Billet invité
Rendus publics hier vendredi, les résultats des stress tests d’une sélection de 91 banques européennes (représentant 65 % des actifs bancaires) ont un mérite incontestable et un inconvénient criant. Instructifs et occasion d’une leçon de chose toujours bonne à prendre, ils ne permettent toujours pas d’apprécier la solidité réelle du système bancaire européen.
A la fois maître d’ouvrage et d’œuvre des tests, l’European Banking Association (EBA) s’est pourtant appliquée, avec le handicap de précédents tests ayant totalement perdu leur crédibilité en raison des banques irlandaises qui les avaient réussi pour ensuite chuter lourdement. Mais elle a répondu à une commande politique, car il était impératif que les tests soient cette fois-ci crédibles, pour l’être elle-même, sans qu’il soit question de découvrir un champ de ruines. Dans le contexte actuel, autant mettre de l’huile sur le feu.
Jamais, cependant, cet exercice n’avait été fait aussi systématiquement, levant un peu le voile sur les comptes des banques, à tel point que nombre d’entre elles ont protesté…
Voilà le résultat brut : huit banques ont officiellement failli, une (allemande) s’étant retirée de la course en contestant les critères de l’EBA.
Mais, si on cherche à mettre ce résultat au net, c’est une toute autre histoire. L’EBA a largement exclu des tests la vulnérabilité des banques à un défaut sur la dette souveraine, le principal danger qui pourtant les menace. En effet, les banques ont grâce à un jeu d’écriture légal comptablement inscrit dans leur banking book 80% des obligations souveraines qu’elles détiennent, sans avoir à les dévaloriser en attendant qu’elles arrivent à maturité, dans l’attente d’être remboursées à 100% si aucun défaut n’est enregistré. Tout le problème est là. L’EBA n’a appliqué des dévalorisations qu’aux titres inscrits au trading book – catégorie comptable destinée aux titres n’étant pas conservés jusqu’à maturité – et s’est contenté « d’accroître les provisions » des autres sans plus de détails.
Pour référence, les banques testées ont déclaré être au total exposées à environ encore 200 milliards d’euros aux obligations grecques, irlandaises et portugaises, bien qu’elles s’en soient le plus possible délestées ces derniers mois.
Mais l’information la plus utile n’est pas fournie : la ventilation par banque, par pays d’émission de la dette et par maturité de l’exposition, en référence à son enregistrement dans le banking book. On sait seulement que, dans les trois cas de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande, les banques nationales sont très fortement exposées à la dette de leur propre pays, ce qui rajoute à leur fragilité financière, quand cela va mal et c’est le cas. C’est aussi celui de l’Italie.
Le ratio de 5% du Tier one des fonds propres qui a été choisi comme barre est par ailleurs très modeste, en dessous de deux points des 7% qui seront requis par la réglementation de Bâle III, dès 2013. Ce qui permet d’affirmer que le scénario « adverse » étudié (par opposition à « de base ») est très sévère, sans trop devoir en conséquence recaler. Par contre, si les tests ont été réalisés sur la base des résultats 2010 des banques, les augmentations de fonds propres qui sont intervenues entre janvier et avril 2011 ont été prises en compte. Les résultats ont été améliorés de 50 milliards d’euros. L’EBA reconnaît que, faute de ces capitaux, ce sont 20 banques qui auraient échoué aux tests. C’est d’ailleurs ce résultat qui est mis en avant par l’EBA, à juste titre, mais qui ne sera pas retenu par les gouvernements.
Il est également notable que 16 banques ont des ratios compris entre 5 et 6%, ne réussissant que de peu les tests, dont sept espagnoles, deux grecques, deux portugaises et deux allemandes. 25 banques sont donc au minimum dans le besoin (9 qui ont chuté et ces 16 autres), sur 91 testées, soit plus du quart. Après intégration dans leurs comptes de 50 milliards d’euros postérieurs à l’établissement de leur bilan de référence.
Enfin, comme Paul Jorion l’a souligné dans sa vidéo d’hier, les banques ont été testées une par une, comme si elles étaient sans étroites relations financières entre elles ; aucune étude n’a été entreprise sur les effets de ce risque systémique. La méthodologie qui permettrait de l’effectuer n’est pas arrêtée par le Comité de Bâle, qui s’est encore réuni fin juin à ce propos. Pourtant l’évaluation du risque par réseau bayésien n’est pas davantage d’avant-garde que d’autres méthodes mathématiques un peu pointues utilisées dans la finance avec beaucoup moins de scrupules !
Les banques retenues pour les tests l’ont été sur la base de propositions faites par les autorités nationales, obligation leur étant faite de proposer au moins 50% de leurs établissements. On peut raisonnablement penser qu’elles n’ont pas été amenées à systématiquement retenir les banques les plus faibles et que des réglages fins ont pu précéder l’établissement de la liste finale. Par ordre décroissant d’importance, sur les 91 établissements retenus, l’Espagne venait en tête (25), suivie de l’Allemagne (13) et de la Grèce (6), ce qui donne néanmoins une image des points les plus faibles du système bancaire européen.
L’EBA, enfin, a eu l’élémentaire prudence de relever qu’en dépit de tous ses efforts, elle a dépendu des données fournies par les banques et de leur supervision par les autorités nationales. Elle a d’ailleurs du demander que certaines copies soient revues, en raison d’hypothèses ou de prévisions peu réalistes.
Au passage, les tests ont mis en évidence l’hétérogénéité du système bancaire européen, notamment en ce qui concerne la structure de ses fonds propres. La banque allemande Helaba a ainsi véhémentement réfuté l’analyse de l’EBA, considérant que ses 1,92 milliards de capitaux hybrides devaient être pris en compte dans les fonds durs, à l’inverse du régulateur qui s’y est refusé. Il s’agit de ce que l’on appelle des « participations silencieuses », émises en l’occurrence par l’Etat de Hesse.
La question des capitaux hybrides reste au centre des discussions en cours au sein du Comité de Bâle, justifiant des flous artistiques. Le cas des banques espagnoles est à cet égard également instructif. En pleine restructuration, elles sont dans l’attente de l’injection de capitaux privés, ou publics par défaut, qui doivent intervenir d’ici à fin septembre. Les deux établissements déclarés fautifs par l’EBA ont de leur côté prétendu être bons pour le service. Afin de parvenir au seuil fatidique de 5% de fonds propres, elles avaient inclus dans ceux-ci des provisions ou des émissions convertibles en actions (produits hybrides), ou bien encore le produit non inscrit dans les résultats 2010 d’une cession intervenue ultérieurement. A noter que si les banques britanniques ont été déclarées avoir passé le test, leur emploi immodéré de la titrisation, dont il aurait été tenu compte, a été souligné par l’EBA.
En attendant qu’une cote mal taillée soit décidée à propos des titres hybrides, on mesure avec ces tests le poids limité du régulateur, une banque allemande pouvant se permettre de le réfuter et de refuser la publication de ses résultats ! Des établissement espagnols, sans aller jusque là, mettant en cause les critères retenus, au nom des « spécificités espagnoles ».
Dans le sens contraire, l’agence Moody’s a également mis en cause indirectement l’EBA en dégradant la note de sept banques portugaises, dont les quatre sélectionnées qui ont victorieusement passé les tests.
Quoi qu’il en soit, l’heure est désormais à l’application des bonnes résolutions. Les banques recalées et celles qui ont juste le nez hors de l’eau vont devoir renforcer d’ici la fin de l’année – sauf circonstances exceptionnelles – leurs fonds propres et les Etats y contribuer si nécessaire. L’EBA a également recommandé que les banques ayant des expositions conséquentes à la dette souveraine et dépassant de peu le ratio de 5% retenu comme seuil procèdent à des diminutions de dividende ou de leur encours de prêts, apportent de nouveaux capitaux ou convertissent les produits hybrides de plus faible qualité inscrits dans leurs livres.
Le FMI « recommande fortement que les mesures nécessaires soient prises pour s’attaquer efficacement aux faiblesses, non seulement des établissements qui ont échoué à ces tests, mais aussi de celles qui l’ont réussi de peu ». Il va falloir ajouter ces nouveaux montants, limités pour les banques ayant échoué à 2,5 milliards d’euros, à ceux destinés au futur nouveau plan de sauvetage de la Grèce, pour lequel un sommet européen a finalement été convoqué le 21 juillet, puisqu’il le fallait bien.
Il faudra attendre lundi matin pour connaître le verdict des marchés. On scrutera plus particulièrement le sort réservé aux banques espagnoles et italiennes, celles du Portugal, de l’Irlande et de la Grèce étant de toute façon déjà sous perfusion de la BCE.
En définitive, qu’est ce que les stress tests de l’EBA ont bien pu montrer ? Que la mesure des risques financiers que font prendre les banques est un art dont l’apprentissage ne fait que commencer et dont l’aboutissement est très incertain, faute d’interdiction ou de stricte régulation des instruments financiers qu’elles utilisent, en raison d’un shadow banking, dont la seule existence n’a même pas été évoquée par le régulateur en chef.
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