Billet invité
Il y a maintenant quatorze semaines, la catastrophe de Fukushima a débuté, sans qu’aucune stabilisation de la situation ne soit depuis intervenue.
Si sa date de démarrage est connue, il n’y a en réalité aucun moyen d’estimer le temps nécessaire pour que l’on puisse enfin proclamer que tout est rentré dans l’ordre, si cela intervient. Un ordre nouveau, encore à inventer, et qui imposera que soient édictées des interdictions valables à tout jamais, une fois les énormes inconnues relatives au démantèlement de la centrale résolues, après qu’une stabilisation qui échappe toujours des mains soit finalement intervenue. Mais quand et comment ?
Sous soins palliatifs improvisés et après avoir frôlé le pire, la centrale est devenue une usine produisant des dizaines de milliers de tonnes d’eau hautement contaminée. Car telle est l’étrange situation à laquelle nous sommes à ce jour arrivés. Ces masses d’eau menacent toujours de déborder dans l’océan, après avoir progressivement envahi les sous-sols des réacteurs, ainsi que d’inonder le site, ce qui rendrait encore plus dangereux voire impossible les travaux qui doivent y être menés d’urgence pour éviter des rebondissements encore pires que la catastrophe actuelle.
Notamment la consolidation de ce qui peut l’être – dont la piscine n°4 à la structure défaillante – et la mise sous bâche des réacteurs, afin de diminuer la contamination de l’atmosphère et de les protéger de la pluie qui accroît encore, avec les injections d’eau destinées au refroidissement et qui ne peuvent être stoppées faute d’autre solution, les masses d’eau contaminées.
Non seulement la centrale recèle ses propres maléfices, notamment sous la forme de cet enchaînement, mais elle est le jouet potentiel plus que jamais vulnérable des éléments, pluies tropicales et typhons, non compte-tenu d’autre séismes et tsunamis qui peuvent toujours à nouveau survenir.
La reprise en main de la situation reposait sur le bon fonctionnement d’une chaîne improvisée et montée à la hâte de décontamination de l’eau, afin de l’utiliser ensuite pour créer un circuit fermé de refroidissement des réacteurs. Plus précisément de trois coriums dont on ne connaît pas exactement l’étendue de la menace, ainsi que de cinq piscines chargées au total d’une très grande quantité de combustible nucléaire. Mais l’installation en question ne répond pas pour l’instant aux attentes, laissant en suspens la stabilisation attendue, pouvant pérenniser le provisoire imparfait et improvisé si aucune solution n’est trouvée à son dysfonctionnement.
Quoi faire de cette eau ou des boues résultant de sa décontamination, au cas où l’installation sera remise en fonction et accomplira sa mission ? Régler un problème en crée depuis le début un autre, dans une course après les événements qui n’en finit pas, à tout instant perturbée par des incidents imprévus et difficiles à surmonter dans le contexte d’une installation nucléaire sinistrée, où tout est problème et danger.
Au fur et à mesure que le temps passe, il est découvert que la contamination radioactive d’une large région a été plus importante que décelé ou reconnu dans les premières semaines, celle-ci se poursuivant à moindre échelle. Il n’en résulte pas seulement une dissémination d’isotopes radioactifs d’iode et de césium, mais aussi de plutonium, de strontium, d’uranium et de cobalt – dans des quantités faibles mais encore mal estimées pour ces derniers, – dont la demi-vie est beaucoup plus longue et les effets sanitaires pernicieux.
Dans de larges zones autour de la centrale, des dizaines de milliers de japonais ont entamé l’apprentissage de la vie – ou plutôt de la peur – dans une atmosphère dont la mesure du risque qu’elle représente est sujette à caution et les laisse dépendants d’autorités dans lesquelles ils ont perdu confiance, quand ils n’ont pas été évacués à tout jamais de leur lieu de vie. Les conséquences cumulées à plus long terme de cette contamination restent inconnues; la contamination de la chaîne alimentaire ne connaissant, quant à elle, pas de frontières traçables.
Enfin, le démantèlement de la centrale, c’est à dire de quatre réacteurs – trois coriums étant vraisemblablement répandus sur la semelle de leurs enceintes de confinement respectives (une situation jamais rencontrée) – va imposer de concevoir et mettre au point des solutions techniques robotisées n’existant pas à ce jour. Les travaux pourraient durer dix ou quinze ans selon les premières estimations, imposant de stocker des masses colossales de matériaux hautement contaminés.
Une nouvelle fois, l’humanité est entrée brutalement en zone interdite à Fukushima, qui plus que jamais mérite son nom de catastrophe rampante.
Le complexe électro-nucléaire japonais a été mis à nu, dans ses impréparations et ses imprévoyances comme dans ses connivences et son opacité structurelle. L’opérateur de la centrale a été soupçonné de mensonges ou omissions, pratique naturelle dans cette industrie, mais le pire à bien y réfléchir est qu’il n’a peut-être même pas pu ou su analyser des événements qui le dépassaient. Les structures d’alerte n’ont pas fonctionné, celles de contrôle et de décision de l’administration se sont révélées étroitement liées à l’opérateur privé.
Fukushima n’est pas seulement une tragédie japonaise : en dépit de ses singularités, ses leçons sont universelles. La première d’entre elle est que le jeu n’en vaut pas la chandelle, pour qui s’arrête un bref instant pour y penser au vu de ce qui est en train de se passer.
163 réponses à “L’INDUSTRIE ÉLECTRO-PERNICIEUSE, par François Leclerc”