Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Le dernier billet de Zébu « Gouverner, c’est choisir » : réponse à Pierre Sarton du Jonchay, reproche à celui-ci son attachement au concept de « valeur », tel qu’il le défend une fois encore dans son propre billet intitulé : Pourquoi convoquer un nouveau Bretton Woods. Cet échange me conduit à ré-intervenir sur cette question.
Mon point de vue personnel est que l’élimination du concept de « valeur » est la condition sine qua non d’un authentique changement de paradigme dans la manière dont nous concevons les faits et la logique économiques. Il ne s’agit donc pas pour moi d’une question anodine et accessoire et si l’on veut le lire dans cette optique, mon livre Le prix (2010) constitue tout entier une charge contre le concept de « valeur ». Il en va plus particulièrement du chapitre intitulé Le prix et la valeur (45-68) où je mets en évidence que l’apparition du concept de « valeur » signale un retour au platonisme dans la pensée moderne (c’est là l’un des thèmes centraux de mon ouvrage Comment la vérité et la réalité furent inventées – 2009), la « valeur » étant l’Idée au sens de Platon, censée se cacher derrière le seul fait observable qu’est le « prix ». Un article récent de Sylvain Piron : Albert le Grand et le concept de valeur (2010) a confirmé mon hypothèse. Zébu a dirigé, ici sur le blog, une discussion très féconde à ce propos.
Le concept de « valeur » est utilisé de multiples manières dans la littérature économique et, en sus de l’usage dont je viens de parler de « valeur » comme « vérité du prix », on voit aussi la « valeur » mentionnée pour évoquer une indexation, comme lorsqu’on parle d’une somme « en francs constants » ; ici-même, Pierre Sarton du Jonchay parle souvent de la « valeur » d’un produit comme étant le prix au moment futur t+n d’un produit x dont le prix au moment présent t, serait lui le « prix » à proprement parler de ce produit (il me corrigera si je l’interprète mal). Autre usage encore de « valeur », attesté en finance : la « valeur » en tant que prix additif au sens d’Adam Smith : la somme des prix des composantes d’un produit, par opposition au « prix » demandé pour le produit lui-même – non-décomposé. J’ai consacré un chapitre de mon livre L’implosion (2008) à ce dernier usage de « valeur : Prix et valeur (159-188).
Ce que je ferai dans le billet que j’annonce ici, c’est parler d’une tentative, qui précéda la mienne, de débarrasser la réflexion économique du concept de « valeur » : celle de David Ricardo (1772 – 1823). La raison pour laquelle sa tentative échoua est intéressante à plus d’un titre : le concept de « valeur » est indispensable si l’on veut constituer une « science » économique autonome : autrement dit, qui explique l’économie entièrement selon une logique propre, sans renvoyer ni à la morale ni à la politique, comme le faisait autrefois l’« économie politique » qui elle ne mettait pas les rapports de force entre les agents économiques, entre parenthèses, les traitant comme quantités négligeables.
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