement ces assertions sur l’évolution des taux d’endettement, dont Jacques Friggit estime qu’ils devraient atteindre dans quelques années les taux américains (c’est dire) : 80% des revenus dès 2020 et 90% en 2030, alors que ce taux n’était que de 30% entre 1980 et 2000.
90%, c’est le taux d’endettement des ménages américains le plus récent selon son étude.
La France atteindrait ainsi ce taux 30 ans plus tard, avec tous les effets à en attendre : « on peut arguer que les Etats-Unis n’ont pas pu soutenir durablement une dette immobilière des ménages supérieure à 90% de leur revenu (graphique 10) et qu’au moment où, du point de vue du budget de l’Etat, les effets nocifs de la fuite dans l’endettement pratiquée depuis trente ans sont devenus évidents en France, la même erreur ne doit pas être commise s’agissant du budget des ménages. »
L’étude du CAS pêcherait donc par optimisme, d’autant plus qu’elle néglige une pratique de l’extraction de la plus-value immobilière digne des pays anglo-saxons : les Sociétés de Financement de l’Habitat. Active depuis fin 2010, leur rôle est de relancer la titrisation des crédits hypothécaires mais tout en s’appuyant sur des garanties de ‘grands pères’ (dixit leurs thuriféraires, le ‘bon père de famille’ n’étant plus disponible), soit l’hypothèque. Mais aussi à défaut, la caution bancaire et donc l’engagement direct des banques.
Quelle ne fut pas ma surprise de constater par exemple qu’une institution de l’économie solidaire comme l’est la CASDEN proposait qu’une convention portant sur une SFH de la BPCE puisse permettre d’investir sur ce type de ‘titrisation hypothécaire’, à l’insu du plein gré de leurs sociétaires, pourtant actionnaires-propriétaires de la dite CASDEN …
Sans compter non plus l’augmentation des saisies immobilières par des banques de biens immobiliers de ‘propriétaires’ (virtuels), ayant de plus en plus de difficultés à payer leurs mensualités de crédits.
De sorte que les solutions préconisées de la CAS semblent dérisoires, au regard de la situation : ‘assouplir’ l’offre de logement et améliorer la mobilité résidentielle …
Dérisoires mais aussi en décalage par rapport à l’analyse pratiquée, qui montre combien la fameuse loi de l’offre et de la demande est pour le moins faussée : comme s’il était incongru que l’analyse puisse être en cohérence avec les solutions préconisée. La réalité pouvant difficilement être masquée, les auteurs ont donc choisi délibérément la dissonance : la loi de l’offre et de la demande est faussée, vive la loi de l’offre et de la demande !
Dans le même style, rococo flamboyant, on peut aussi lire l’analyse de Christian Noyer sur ces prix de l’immobilier et les conclusions qu’il en tire : « En clair, les banques ne sont pas les premières responsables de la flambée de l’immobilier actuelle – liée d’abord à une rareté de l’offre – mais elles y ont leur part en proposant des taux de crédit à taux fixe très – trop ? – compétitifs. Elles doivent donc veiller à préserver leurs marges qui risquent de souffrir avec la remontée des taux. « Si besoin, nous ferons des recommandations », prévient Christian Noyer. »
Voilà donc les banques averties : il n’est pas question que vous cédiez à vos penchants, forts connus, pour le masochisme : remonter moi vite ces taux, ou je recommande !!
Plus profondément, et c’est l’objet de ce billet, on s’aperçoit très rapidement que la loi de l’offre et de la demande est tronquée sinon truquée mais que la formation des prix telle que Paul Jorion la décrit dans Le prix (2010) permet de mieux appréhender le phénomène de la hausse des prix de l’immobilier en France.
En effet, on a pu observer que la conclusion de l’étude du CAS portait en grande partie sur l’hypothèse que les nouveaux entrants payaient le ‘prix’ d’un rapport de force social plus que défavorable pour eux par rapport aux ‘propriétaires’ car le ‘ticket d’entrée’ pour devenir propriétaire devient de plus en plus élevé.
Ce faisant, le nombre de participant se restreignant, c’est tout le système de Ponzi qui s’est développé depuis 2000 qui est en passe de s’effondrer : le dernier entré éteindra la lumière, pour éviter de voir le trou profond dans les fondations et y choir.
Entre-temps, les plus avisés seront déjà ‘dehors’.
La formation du prix, y compris donc de l’immobilier en France, tel que la décrit Paul Jorion nous permet, autrement que par la loi de l’offre et de la demande, de bien appréhender ce qui se noue dans ce type d’échanges : des rapports de forces sociaux et non uniquement des échanges de biens.
Or, sur ce versant, les effets deviennent potentiellement dévastateurs. Car si l’on parle d’une explosion de la bulle immobilière, on parle dès lors d’une baisse d’une potentielle plus-value pour les ‘propriétaires’ et même d’une moins-value possible et à l’inverse, pour les ‘nouveaux entrants’, la possibilité que les cartes puissent être rebattues et redistribuées.
En quelque sorte, la possibilité d’un ‘nouveau jeu’ social, qui ne se fasse plus au détriment uniquement des ‘nouveaux entrants’, au travers l’acquisition d’un bien immobilier.
Sans oublier non plus la dimension intergénérationnelle puisque les 2/3 des retraités sont ‘propriétaires’ quand un peu plus de la moitié des Français le sont.
Sans oublier non plus tout le discours fondé sur la capitalisation, la plus sûre possible, pour ses vieux jours et ce d’autant plus qu’on nous fait comprendre tous les jours que nous devrons travailler plus pour moins de pension.
Sans oublier enfin que la majeure partie du patrimoine des ménages français repose sur le patrimoine immobilier … au prix du marché actuel, soit un marché ‘virtuel’ : que celui-ci s’effondre et c’est tout un pan de la ‘valeur’ des Français qui part en fumée, du moins de ceux qui en ont un.
Le dommage collatéral sur le discours politique de la ‘République des propriétaires’ ne serait pas non plus des moindres …
On ne peut donc qu’acquiescer quant aux potentialités paradigmatiques de la formation des prix fondée sur les rapports de forces sociaux en lieu et place d’une loi dont les institutions analysantes nous disent son rapport trivial à la réalité.
La lutte pour la répartition des richesses entre ‘ceux qui ont’ et ‘ceux qui n’ont pas’ trouve donc son écho dans la bulle immobilière, dont le CAS nous certifie par ailleurs qu’« Il est par essence impossible de prouver l’existence d’une bulle : ce n’est que lorsqu’elle éclate que son existence s’impose à tous. » Et le prix de l’essence augmentant, la cote de l’explosion augmente …
On retrouve enfin là le même problème qu’avec les banques, à un autre niveau : comment faire accepter le ‘haircut’ nécessaire, pour que le niveau des prix redevienne acceptable, pour tous ?
Sachant que ceux qui possèdent le patrimoine n’accepteront cette solution que contraints et forcés, quelle autre solution que d’attendre que la bulle explose ?
Pour ceux qui sont déjà propriétaires, tant pis pourrait-on dire : ils feront moins ou pas de plus-value (et leurs héritiers avec).
Mais pour ceux qui sont toujours en cours de remboursement de crédit : quelle solution, qui ne soit pas à la fois une perte de ‘valeur’ immédiate tout en gardant les mêmes niveaux d’endettement ? En clair, que faire pour éviter qu’ils ne se retrouvent eux aussi comme leurs collègues américains placés devant l’évidence de l’intérêt de faire faillite puisque le bien pourra valoir moins que ce qu’ils remboursent en intérêts, les durées d’endettement ayant explosé (et les niveaux d’intérêt avec) ?
A priori, on peut en déceler deux.
‘Haircut’ sur le capital restant à rembourser sur le crédit immobilier, donc ‘haircut’ pour les banques, soit, contrairement à ce qu’indiquait le CAS, un risque systémique bancaire potentiel (dépréciations des actifs bancaires).
Ou inflation (mais les salaires ne sont plus indexés sur l’inflation et la BCE veille à l’ivraie).
Une troisième aussi, plus délirante : transformer les décotes sur les remboursement de crédit à subir pour les banques en obligations, sans coupons annuels (sans ‘loyers’), mais avec fixation d’un pourcentage sur la plus-value possible lors de la revente (ou mutation) des biens par les propriétaires, pourcentage dont bien évidemment les déterminants seraient fixés par l’Assemblée Nationale, en toute transparence.
Des trois solutions, il y a de grandes chances qu’aucune ne voit le jour, tant il semble patent que seul le rapport de force social doive aller jusqu’à son terme pour déterminer quel serait le ‘prix’, social, de l’explosion de la bulle immobilière, que tout le monde annonce mais que pratiquement personne n’explique réellement.
Quitte à ébranler les fondations sociales et politiques de l’ensemble du système : la ‘République des propriétaires’, celle de 1789.
204 réponses à “QUAND LE BÂTIMENT VA… TOUT VA ?, par zébu”