LE « SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL » VA-T-IL S’EFFONDRER ?, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Au stade actuel de la crise économique mondiale, le diagnostic officiel se limite au constat de déficits et de dettes publics excessifs dans certains pays. Parallèlement certains pays accumulent des réserves de change par leurs excédents commerciaux. D’autres pays enfin ont un endettement extérieur et intérieur qui les obligent selon les rapports de force politiques à sacrifier les créanciers, les débiteurs ou les citoyens.

Sur le plan strict de l’analyse économique, il n’est pas difficile de découper les problèmes pour conclure que chaque situation est particulière et peut retrouver un équilibre propre par une logique autonome. Il suffit de poser que le politique dérive des réalités économiques : les peuples qui s’appauvrissent se sont montrés rétifs au réel ; les peuples qui s’enrichissent ont su se soumettre au réel.

Dans la vision de l’économie réalité en soi, la monnaie est neutre par définition révélée. Elle est réputée donner le prix objectif de la réalité hors de tout jugement subjectif : l’accumulation de réserves de change, d’excédents commerciaux, d’investissements étrangers, de dépôts monétaires est le triomphe mécanique de la bonne réputation. L’accumulation de dettes, de déficits budgétaires et commerciaux, de sorties de capitaux, d’emprunts en devises et de décroissance est le signe de la damnation économique éternelle.

L’économie réalité en soi est l’hypothèse des experts qui savent et qui ont le pouvoir. Il n’est pas imaginable dans cette vision que la réalité économique soit une construction politique. Cela voudrait dire que l’expertise est une responsabilité et que des erreurs d’appréciation sont possibles. Cela voudrait dire que le système serait instable puisque ceux qui savent pourraient perdre le pouvoir de stabiliser le système.

Par construction de la nature indépendante de toute politique, le système du « réalisme » économique n’a pas d’alternative. Selon qu’on se trouve du bon ou du mauvais coté de la réalité, les réserves de change sont saines ou abusives, les dettes et déficit doivent être remboursées ou indéfiniment accumulés et le marché du travail est efficient ou rigide.

Derrière le discours officiel, le bon et le mauvais coté de la réalité sont arbitrés par le pouvoir d’émission monétaire. Les États-Unis émetteurs de la principale monnaie de règlement des transactions internationales sont systémiquement déficitaires et endettés pour fournir des « actifs » financiers en contrepartie de la demande mondiale de monnaie.

La Chine atelier du monde et principale source de plus-value pour les investissements internationaux est systémiquement dépourvue de droit du travail pour rester compétitive. L’Allemagne allergique au crédit qui pourrait ne pas être remboursé par ses clients captifs est systémiquement obligée de surévaluer l’euro pour réduire son risque de change en proportion de son PIB.

La Commission Européenne qui voudrait supplanter les pouvoirs politiques nationaux dans la régulation économique est systémiquement favorable aux paradis fiscaux pour priver les gouvernements nationaux de ressources. Le Royaume-Uni qui est un marché de capital est systémiquement opposé au contrôle public coûteux de la légalité des transferts de capitaux.

Systémiquement, le système monétaire international n’est pas en crise puisque tout ce qui s’y passe est explicable par les experts infaillibles. Le réseau bancaire mondial montre en temps réel continu par les systèmes de paiement que l’actif mondial égale le passif mondial.

A l’ensemble des dépôts, font face des crédits dont les banques certifient qu’ils ne peuvent pas ne pas être remboursés. A la moindre alerte, les experts des gouvernements réduisent les dépenses publiques et augmentent les impôts pour racheter les crédits qui ne reposeraient pas sur des activités réelles.

A l’ensemble des capitaux financiers correspondent des actifs réels de gens qui travaillent pour produire des richesses. Là encore, les marchés de capitaux sont très efficients : les instruments financiers convertissent toute incertitude sur la rentabilité à terme des actifs en primes d’assurance souscrites sans contrepartie par les budgets publics. Les États soutiennent automatiquement les prix financiers par la défiscalisation et la flexibilisation du marché du travail.

Le FMI, l’OCDE et la Commission Européenne sont juste un peu inquiets du rythme de croissance des dettes publiques et des dettes internationales par rapport à leurs estimations de la croissance mondiale réelle. Quand exactement la courbe de croissance mondiale va-t-elle repasser au-dessus de la courbe de l’endettement ? La variation des parités de change permettra-t-elle d’exporter de la croissance des pays créanciers vers les pays débiteurs ? La flexibilité du marché du travail ne va-t-elle pas déboucher sur plus de chômage, moins de revenus et moins de consommation ?

Derrière leurs interrogations techniques, les experts internationaux doutent de leurs modèles de représentation de la réalité économique. Les découpages conceptuels d’une réalité dépolitisée permettent-ils une vision réelle ? Les contreparties de la masse monétaire mondiale sont-elles vraiment consistantes au prix où elles sont comptabilisées par les marchés financiers ? Les acteurs du système mesurent-ils ce qu’ils promettent dans les bilans en monnaie de leurs entreprises ?

Les représentations économiques en vigueur transforment-elles réellement la réalité mesurée en monnaie ? En fait le FMI a déjà répondu en évoquant le bancor pour remplacer le dollar . Le bancor est le système qui reconstruit les monnaies sur la politique ; il suggère que la finance n’est plus un système mais le choix politique d’une certaine réalité par la monnaie ; il prévient que le système monétaire actuel n’a plus de base économique rationnelle.

Keynes avait proposé le bancor à partir d’une vision politique de l’économie. Il avait proposé une compensation internationale en bancor sur le constat d’une responsabilité politique des parités de change. Il savait d’expérience que la convertibilité des monnaies, donc du crédit, entre des systèmes politiques différents n’était pas économiquement soluble sans loi politique d’équité internationale entre les citoyens et les sociétés. Il avait constaté que les prix du travail, du capital, du crédit et de l’assurance sont l’économie d’un système politique de réalités localisables et bornées.

Le bancor n’a pas été adopté à Bretton Woods : la politique mondiale du crédit a été laissée aux intérêts financiers en dollar et en monnaies « librement » convertibles en dollars. Le crédit et le change international libres rendent les monnaies convertibles dans une réalité définie hors de la délibération politique réelle ; donc hors d’un critère intelligible de stabilité partageable. Le système actuel appartient à ceux qui se font du crédit à eux-mêmes pour acheter ce qu’ils veulent aux prix qu’ils décident entre eux.

Si le bancor est adopté aujourd’hui, il rétablit ipso facto la souveraineté politique sur la réalité économique. Il suffit que quelques états souverains adhèrent à une même chambre de compensation en interdisant la conversion de leur monnaie hors du marché monétaire dont ils sont solidairement garants. Le capital de garantie de la chambre est constituée par la mise en commun de recettes fiscales titrisées.

Les titres de dette publique cotés dans la compensation en bancor sont libellés dans les monnaies actuelles à une parité que les États fixent en toute responsabilité. Le principe du marché public commun de compensation est que la société des États adhérents est garante du remboursement à terme de toute dette en bancor moyennant la compensation de la parité de change. Chaque État et les banques qu’il garantit sont propriétaires des primes de crédit public librement négociables mais exclusivement dans la compensation centrale.

Les mécanismes de compensation actuellement en vigueur sont reproduits à l’identique dans la compensation en bancor. Mais ce ne sont plus les États et les banques qui garantissent leur propre crédit par le capital dont ils manipulent le prix. La garantie du système est publique, étatique et internationale : n’importe quel droit et n’importe quel système politique est coté par la monnaie qu’il émet.

La cotation dans un même marché des monnaies de toutes les classes d’actifs domiciliés dans une juridiction, établit une convertibilité objective de toute réalité économique en unité de compte politique réelle. La règle de propriété applicable est simple : toute monnaie est attachée à une seule souveraineté nationale, multinationale ou locale ; tout crédit est attaché à une seule personne physique couverte par une société et une domiciliation juridique obligatoirement déclarée ; tout titre de capital est attaché à une seule gestion personnelle d’actifs réels déposés dans une juridiction cotée par sa monnaie.

Aucun gouvernement mondial ou autorité extra-nationale n’est nécessaire pour faire fonctionner la chambre de compensation en bancor. Le problème de la coordination politique internationale de la liquidité monétaire n’existe plus dans l’espace numérique mondial. Le bancor doit rester purement numérique : son prix est alors exclusivement le prix immatériel de la prime de crédit de la société des États souscripteurs de la prime de change du bancor dans les monnaies qu’ils convertissent exclusivement par le marché central commun.

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