Au commencement est le désir. Son projet est l’infini…, par Christian Maurer

Billet invité.

Partons de ce constat : l’économiste, le politique, le financier… sont et resteront des êtres humains. Etudier leurs théories, analyser les conséquences de leurs choix et de leurs actes sur notre société, c’est nécessairement aussi se pencher sur les dynamiques qui les animent et les font vivre en tant qu’humains. Les critiquer et dénoncer leurs impasses, c’est accepter de faire le détour du décryptage de leurs motivations sous peine de n’en rester qu’à formuler l’espoir de quelques changements, finir par se lamenter parce qu’ils ne verront jamais le jour, ou encore redouter que n’arrive le pire.

Refonder le capitalisme ne peut pas, de ce point de vue, faire l’économie (!) d’une approche de l’intériorité, cet espace de l’humain dans lequel s’élabore à partir de ses besoins vitaux et de son expérience de la réalité, sa représentation de cette réalité. Car c’est dans cette intériorité que prennent racine ses croyances à propos du monde, des autres et de lui-même, desquelles découlent ses stratégies puis ses comportements au quotidien, qui eux-mêmes génèrent son environnement sociétal, véritable cristallisation de sa représentation des choses.

Face à un capitalisme à l’agonie, il me paraît incontournable d’interroger cette intériorité et son moteur, le désir. Le désir nous porte au quotidien dans l’effort d’exister. Sa satisfaction jamais ne l’épuise, mais au contraire le nourrit et le grandit. De l’expérience du plaisir découle l’élan toujours plus fort d’oser risquer l’aventure de la vie. La frustration peut en contenir l’enthousiasme, et nous apprendre une certaine modération dont l’enjeu est l’aptitude à prendre en compte les limites. Mais de par sa nature, le désir se porte vers l’Infini, et sans lui c’est la grande dépression, celle qui nous empêche de projeter, d’entreprendre, et de réaliser dans le concret de ce monde.

La grande mutation qui s’est produite récemment dans la société humaine, avec l’invention de la machine à vapeur et du moteur à explosion, avec la découverte et l’exploitation des énergies fossiles, a eu pour conséquence de nous faire croire que le désir verrait sa plénitude dans la dimension spatio-temporelle. L’accès à une énergie abondante et disponible, prolongé par l’impressionnante efficacité de la technologie, nous ont exposés comme jamais dans l’histoire de l’humanité à l’illusion d’un désir qui pourrait s’exercer sans recours à la Transcendance. L’athéisme, mais surtout le matérialisme en sont le prolongement logique.

L’impasse dans laquelle nous plongent les crises dont il est question dans ce blog, est à mon sens d’abord la conséquence de cette erreur à propos du désir. Porté vers l’Infini dans un monde fini, il ne peut que rêver de croissance illimitée. Lorsqu’elle est en berne, il ne peut qu’espérer qu’elle reparte bientôt de plus belle pour nous préserver de toute confrontation essentielle. Et occasionnellement envisager, sous forme d’austérité, de se libérer de la honte que lui inspire son arrogance. L’argent en est le meilleur symbole, et, on le sait, son accumulation entre les mains de celles et ceux qui en possèdent ne suffira jamais.

Mais alors le rappel des limites de l’espace-temps dans lequel nous évoluons, la volonté de ramener l’humanité et ses dirigeants à plus de raison et de mesure, avec de nouvelles règles y compris toutes les formes de régulation et de redistribution, ne peut suffire. Ce serait se montrer bien naïf face au désir. Sa nature est subversive. Il ne peut vivre dans un rapport sain avec les limites existentielles sans ouverture à la dimension de l’essentiel. Si toutes les cultures et civilisations qui nous ont précédées ont sans cesse accordé une telle importance à cet aspect de l’organisation de leur société, peut-on vraiment n’y voir que le signe de leur infantilisme ?

Je constate sur ce blog comme ailleurs, une sorte de pudeur à aborder l’intime. Comme s’il n’était pas convenable de tenter une parole commune autour de l’innommable. Ou est-ce plus simplement par peur de manquer d’écoute de la part des autres ? Pourtant j’en perçois la présence ici, probablement davantage dans les commentaires que dans les billets eux-mêmes. Et parce que je ne peux pas imaginer que ce sujet soit exclu d’une approche pluridisciplinaire autour la période que nous vivons, je viens par la présente en faire la proposition.

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146 réponses à “Au commencement est le désir. Son projet est l’infini…, par Christian Maurer”

  1. Avatar de Tao_Jones
    Tao_Jones

    Dieu n’est caché
    ni dans l’objet du désir
    ni dans le non-désir,
    mais dans le Désir même,
    le désir de désirer infiniment

    Yvan Amar
    « Les Nourritures silencieuses » aux Editions du Relié

    1. Avatar de KIMPORTE
      KIMPORTE

      Le souffle de vie

      1. Avatar de Christian
        Christian

        @ Tao_Jones
        Merci pour cette correspondance.

  2. Avatar de kercoz
    kercoz

    Si l’on veut penser société , qq soit l’espece , au commencement est l’ « agression »…et pas n’importe laquelle , l’ agression entre individus de meme espece , l’agression intra-spécifique comme l’a si bien défini K Lorenz .
    De l’ inhibition nécessaire de cette agression pour la possibilité » de socialisation , résulte les rites hierarchisants qui s’ y substituent .
    En assimilant cette agression (instinct donc inaliénable a l’échelle historique), a une énergie , on peut envisager la dynamique de l’évolution des especes sociales …..
    Concevoir la modernité humaine comme une étape ultérieure de cette dynamique , me parait une erreur………il y a autant d’arguments pour soutenir la thèse d’ une des nombreuses impasses des systèmes vivants , une déviance qui peut meme comdamner les civilsations , voire l’espece .

    1. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      @ Kercoz
      « Si l’on veut penser société , qq soit l’espece , au commencement est l’ « agression »…et pas n’importe laquelle , l’ agression entre individus de meme espece , l’agression intra-spécifique comme l’a si bien défini K Lorenz . »

      Pourquoi ne peut-on pas penser société où, au commencement, serait la philia?

      1. Avatar de kercoz
        kercoz

        @Basic :
        /// Pourquoi ne peut-on pas penser société où, au commencement, serait la philia? ///
        Parce que ce n’est pas logique ….a moins de considérer le « care » comme une inversion de l’agressivité (comme le sourire découvre les dents pour menacer pour mordre .
        Le chène a des milliers d’enfants qu’il fait chaque année perir de soif ….si le chène meurt , seuls 2 ou 3 vont survivre sous lui , en tuant leurs freres ….
        La lutte extra spécifique est réglée depuis longtemps par le développement de procédures différentes , peu de chevauchements a la marge …
        C’est l’ agressivité intra-spécifique qui gère l’évolution de chaque espece en sélectionnant les plus adaptés . Malheureusement cette selection aurait tendance a privilègier des développements conjoncturels ( ere inter glaciaire) …d’ ou une rigidité comportementale qui intègre la mémoire des évènements anciens .
        La vision antropo du care ou philia est faussée . On peut concevoir la philia comme une vision univoque (?) de la hierarchisation d’ un groupe ou des echanges s’effectuent ….Il n’ y a jamais d’acte gratuit . Un acte qui semble disinteressé est une assurance vie sur le futur et une ostentation involontaire , voire inconsciente qui valorise la « Face » de l’individu au regard des autres …… Ces interactions ne sont qu ‘une complexification des interactions a plusieurs niveaux dont l’origine est la hierarchisation et la domination/soumission . Comme dit Bourdieu , ces analyses désenchantent les relationnels qd on accède a la lucidité de leurs motivations .

      2. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @ Kercoz
        Merci de votre réponse. Cependant:
        http://fr.wikipedia.org/wiki/Matriarcat#Les_soci.C3.A9t.C3.A9s_de_type_matriarcal

        Extrait:
        « Le matriarcat ne dut probablement jamais maltraiter les hommes, et le passage au patriarcat dut se faire dans une relative égalité des sexes jusqu’à ce que pour des raisons qui restent à étudier celui-ci s’instaure définitivement dans la violence et par la discrimination. »

        Cela semble contredire le « théorème » de Lorenz. « Pour des raisons qui restent à étudier » dit Wiki…

        Savez-vous s’il y a des sociétés matriarcales chez les animaux?

        « C’est l’ agressivité intra-spécifique qui gère l’évolution de chaque espece en sélectionnant les plus adaptés . »

        Vision que je trouve bien darwinienne (façon anglo-saxons). La philia (la symbiose) peut ama donner de meilleurs résultats lorsqu’il s’agit de résoudre un problème qui met en jeu la survie de l’espèce: toutes proportions gardées cf. ce blog. C’est la voie lamarckienne…

        « Ces interactions ne sont qu ‘une complexification des interactions a plusieurs niveaux dont l’origine est la hierarchisation et la domination/soumission. »

        Autre extrait de Wiki:
        « Le lien originel mère-nourrisson s’élargit par l’agrégation avec les autres femmes dans des formes d’entraide mutuelle dans les activités quotidiennes afin de conserver la vie, formant un « gynégroupe ». Il s’agit par conséquent de sociétés fort peu hiérarchisées et horizontales. »

      3. Avatar de kercoz
        kercoz

        @Basic :
        Lorenz n’ a pas fait de « théorème » , c’est moi qui interprète . Ds son book « l’ agression » il ne fait que montrer ou démontrer que la quasi totalité de l’ agressivité sur terre est de l’agressivité intra-spé ….c’est une évidence . Un lion qui bondit sur une proie a le visage détendu , quasi souriant ….qd il combat un autre male , il est « défiguré  » de haine .
        Pour le passage au matriarcat , je rappelle la thèse de Lévi -Strauss qui voit ds les razzia , et capture des femmes , l’émergence d’ une aristocratie guerrière et de lignées patriarcales (l’enfant ne pouvant etre confié a l’oncle comme la coutume matriarcale perpetuait la tradition).
        La raison de la polygamie des chefs est séduisante ( le role de chef est souvent décliné car laborieux) ……je pense qd meme que c’est a mettre en correlation avec l’augmentation de densité de population……La capture de femmes se faisait probablement sur des sites de cueillette éloignées du village donc ds des zones frontieres …Qd les frontieres etaient a une semaine de marche ces rencontres devaient etre peu frequentes (densité du paléo) , mais le sont devenues qd cette frontiere se rapproche a 1 ou 2 jours de marche ( néolith) ….
        Pour la philia , je ne la conçois que pour les animaux sociaux (voir a ce sujet le chap de Lorenz sur le fait que les animaux sociaux sont des especes spécialisés …ds la « non spécialisation » …c’est a dire que n’etant pas les premier ds aucune discipline (mais etant les meilleurs au triathlon) , ils sont obligés de développer les stratégies de groupe puis du cogito ( là dessus lire le chap sur les nidipares et les nidifuges) ……..interessant puisqu’il développe la relation entre le cogito et le temps d’apprentissage (jeux) , autorisé par la protection parentale ou du groupe et appuie le cogito humain sur cette durée ……..on retombe ds la notion de néoténie …qui selon moi (et d’autres comme Michéa ds le lien donné ailleurs / adultescent ) est en excroissance depuis peu .
        Pour l’instinct , il semble effectivement qu’il y ait des interdits génétiques de prédation sur des petits d’autres especes …..K.L. a planché aussi là dessus , je crois ( forme du front , posture dissymétrie des membres .. qui inhibe l’agressivité du prédateur) .
        Mais je ne vois pas en quoi l’agressivité effraie ? ….Il faut lire ZIZEK : réhabiliter l’intolérence pour comprendre que des gens comme les néolib, récupèrent les concepts judéochrétiens , pour servir une modialisation qui leur autorise ttes les prédations possibles ….
        La Tolérance est par definition insultante pour le « toléré » …Ne pas tolérer une difference c’est reconnaitre l’autre comme existant et ayant droit a cette difference …c’est lui reconnaitre une réalité et non faire semblant de l’ignorer .
        Nous avons besoin de conserver des alterités et « tolerer » c’est les gommer , ne pas leur attribuer un droit egal au notre .

      4. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @ Kercoz
        Merci pour ce cours de socio. C’est plus intéressant que les maths!

        Après une explication plutôt « struggle for life » incluant Lorenz, Bourdieu et Lévi-Strauss vous terminez par:

        « La Tolérance est par definition insultante pour le « toléré » …Ne pas tolérer une difference c’est reconnaitre l’autre comme existant et ayant droit a cette difference …c’est lui reconnaitre une réalité et non faire semblant de l’ignorer .
        Nous avons besoin de conserver des alterités et « tolerer » c’est les gommer , ne pas leur attribuer un droit egal au notre . »

        Ce qui précède suggère que, pour vous, la reconnaissance de l’autre passe par l’agressivité.

        Extrait de Wiki:
        « Le matriarcat ne dut probablement jamais maltraiter les hommes, et le passage au patriarcat dut se faire dans une relative égalité des sexes jusqu’à ce que pour des raisons qui restent à étudier celui-ci s’instaure définitivement dans la violence et par la discrimination. »

        Si l’on suit Wiki, la reconnaissance de l’autre semble passer par la philia dans une société matriarcale. Je repose donc la question de mon précédent commentaire: pour quelles raisons (instabilité structurelle?) passe-t-on du matriarcat au patriarcat et, par suite de la reconnaissance par la philia à la reconnaissance par l’agressivité? Au regard de l’histoire, le patriarcat n’a pas l’air particulièrement structurellement stable!

      5. Avatar de kercoz
        kercoz

        @Basic .
        Je n’ai pas du etre assez clair :
        ////Je repose donc la question de mon précédent commentaire: pour quelles raisons (instabilité structurelle?) passe-t-on du matriarcat au patriarcat /////
        a mon avis :
        1/ l’origine est le matriarcal , du fait de l’absence de relation entre l’acte sexuel et la naissance .
        2/ donc l’enfant est le descendant de la mere et la référence masculine le frere de la mere .
        2/ meme qd le cogito permet d’établir une corrélation entre l’acte sexuel et la procréation , la tradition date trop longtemps pour etre supprimée (elle a de plus participé au formatage du groupe et du couple individu-groupe).
        3/ Soit par augmentation de la densité de population , soit par l’usage de la polygamie , la capture de femme , d’occasionnelle est devenue pratique courante .
        4/ Le frere de la mere etant un « ennemi » , on ne peut lui confier l’enfant . Ce qui oblige a une lignée patriarcale officielle , en concurence avec la lignée matriarcale qui va perdurer .
        5/ On remarque qu’on a le triangle Monarque (lignée matriarcale) , peuple et aristocratie guerriere (necessaire au monarque) qui adopte une lignée patriarcale .

        Pour l’intolérance , je force un peu le trait …histoire de compenser le Bisounours qui est en chacun de nous .
        La vie ne peut résulter que de la prédation d’une espece sur d’autres, meme si on fraternise parfois , c’est pour ameliorer la predation ou le confort ……Il ne peut qu’en etre de meme en intra-spé ….ce serait curieux que notre espece differe sur ce point !
        Un des arguments « frappant » pour démontrer que l’agressivité est a l’origine …et n’est qu’ inhibée pour autoriser la socialisation d’une espece ….et qui montre par ailleur que les morales civiles ou religieuses ne sont que des squatts tardifs de « RITES » plus anciens :
        ttes les regles morales sont « NEGATIVES » … »Tu ne baiseras pas la femme du voisin  » ; « Tu ne voleras pas … » TU…NE …PAS  » ……..Sauf une ( là c’est Goffman ds les rites interactifs » :
        « Tu aimeras ton prochain comme toi meme » …..La face de l’autre est sacrée , faire perdre la face est plus grave que de perdre la face ! …. sauf que le « prochain » ce n’est pas forcément n’ importe qui ! …c’est un gus de ton groupe.
        C’est bien là des regles inhibatrices (ou inhibantes ?) qui freine ou pondère l’agressivité qui ne peut etre supprimée (instinct , génétique) …..Les rites selon Goffman sont des rituels brefs , inconscients ou peu conscients qui dé-s’affectent les parties de relations qui devraient etre conflictuels ……Meme au plus fort de sa rage , un chien ne peut mordre un autre chien qui lui offre son cou …

  3. Avatar de Eric L
    Eric L

    à l’origine est la peur , on cherchait à l’exorciser …

    le nuit, le brouillard , sans défense , et ayant des traces, des réminiscences.
    à la fin, il y avait le soupçon ?

  4. […] background-position: 50% 0px ; background-color:#222222; background-repeat : no-repeat; } http://www.pauljorion.com – Today, 10:45 […]

  5. Avatar de Pablo75
    Pablo75

    @ Christian Maurer

    « Le désir est un tyran qui ne tient jamais ses promesses. »
    (Arthur Schopenhauer)

    « Le bonheur est en quelque sorte, ce qui met un point d’arrêt à la fuite en avant du désir. »
    (Paul Ricoeur. Soi-même comme un autre)

    « La nature a mis l’homme sur la terre avec des pouvoirs limités et des désirs sans bornes. »
    (Rivarol)

    « La vraie patrie des hommes, c’est leur désir. »
    (Léon Bloy)

    « Le désir souverain des êtres a l’au-delà de l’être pour objet. »
    (Bataille. Sur Nietzsche)

    Le désir, peut-être, est le don qu’aucun autre don ne comble.
    (Emily Dickinson)

    « Et toujours vers l’illimité va le désir. »
    (Holderlin. Derniers poèmes)

    « Souviens-toi,
    jamais une seule main n’a réussi à applaudir.
    Et tu dis que tu m’aimes,
    mais si tu aimes, c’est qu’on t’aime.
    Si tu désires le Paradis,
    c’est que le Paradis te désire.
    Tu ne me chercherais pas,
    si je ne t’avais pas cherché.
    Je suis ta propre âme,
    ton propre cœur.
    Pourquoi restes-tu frappé de stupeur ?
    Ce que tu cherches, c’est toi-même,
    ton véritable être
    et ton être le plus profond, c’est moi.
    Je suis toi puisque tu es moi.
    Si tu te souviens de moi,
    je me souviendrais de toi. »
    (Rumi)

    1. Avatar de Christian
      Christian

      Merci !

  6. Avatar de Pablo75
    Pablo75

    @ Christian Maurer

    « Bref, la transcendance n’a rien à faire avec le nom de Dieu, plutôt avec l’innommable. »

    C’est la même chose…

    « Dieu est sans nom: car de lui personne ne peut rien dire ni connaître. »
    (Maître Eckhart. Sermon Renovamini Spiritu mentios vestrae)

    « La divinité ne devrait jamais porter de nom; car tout nom la restreint dans l’espace et le temps. «Elle est, disaient les Ophites, l’Esprit sans nom, fils unique du Père inconnu.» ».
    (Maurice Maeterlinck. Devant Dieu)

    1. Avatar de Christian
      Christian

      Ricoeur, Rumi, Eckhart… nous partageons des références…
      Maintenant il me tient à coeur de montrer comment ce regard sur le désir contribue à clarifier la mutation de société que nous sommes en train de vivre. D’où la contribution de mon billet ici.

      1. Avatar de Pablo75
        Pablo75

        Pour moi l’essentiel de votre texte est dans ce paragraphe:

        « Mais alors le rappel des limites de l’espace-temps dans lequel nous évoluons, la volonté de ramener l’humanité et ses dirigeants à plus de raison et de mesure, avec de nouvelles règles y compris toutes les formes de régulation et de redistribution, ne peut suffire. Ce serait se montrer bien naïf face au désir. Sa nature est subversive. Il ne peut vivre dans un rapport sain avec les limites existentielles sans ouverture à la dimension de l’essentiel. Si toutes les cultures et civilisations qui nous ont précédées ont sans cesse accordé une telle importance à cet aspect de l’organisation de leur société, peut-on vraiment n’y voir que le signe de leur infantilisme ? ».

        Vous écrivez à la fin: « Je constate sur ce blog comme ailleurs, une sorte de pudeur à aborder l’intime. Comme s’il n’était pas convenable de tenter une parole commune autour de l’innommable. »

        Moi je ne crois pas qu’il s’agisse de pudeur. Sur ce blog on a déjà discuté spiritualité, Dieu, agnosticisme, athéisme, etc. Et l’on se trouve toujours confronté aux mêmes attitudes (qui moi m’ont beaucoup étonné en arrivant en France il y a plus de 30 ans, venant d’une Espagne où la spiritualité est un thème très conflictuel qui ne laisse personne froid): ici en France il y a beaucoup de monde qui est tout simplement indifférent à l’Essentiel, à l’Au-delà. La plupart des Français sont tout simplement « frigides » face à ces thèmes, incapables par exemple de ressentir la beauté des grands textes mystiques. Moi qui les lit beaucoup depuis très longtemps et qui ai beaucoup discuté sur ces thèmes avec des Français, je l’ai vérifié souvent. Pour moi il y a une « frigidité » spirituelle typiquement française. La France c’est beaucoup plus Rabelais, Montaigne, Voltaire, Balzac, Baudelaire, Zola, Céline, Sartre ou Foucault que Pascal, Bloy, Bergson, Bernanos, Ricoeur ou René Girard – et mêmes eux sont trop philosophes ou idéologues pour un admirateur de la spiritualité espagnole, russe ou allemande, du soufisme ou des mystiques orientales.

      2. Avatar de octobre
        octobre

        Pablo75

        Toi qui a beaucoup lu Cioran, tu ne peux pas ne pas connaître ce petit livre revigorant comme une gifle : De la France (éd. L’Herne).

        Qu’elle a été grande, la France ! De l’individualisme et du culte de la liberté pour lesquels, autrefois, elle avait versé son sang – elle n’a retenu, dans sa forme crépusculaire, que l’argent et le plaisir… Quand on ne croit à rien, les sens deviennent religion. Et l’estomac finalité. Le phénomène de la décadence est inséparable de la gastronomie… Depuis que la France a renié sa vocation, la manducation s’est élevée au rang de rituel. Les aliments remplacent les idées. Les Français depuis plus d’un siècle savent qu’ils mangent. Du dernier paysan à l’intellectuel le plus raffiné, l’heure du repas est la liturgie quotidienne du vide spirituel. Le ventre a été le tombeau de l’Empire Romain, il sera inéluctablement celui de l’Intelligence française… Rien n’est plus gênant que de voir une nation qui a abusé – à juste titre – de l’attribut « grand », grande nation, grande armée, la grandeur de la France -, se dégrader dans le troupeau humain haletant après le bonheur… La France n’a plus de destin révolutionnaire, parce qu’elle n’a plus d’idées à défendre… Les peuples commencent en épopées et finissent en élégies.
        (4ème de couv.)

        Texte écrit en 1941!!!
        De la fRance.

      3. Avatar de Christian
        Christian

        @ Pablo75
        Je trouve votre éclairage superbe ! Je n’aurai jamais osé dire cela ainsi, mais c’est que je suis Français, de plus venant du Nord-Est…. et c’est sans doute pour cela que je suis descendu vers le Sud, pour me rapprocher de l’Espagne !
        La frigidité des Français – je retiens ! excellent 🙂
        Merci

      4. Avatar de Pablo75
        Pablo75

        @ Octobre

        Oui, je connais cette belle gifle. En privé il était encore plus dur, il disait que les Français étaient un peuple fini qui ne s’intéressait qu’au sexe, la bouffe et les vacances.

        Dans ce livre, il écrit:

        « La divinité de la France : le Goût. Le bon goût. Selon lequel le monde – pour exister – doit plaire; être bien fait; se consolider esthétiquement; avoir des limites; être un enchantement du saisissable; un doux fleurissement de la finitude. Un peuple de bon goût ne peut pas aimer le sublime, qui n’est que la préférence du mauvais goût porté au monumental. La France considère tout ce qui dépasse la forme comme une pathologie du goût. Son intelligence n’admet pas non plus le tragique, dont l’essence se refuse à être explicite, tout comme le sublime. »

        « Le péché et le mérite de la France sont dans sa sociabilité. Les gens ne semblent faits que pour se retrouver et parler. Le besoin de conversation provient du caractère a-cosmique de cette culture. Ni le monologue ni la méditation ne la définissent. Les Français sont nés pour parler et se sont formés pour discuter. Laissés seuls, ils bâillent. »

        « L’intelligence, la philosophie, l’art français appartiennent au monde du Compréhensible. Et lorsqu’ils le pressentent, ils ne l’expriment pas, contrairement à la poésie anglaise et à la musique allemande. La France ? Le refus du Mystère. »

        « Les Français […] ne veulent plus croire, de peur d’être ridicules. »

        (Vigneron, pas la peine de rappliquer, reste tranquille où tu es).

        Un extrait de « Histoire et utopie » (livre écrit dans les années 50 et publié en 1960):

        « Quelle malédiction a frappé l’Occident pour qu’au terme de son essor il ne produise que ces hommes d’affaires, ces épiciers, ces combinards aux regards nuls et aux sourires atrophiés, que l’on rencontre partout, en Italie comme en France, en Angleterre de même qu’en Allemagne ? Est-ce à cette vermine que devait aboutir une civilisation aussi délicate, aussi complexe? »

      5. Avatar de vigneron
        vigneron

        Ocobre, Cioran… produit d’importation…

        Eh bien ! grattez l’ironiste, vous trouvez l’élégiaque.

        Barrès, Le Culte du Moi, vol1. Sous l’oeil des barbares…
        http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre8247-chapitre33299.html

      6. Avatar de francois2
        francois2

        @ Christian et Pablo 75

        l’innomable du désir. soit!

        Mais pourtant il existe un mot « désir » que chacun utilise et même si la définition dépend de chaque personne en fonction du ressenti de chacun, de son histoire, ce mot signifie quelque chose.

        Chacun peut ressentir un mal être dès lors que son monde s’écroule, que sa notion de bien disparait et se dilue parce non partagé par autrui et que le mot même de bien ne signifie plus rien.

        je ne crois pas qu’il n’existe pas de religion athée. Bien au contraire il s’agit d’une religion du rien, une sorte de bouddhisme primordial qui a entrainé une dissolution de la société d’alors. La société se mécanise, le corps n’est plus qu’un véhicule permettant de visualiser le décor. Rien n’accroche le regard, pourquoi ceci plutôt que cela. pourquoi se fixer ici plutôt que là. L’idéal a disparu; avec lui la joie de vivre ici. Plus d’enfant. Tout est parfait, aucune amélioration possible spirituelle. on améliore la machine on la perfectionne afin de perfectionner la vision intérieure des choses. il s’agit d’une dissection d’un cadavre. La peau a disparu, la chair est liquidé morte. la terre est devenue une grande mer sans ile possible. le véhicule corporel n’existe même plus par la disparition du conducteur. Stop. L’esprit a disparu.

        La religion du non être est devenu la non religion de l’être puis fin de partie et attente du retour du roi qui affirmera « je suis mon corps et j’accepte de vivre avec lui de prendre sur moi ses souffrances et de le chérir »

      7. Avatar de Pablo75
        Pablo75

        @ francois2

        Après avoir lu 3 fois votre texte (et 5 fois les 2 dernières lignes) j’ignore toujours ce que vous avez voulu dire.

      8. Avatar de francois2
        francois2

        @ Pablo 75

        effectivement mon langage n’est pas bon. Il renvoit trop souvent à mes lectures et cela ne s’emboite pas toujours parfaitement bien. Je percois parfaitement l’abscent chez Beckett et chez Deleuze. Les machines désirantes.

        je suis persuadé que la religion est la gardien, le protecteur de la spiritualité. Il n’existerait pas de maitre Eckhart sans tout le bagage doctrinaire dominicain. Il n’existe pas de soufis sans société musulmane ni de bouddhiste tibétain sans théologie feminine permettant de faire vivre ses monastères.

        Je crois que le soufis danse en tournant afin d’oublier le corps et entrer dans une sorte de transe permettant d’atteindre le sublime. Mais le soufis accepte le doux amer; il accepte l’amertume de la société, il est une sorte de scarface. Il s’agit de votre poissonnier de quartier et vous n’en saurez rien. Vous qui est espagnol de coeur, il me semble que la religion chrétienne protégeait dans des endroits reclus les mystiques. J’en veux pour preuve Saint jean de la croix et son feu intérieur et saint Thérèse d’Avila.

        Aussi la religion me parait nécessaire à toute communauté afin de protèger la spiritualité personnelle qui doit ne pas être ingrate et en retour protéger la religion. L’un et l’autre.

      9. Avatar de Pablo75
        Pablo75

        @ francois2
        « il me semble que la religion chrétienne protégeait dans des endroits reclus les mystiques. J’en veux pour preuve Saint jean de la croix et son feu intérieur et saint Thérèse d’Avila. »

        Non, c’est exactement le contraire: les religions les condamnent, les emprisonnent et même les liquident. Eckhart a été condamné par le Pape. Ste. Thèrese d’Avila persécutée et assignée à résidence. Son ami St.Jean de la Croix mais aussi Fray Luis de León ou Miguel de Molinos ont été en prison. Giordano Bruno et Marguerite Porete on été brulés vifs. L’un de plus grands mystiques soufis, Hallaj, après 8 ans de prison, a été flagellé, mutilé (pieds et mains coupés), crucifié, décapité et brûlé. Etc, etc, etc.

      10. Avatar de Christian
        Christian

        @ francois2
        Même difficulté pour moi, que celle signalée ci-dessus par Pablo75 (vous lire et vous relire sans parvenir à dégager un sens plausible de votre propos – idem pour un de vos commentaires plus haut).
        Pardonnez-moi, mais j’y vois le symptôme d’une approche uniquement spéculative. La spiritualité est expérience : le discours mental abstrait ne lui convient pas très bien. Et puis je ne saurais trop vous recommander de clarifier la différence entre Transcendance et religion. Vous semblez passez de l’une à l’autre comme on passerait de l’Art à la critique des salles d’exposition…

      11. Avatar de francois2
        francois2

        bonjour Christian.

        Si vous voulez que je clarifie la différence entre transcendance et religion, je ne le pourrais pas car pour moi l’un ne va pas sans l’autre.

        Pour moi, la transcendance est un mouvement actif personnel vers l’Autre, la religion est l’acceptation de l’Autre, la reconnaissance de l’Autre. Si je n’accepte pas l’autre comment puis je être quelqu’un, et qui est ce quelqu’un en mouvement allant vers l’autre? Certes il est possible de dire que je suis cette volonté de mouvement, cette intention. Mais si je nie cette direction vers l’autre il n’existe plus du tout de référent et je deviens immobile, inerte dans le vide, un trou noir absorbant toute lumière extérieure accaparant toute l’energie vitale créatrice, mangeant progressivement toute création extérieurs, dévorant toutes les espoirs personnels, tous les possibles, . Chronos mangeant ses enfants.
        Ici survient Zeus chassant Chronos dans les enfers. Zeus se pose ici et là. Je me pose car je suis. Oh nuit partage toi crie la poète Nelly Sachs. A l’intérieur du trou noir apparaît la lumière, une petite lumière créatrice. Au fond du puit est la vérité. La reconnaissance de cette petite lumière, cet appel extérieur est le début de la sortie du trou noir. Là et uniquement là est le début de la transcendance, la renaissance de l’un par l’autre. Il ne s’agit pas d’une expérience mais d’une vie naissante. Le choix est au fond du trou: je vis ou reste nulle part. Il s’agit de mettre une croix sur le Zéro: l’infinement rien. Je pose cette croix et alors le temps redémarre petit à petit; création personnelle et de l’autre, cote à cote avancent lentement.
        La religiosité est aussi spiritualité de l’autre, de la lumière et non du vide. Il s’agit d’une émergence dans le monde de l’autre: il s’agit d’un fond baptismal. Le religieux est bati non seulement par le vide mais aussi sur la lumière. L’un et l’autre: le silence et la parole.
        Cette réponse est-elle plus claire?
        Ps l’expérience spirituelle me paraît être un mauvais terme. L’expérience me semble être extérieure. Je préfère le terme de vie spirituelle. Il s’agit d’un engagement personnel dans lequel on risque sa vie.

    1. Avatar de Marlowe
      Marlowe

      Bien vu.

    2. Avatar de Christian
      Christian

      @ Rosebud1871
      merci pour ce lien vers cette vidéo-interview de Clémentine Autain

    3. Avatar de Pablo75
      Pablo75

      Purée, heureusement qu’elle est là, notre Madonna du Poncif: sans elle on aurait rien su sur le désir…

      1. Avatar de Rosebud1871
        Rosebud1871

        Je vous le fais pas dire.

      2. Avatar de Pablo75
        Pablo75

        @ Rosebud1871

        Je suis friand de ce genre de réflexions foudroyantes de nos grands politiciens en exercice. À part celle-là de cette stalinienne du sexuellement correct (1), vous en avez d’autres en réserve?
        __________

        (1) En tant que représentante de la mairie de Paris, elle se rend en 2001 aux « Universités d’été euroméditerranéennes des homosexualités », où elle s’inquiète d’une possible discrimination envers les militants bisexuels dans le monde associatif homosexuel : la « biphobie ». Elle prend, en 2003, la défense des lesbiennes contre les tendances « phallocratiques » de certains gays des milieux associatifs. Elle dénonce le risque que le centre d’archives gay-lesbiennes de la mairie de Paris puisse négliger l’ «identité lesbienne ». (Wikipedia)

      3. Avatar de Rosebud1871
        Rosebud1871

        @Pablo75 4 mai 2012 à 10:58
        Le jeu straight/queer n’est pas soluble dans vos références staliniennes.

      4. Avatar de Pablo75
        Pablo75

        @ Rosebud1871

        Traduction en français?

      5. Avatar de Pablo75
        Pablo75

        @ Rosebud1871

        Oui, encore et toujours. J’ai quelques dizaines de dictionnaires mais aucun de Français-Volapuk/Volapuk-Français.

  7. Avatar de Polaire
    Polaire

    Oui, « le désir est l’essence de l’homme » nous avons les mêmes sources, mais que poursuit -il sinon le bonheur ? Reste à savoir si c’est un « désir adéquat », un désir qui permet l’atteinte du but recherché. C’est pourquoi l’économie « idéale » est inséparable de la philosophie (une éthique) Je pense que le désir s’éduque, qu’il y a un art du désir (de vivre) qui conduit au vrai contentement de soi et de la nature.

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