UNE BELLE ILLUSTRATION DE « L’ARGENT, MODE D’EMPLOI »

Un commentateur me reprochait l’autre jour de faire ma propre publicité parce que je signalais qu’un certain économiste bénéficierait de lire quelques passages de mes propres livres.

Euh… je ne pense pas que le fait pour un auteur de renvoyer à ses ouvrages puisse être considéré comme de la pub. D’abord parce que ceux qui écrivent renvoient à leurs propres livres depuis bien plus longtemps que n’existe la publicité, et ensuite parce qu’un essayiste écrit des livres essentiellement pour ne pas devoir toujours répéter la même chose et pouvoir en particulier renvoyer à ses livres.

Pourquoi rappeler ces quelques évidences de base ? Parce qu’une affaire qui connaît sa triste conclusion ces jours-ci constitue la plus belle illustration qu’on puisse imaginer (ah ! que n’a-t-elle éclaté plus tôt !) des faits rapportés dans un livre écrit avec votre collaboration et intitulé : L’argent, mode d’emploi (Fayard 2009 – en vente dans toutes les bonnes librairies). 😉

De quoi la chute du fonds d’investissement américain MF Global, et la disparition sans espoir de retour de l’argent de ses clients, est-elle l’illustration ?

1° Illustration du fait que l’argent que vous mettez à la banque n’est plus le vôtre mais le sien, même si elle a la courtoisie de vous donner en échange une reconnaissance de dette (raison pour laquelle aucune loi ne devrait jamais obliger votre employeur à verser votre salaire à une banque plutôt qu’à vous-même).

2° Illustration du fait qu’une reconnaissance de dette, même si elle peut être utilisée comme monnaie (puisqu’elle a un prix), n’est pas de l’argent (loin de là !), parce que la somme d’argent contre laquelle elle pourra être échangée in fine se situe en réalité quelque part entre le montant de la reconnaissance de dette et zéro franc, zéro centime (voir la crise des subprimes).

3° Illustration du fait qu’évaluer la richesse en additionnant l’argent et le montant total des reconnaissances de dette expose à de déplaisantes déconvenues (voir votre quotidien favori en date d’aujourd’hui).

Or doncques peu de jours avant la déconfiture de MF Global, l’argent des clients disparut. On se précipita pour trouver où il était passé, supposant qu’il avait servi à boucher quelque trou financier précédant de peu la chute, et en récupérer sinon la totalité, tout au moins une partie. Que nenni, et il faut rendre hommage ici aux recherches menées par Christopher Elias de l’agence Thomson Reuters qui nous rapporte tout cela dans MF Global and the great Wall St re-hypothecation scandal, MF Global avait pris la précaution de rappeler à ses clients ce que chacun devrait savoir mais ignore généralement, à savoir que celui qui donne de l’argent à sa banque, le lui donne véritablement, en échange simplement d’une promesse qu’elle le lui rendra quand il le lui redemandera… pour autant, avait tenu à préciser très honnêtement MF Global, qu’elle le possède toujours à ce moment-là. Ce qui n’est pas garanti si – comme dans son cas – elle utilise cet argent pour acheter des choses dont personne n’est trop sûr de ce qu’elles vaudront demain. En l’occurrence, de la dette souveraine (des obligations émises par des pays) de la zone euro.

Donc, rien de surprenant jusque-là, si ce n’est pour le client qui imaginait naïvement que l’argent à la banque était toujours le sien.

MF Global utilisa donc l’argent de ses clients pour acheter de la dette souveraine européenne, convaincue qu’elle pourrait bénéficier du fait que la dette souveraine de certains pays (Grèce, Irlande, Portugal) est assortie aujourd’hui de taux élevés alors que le risque de non-remboursement est nul vu que les autorités financières de la zone euro veillent (« Tonton ! Pourquoi, tu tousses ? »).

Oui, mais comment fait-on pour construire à partir de là une machine à faire de l’argent ? C’est très simple (et cela rappelle l’« apologue de la Dame de Condé », que je me suis amusé à déconstruire dans L’argent mode d’emploi : pages 374 à 391), on utilise la technique du Repo, pour repurchase agreement, « accord de ré-achat ». Les obligations que l’on possède, on les échange provisoirement contre de l’argent frais, en ayant promis de les racheter plus tard pour une somme légèrement plus élevée (les frais de « location »), ces obligations servant de collatéral, de garantie, à la somme prêtée.

Un instrument de dette, une obligation, c’est – je le rappelle – une reconnaissance de dette.

Or voici la beauté de la chose, en droit britannique (pas américain), on peut faire tourner ainsi les obligations mises en garantie à l’infini. Un exemple : A possède des obligations pour un montant de 1 million, il les échange provisoirement (Repo) avec B pour de l’argent. A a maintenant 1 million en argent et B, des reconnaissances de dette pour un million. B se tourne vers C pour un Repo, C donne un million à B et reçoit en échange les obligations qui sont des reconnaissances de dette d’un million. A et B ont maintenant chacun 1 million et C des reconnaissances de dette valant un million. Si on additionne le tout, on obtient le chiffre de 3 millions. 2 millions sont sortis d’un chapeau !

Nous nous sommes bien amusés dans L’argent mode d’emploi avec ces exemples de « création monétaire ex nihilo ». Bien sûr, aucun miracle n’a jamais eu lieu : quand B donne 1 million à A en échange d’une reconnaissance de dette, il a dû trouver l’argent quelque part… quelque part ailleurs. De même, quand C donne à B, 1 million en échange d’une reconnaissance de dette, il a dû lui aussi trouver l’argent quelque part ailleurs. Et quand les Repos enchaînés se détricotent, il faut que B ait toujours le 1 million qu’il lui faudra rendre à C, et A, celui qu’il lui faudra rendre à B, et l’émetteur de l’obligation, il faudra bien qu’il ait les liards qui lui permettront de rembourser A à maturité (sans compter les sommes qui lui sont nécessaires pour verser les intérêts promis).

Quel est le prix à payer pour cette multiplication des petits pains ? Le risque. Le risque, parce qu’il y a beaucoup de « si » au moment du détricotage : « si B a toujours 1 million », « si A a toujours 1 million », « si l’émetteur de la dette dispose des liards qu’il lui faudra rendre ». Plus la chaîne est longue, plus les risques d’accident s’additionnent. Il suffit bien entendu qu’il y en ait un qui, le jour prévu, n’a pas le million nécessaire, pour que tous ceux qui se trouvent en aval de lui boivent la tasse.

Christopher Elias note que : « En 2007, la ré-hypothèque (les Repos enchaînés) avait grossi à ce point, qu’elle constituait la moitié de l’activité du secteur bancaire de l’ombre ». Il avance le chiffre de 4 en moyenne pour l’effet multiplicateur des petits pains.

Que s’est-il passé dans le cas de MF Global ? Bon, je ne vais pas insulter l’intelligence de mon lecteur ou de ma lectrice en lui donnant la réponse.

Ah ! Avant que je ne vous quitte : on parle beaucoup en ce moment de « maîtriser le risque systémique » mais tout ce dont je viens de vous parler est légal.

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