L’actualité de la crise : COURSES AU TRÉSOR ET D’OBSTACLES, par François Leclerc

Billet invité

Contrairement aux apparences, les États européens ne sont pas les seuls à tirer la langue dans le cours de leurs recherches de financements. Les banques rencontrent également de sérieux problèmes dans ce domaine, dont elles laissent entrevoir l’ampleur en s’activant pour y faire face.

Les gouvernements européens sont lancés dans une course poursuite derrière des solutions qui leur échappent. L’effet levier du FESF reste à l’état de projet en dépit de l’impatience de Mario Draghi, l’intervention à grande échelle de la BCE est bloquée, celle du FMI également. Selon la Frankfurter Allgemeine Zeitung, les gouverneurs de la BCE se seraient fixé une limite à leur intervention de 20 milliards d’euros par semaine, son niveau actuel d’intervention étant bien inférieur.

Il est estimé que la BCE a acheté pour 50 milliards d’euros de dette grecque et 80 milliards d’euros de dette italienne, avec les résultats que l’on voit. Il n’y a pas de demi-mesures possibles si l’on veut être efficace.

Les déblocages nécessitent des accords de grande ampleur qui réclament une denrée devenue rare : le temps. Le rythme accéléré de l’effondrement des pays de la zone euro n’est pas celui des solutions envisagées pour le contenir. Selon Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, 24 mois seront nécessaires pour changer les traités en vigueur !

Échanger avec les Allemands une intervention de la BCE contre une reconfiguration des traités européens leur donnant de nouvelles garanties quant à la bonne conduite fiscale des États n’est pas une petite affaire pouvant se régler sur les planches de Deauville. Sans aborder la problématique de l’accroissement des ressources du FMI, dont les Américains ne veulent pas entendre parler, amenant des hauts fonctionnaires bruxellois à étudier son financement par la BCE, au prétexte qu’il n’est pas formellement interdit par les traités européens…

Signe parmi tant d’autres de l’absurdité de la situation et de la nécessité de gagner du temps, les CDS sur la Grèce, dont l’objet est de couvrir contre le défaut, ne sont pas activés par l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) alors que la dette grecque est négociée avec une décote de 50 % ! A quoi servent-ils donc alors ?

Certes, une restructuration de dette globale s’imposerait à ce stade comme la seule issue, à laquelle il serait judicieux de procéder une fois pour toutes en grand plutôt que de procéder par petites étapes, à la grecque, sans s’en donner les moyens et devoir y revenir. Comme un remake des plans de sauvetage qui se succèdent. Mais tout sera tenté pour ne pas en venir à cette dernière extrémité, lourde de conséquences pour le système financier dans son ensemble, lui faisant perdre un équilibre déjà difficilement conservé et lui imposant une brutale réduction de son patrimoine.

Sans en être réduites à ces extrémités, les banques ne sont pas à l’aise, devant faire face à l’addition de leurs nouvelles obligations réglementaires, de taxes dans certains cas, et du refinancement de leurs opérations en cours. Elles devaient accroître leurs fonds propres au titre de Bâle III (et pour certaines d’entre elles au-delà du ratio de base, en raison de leur caractère systémique), le dernier sommet européen ayant entretemps décidé d’accélérer le calendrier de cet effort ; elles doivent en plus et comme à l’accoutumé refinancer leurs activités, à une hauteur estimée à 485 milliards d’euros pour l’année prochaine.

En premier lieu, elles font feu de tout bois pour diminuer leur peine. En essayant d’élargir les règles d’éligibilité au Core Tier One, l’agrégat des fonds propres utilisé pour calculer le ratio entre ceux-ci et leurs engagements. Ou bien en modifiant à leur avantage le calcul de la pondération des risques associés à ceux-ci, puisque c’est le résultat qui est pris en compte pour déterminer ce même ratio.

Mais cela ne répond en rien aux besoins de leur refinancement, pour lequel des solutions sont activement recherchées, les méthodes éprouvées pour lever des fonds n’ayant pas le résultat escompté. L’émission d’obligations sécurisées implique l’utilisation de collatéraux apportés en garantie aux investisseurs, mais leur gisement n’est pas inépuisable dans les coffres des banques. Les autres catégories d’obligations, plus risquées pour les investisseurs et d’un meilleur rendement, ne suscitent plus le même enthousiasme dans la conjoncture actuelle.

Afin de réunir les concours à long terme qui leur sont nécessaires, les banques voudraient bien se tourner vers l’épargne des particuliers, comme l’État italien s’y est d’ailleurs lancé pour son propre compte ; mais cela suppose, selon elles, que l’État donne des garanties de stabilité fiscale – qu’il s’engage à ne pas accroître la fiscalité sur les revenus qui en proviendraient – ou même qu’il allège la fiscalité de long terme par rapport à celle de court terme…

Poursuivant toujours le même objectif, les mêmes banques voudraient aussi revisiter les normes de liquidité de Bâle III qui imposent de mettre en correspondance la maturité de l’actif et du passif des bilans bancaires – de ses engagements et de ses fonds propres – afin de la rendre moins dépendante des fluctuations du marché en cas de crise aiguë.

Dans un autre domaine, il est question que les États européens, selon des modalités qui restent à définir, apportent leur garantie aux banques afin de faciliter leur accès au marché à moindre coût. Mais cela reste à faire et représente un caractère paradoxal et incertain, vu la crise des finances publiques…

Une autre solution, plus efficace, est recherchée auprès de la BCE. Il lui est demandé d’assouplir les conditions d’éligibilité des collatéraux fournis par les banques en garantie de leur accès aux liquidités, afin que leur qualité requise puisse être moindre que celle qui est réclamée par le marché.

Une dernière option, plus créative, consiste pour les banques à créer des paquets de valeurs mobilières, selon différentes techniques – comme la création d’ABS (Asset-Backed Securities) ou encore de « quasi obligations sécurisées », actuellement à l’étude et testées sur le marché – et d’obtenir pour elles une notation adéquate. Méthode qui pourrait être utilisée tant vis-à-vis de la BCE que des investisseurs. Dans ce dernier cas, de nature privée, ces concours apparaîtraient dans l’opaque compte « solutions de capital alternatives » du bilan des banques…

Pour mémoire, les banques espagnoles donnent le (mauvais) exemple en accordant des taux mirifiques pour les dépôts des particuliers, parvenant ainsi à accroître ceux-ci, ou tout du moins à enrayer leur hémorragie, largement constatée en Grèce et hautement suspectée en Italie. Enfin, dans les cas extrêmes, comme en Grèce et en Irlande, une « aide d’urgence en liquidités » est fournie aux banques par les banques centrales nationales, avec la bénédiction de la BCE qui ferme les yeux.

Les banques disposent d’une palette de moyens que les États n’ont pas. Sans doute parce qu’elles sont plus proches de Dieu, pour le compte de qui elles travaillent si l’on en croit toujours Lloyd Blankfein, le Pdg de Goldman Sachs !

Tout se passe comme si, initialement présenté comme une opération progressive et de longue haleine, le désendettement s’opérait plus brutalement que prévu. En raison de la montagne de dettes publiques et privées qu’il faut refinancer dans l’urgence, face à laquelle les investisseurs se font plus exigeants vis-à-vis des uns comme des autres, en raison des risques supplémentaires qu’ils encourent. Apportant ainsi leur contribution involontaire à la déstabilisation du système financier, qui s’approfondit pour la circonstance.

Rembourser les dettes accrues de leurs intérêts a longtemps été une solution miracle repoussant le problème suscité par leur création accélérée, mais sa viabilité est devenue pour le moins incertaine. L’alternative, qui est d’obtenir que la BCE rejoigne ses consœurs et fasse marcher la planche à billets pour l’éponger, est la deuxième face de la même manifeste fuite en avant.

C’est la machine à produire de la dette (et de la rente) qu’il faut remplacer.

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184 réponses à “L’actualité de la crise : COURSES AU TRÉSOR ET D’OBSTACLES, par François Leclerc”

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  1. Ajouter qu’en termes de « faux-jetons » … me semble-t’il…. ceci devrait frôler un record.. : https://www.lalibre.be/international/europe/2025/07/05/un-couple-neerlandais-implique-dans-79-accidents-comparait-pour-fraude-a-lassurance-ce-sont-les-autres-conducteurs-qui-ne-font-pas-attention-4CR4LQWSHBBMHC77BXUG75NR7Q/ … » Autre élément surprenant :…

  2. La vraie question…à nouveau donc , me semble-t’il , reste : https://www.pauljorion.com/blog/2025/07/05/video-les-faux-jetons-sont-au-pouvoir/comment-page-1/#comment-1078536

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