L’ÉGYPTE N’EST PAS L’ALGÉRIE, par Cédric Mas

Billet invité.

L’intuition de Paul et l’analyse de Jeanne permettent de se faire une idée complète de la situation égyptienne.

Après avoir mis fin à plusieurs décennies de dictature morbide, l’Egypte voit ainsi échouer dans le sang sa première expérience démocratique et se trouve plongée depuis le début de l’année 2013 dans une guerre civile (les événements au Caire n’étant que l’exportation d’une violence armée déjà étendue à une grande partie du territoire et notamment le Sinaï).

Les Frères musulmans (parti de la justice et de la liberté) disposaient depuis les élections présidentielles (2012) et législatives de (2011 confirmée en 2012) de la majorité relative (47 % des suffrages avec 32 % d’abstention). Ils ont gouverné (mal) et surtout ils se sont attachés à modifier la constitution provisoire établie par le Conseil supérieur des forces armées (qui exerçait le pouvoir depuis le départ de Moubarak à titre provisoire).

Or, cette constitution provisoire avait été ratifiée par referendum !

En promulguant d’autorité en décembre 2012 une nouvelle constitution islamisée, les Frères musulmans a perdu la légitimité démocratique, et a fini par perdre le pouvoir suite à un coup d’état militaire réalisé avec l’assentiment de l’opinion publique.

Face à eux se trouve un gouvernement provisoire qui n’a aucune légitimité mais qui s’est engagé à organiser des élections d’ici 9 mois.

La confrontation est d’autant plus inévitable que d’un côté les Frères musulmans refusent de reconnaître cette perte de légitimité et recherchent la confrontation armée et l’escalade, et que de l’autre, les services de sécurité liés pour partie à l’ancien régime en profitent pour se venger.

Le gouvernement provisoire égyptien a donc le choix entre :

–       lancer une vaste répression, et plonger le pays dans une guerre civile ;

–       Organiser immédiatement de nouvelles élections d’une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution qui sera ensuite ratifiée par referendum.

Dans le premier cas, l’armée accaparera le pouvoir au prétexte de la menace islamiste, comme en Algérie, et avec la guerre civile se donnera une légitimité par la peur comme seul rempart contre la menace islamiste qu’elle alimente par une répression inefficace. C’est ce que nous appellerons le « syndrome algérien », encore trop étudié.

Le cycle de répression qui a commencé hier, avec l’état d’urgence, sera alors l’enclenchement d’un processus de violences que l’on ne maîtrise plus et qui ne s’arrêtera que de deux façons : par l’implication d’un tiers étrangers qui privera l’Egypte de sa souveraineté, ou par l’épuisement général (ce qui suppose en général un changement de génération).

C’est justement pour éviter d’enclencher cette escalade que des élections organisées par exemple en septembre seraient judicieuses.

Le retour à la légitimité démocratique est urgent.

Il aura l’avantage de proposer au peuple égyptien une sortie de la crise « par le haut », privant d’initiative ceux des deux camps qui parient sur la plongée dans la guerre civile.

Les Frères musulmans y participeront-ils ? Cela fera débat et s’il est certain qu’ils tenteront de troubler par des actions violentes le processus électoral, il est peu probable qu’ils se privent d’une place dans le jeu politique à venir.

Des élections sont-elles organisables dans un contexte de guerre civile ? oui même si leur résultat sera imparfait, dès lors que la violence est contenue pendant les opérations de vote. Les pays occidentaux disposent aujourd’hui d’un savoir-faire en la matière, qui même s’il aboutit à des résultats critiquables, restent la meilleure réponse à ceux qui préféreraient organiser des élections une fois la paix revenue, argument légitimant les pires répressions.

Et surtout, l’organisation d’une campagne électorale servira d’alternative à la violence, et délégitimera ceux qui font le choix de la lutte armée. L’exemple récent du Mali est éloquent, surtout lorsque les populations désirent réellement la paix et la démocratie.

Cela se fera-t-il ?

Il est à craindre que non, la démission de Mr El Baradeï est un symptôme des oppositions au sein même du pouvoir provisoire.

Il reste qu’en faisant le pari du « syndrome algérien », certains dirigeants égyptiens se trompent : il n’existe pas en Egypte de complexe militaro-industriel fort pour lutter sur le long terme contre des maquis islamiques, et le risque est grand que la vallée du Nil devienne un nouveau terrain d’affrontement des puissances régionales, déjà très présentes : Qatar, Arabie Saoudite, Israël, Iran…

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