L’impossible naissance de la démocratie en Égypte interroge aussi le futur de la démocratie, par Michel Leis

Billet invité.

Il y quelques semaines, j’écrivais dans un billet sur les printemps arabes : « une convergence généralisée vers un futur à l’Occidentale reste la représentation dominante. C’est un prisme qui tend à déformer la perception et l’analyse que nous faisons du flot d’images qui nous parviennent, donnant des points de repère aussi nombreux qu’erronés […] Il est donc demandé au Monde musulman de s’inscrire directement dans une logique qui aura quand même pris plusieurs siècles pour s’établir en Occident. »

Ce qui gêne notre bonne conscience, c’est de voir en Égypte un processus démocratique amener au pouvoir un parti dont les valeurs n’ont rien de démocratique ou d’humaniste. Pire encore, après un an d’exercice du pouvoir où comme le dit Jeanne Favret-Saada, les Frères musulmans ont « poussé pour obtenir la Constitution qui leur conviendrait, placer leurs affidés à tous les postes de responsabilité », ceux-ci n’ont pas perdu leur soutien populaire, l’ampleur des manifestations en faveur du président Morsi est là pour nous le rappeler.

L’Égypte qui n’a pas de traditions démocratiques illustre par l’absurde une situation où l’établissement de rapports de force devient la condition sine qua non pour accéder et exercer le pouvoir, au-delà d’un processus démocratique qui n’est le constat que d’une situation d’affrontement, bloc contre bloc. Pire encore, il n’est pas impossible que de nouvelles élections libres aboutissent à un résultat similaire aux précédentes élections compte tenu de la sociologie du pays. La violence de la répression vise à changer la nature du rapport de force né des urnes, c’est finalement un objectif similaire à celui poursuivi par les Frères musulmans quand ils ont modifié la constitution et pris en main tous les leviers de commande. Dans cette situation bloc contre bloc, la prise de pouvoir par l’un ou l’autre des partis se veut durable, indépendamment des processus électoraux.

On aurait tort de penser que cette situation ne concerne que des pays sans traditions démocratiques. L’épuisement de la démocratie en Europe avec des partis de pouvoir reconduisant les mêmes politiques pourrait un jour conduire à ce type de situation bloc contre bloc. Au cas où l’extrême-droite arriverait au pouvoir par des voies démocratiques, si des foules descendent dans la rue pour combattre des mesures portant atteinte aux libertés, on peut s’attendre à voir d’autres foules (représentantes auto-proclamées du pays réel suivant une rhétorique chère à l’extrême-droite) descendre dans la rue pour défendre ces mêmes mesures. Entre radicalisation des positions et expression brute des rapports de force, l’impossible naissance de la démocratie en Égypte interroge aussi le futur de la démocratie.

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