ET LE COMPAGNONNAGE ?, par Jean-Paul Vignal

Billet invité.

La précarisation de l’emploi, qu’on l’appelle flexisécurité ou travail indépendant, est une conséquence logique et inévitable de l’évolution du travail lui-même. Au fur et à mesure que les taches répétitives, qu’elles soient physiques ou intellectuelles, peuvent être assurées par des machines de plus en plus intelligentes et adaptables, les employeurs ont logiquement tendance à faire de l’emploi salarié une variable d’ajustement qui leur permet de s’adapter au mieux aux variations de la demande.

Cette précarisation n’est bien sûr pas un progrès pour ceux qui la subissent. Elle ne peut éventuellement le devenir que lorsqu’elle est assortie de solides dispositifs d’assistance qui permettent à ceux qui sont momentanément exclus de ne pas être aussi exclu de la société en leur garantissant un minimum vital décent (accès a la nourriture, au logement, à la santé, a l’éducation pour leurs enfants, etc.). Le modèle existe déjà sous diverses formes dans des cas très limités, tels que les grands corps de l’État ou, dans un genre moins luxueux, le statut des intermittents du spectacle, ou celui des saisonniers agricoles.

Il me semble toutefois que considérer l’entreprise privée comme la source privilégiée de travail et donc de revenu est très réducteur, et a l’inconvénient majeur d’empêcher d’imaginer les solutions qui pourraient permettre de redonner un véritable pouvoir de négociation aux « travailleurs ». Ajoutée aux ravages de l’optimisation fiscale et sociale au niveau mondial, l’évolution du syndicalisme vers la cogestion presque partout dans le monde, – qu’elle soit légale et officielle ou secrète et officieuse sous forme de corruption, a en effet définitivement modifié le rapport de force entre capital et travail en faveur du capital, et contraint le travail à inventer d’autres outils de négociation.

Le chantage à la consommation, quand il est possible, en est bien un en effet et qui ne doit pas être négligé. Il est bien sûr à double tranchant, car moins de consommation, c’est, comme on le voit tous les jours, nécessairement moins de travail et aussi moins d’impôts pour alimenter les systèmes de répartition. Mais l’essentiel doit venir d’une organisation différente des offreurs de travail.

Une des pistes possibles serait de créer des coopératives de travail temporaires, si possible spécialisées par territoire et par métier. On peut y voir une renaissance douteuse du compagnonnage, mais après tout pourquoi pas ; le compagnonnage, c’était avant tout la garantie d’une formation au travail par le travail, et la garantie d’une solidarité sans faille, qui procurait travail, gîte et couvert à ses membres sur l’ensemble du territoire. De telles organisations, fondées sur la compétence et la solidarité de leurs membres, auraient sans doute une bien meilleure pugnacité et bien davantage d’imagination que des syndicats de plus en plus fossilisés dans l’exercice d’un dialogue responsable avec des employeurs qui n’ont aucun respect pour les conditions de vie de leurs employés.

Une autre piste de réflexion rendue possible par cette rénovation du compagnonnage serait de remplacer quand c’est possible les entreprises par des projets. Une source d’inspiration possible est celui de la construction des Cathédrales, mais les grandes expéditions des XVe et XVIe siècles sont un autre exemple.

Il y avait un maître d’oeuvre, et le plus souvent un architecte ou un capitaine, pour promouvoir le projet et en assurer le financement et la cohérence mais il n’y avait pas de méga-entreprise de génie civil pour la construction, simplement une multitude de sous-traitants contribuant chacun en fonction de leurs talent et de leurs moyens.

Les progrès étonnants des techniques de collecte, de traitement et de diffusion de l’information permettraient sans doute aujourd’hui de redonner vie à cette forme d’organisation du travail, et de lui garantir une souplesse et une efficacité que peut très difficilement atteindre une méga-organisation hiérarchisée. De telles évolutions impliquent toutes que les offreurs de travail ne considèrent plus le lien d’asservissement à l’employeur comme fatal et s’y soumettent passivement.

L’aide de l’État peut être précieuse, en apportant les dispositifs de sécurité suffisamment solides pour permettre une survie décente en cas de problème. Mais elle ne remplacera jamais la volonté individuelle de reprendre en main collectivement sa destinée.

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