Réflexions sur la démocratie, suite, par ClaudeL

Billet invité.

Les mots, parfois, censés préciser les choses, apportent du flou, et brouillent le discours. Involontairement, ou volontairement. Or Albert Camus l’a fort bien dit « Mal nommer les choses… »

Nous sommes en république. La Ve, depuis 1958. Le chef d’État est élu, et depuis 1962, au suffrage universel direct, ce qui fut considéré comme un progrès. Nous avons une Constitution qui fixe l’organisation et le fonctionnement de l’État.

Quel problème se pose au moment de la rédaction d’une constitution ? Garantir la totale souveraineté du peuple au risque de paralyser l’action de ses représentants, ou faciliter l’action de ses représentants au risque d’une confiscation abusive du pouvoir. L’enjeu démocratique se trouve au cœur de cet équilibre impossible. C’est pourquoi, si on peut clairement parler de république, parler de démocratie reste beaucoup plus ambigu.

Au moment de la chute de l’ancien régime, d’un côté les privilèges sont abolis, de l’autre, la voix du peuple et ses souffrances sont prises en considération. Les sujets du roi ou plus concrètement les paroissiens ordinaires, comme les ci-devant, sont maintenant des citoyens. Et la notion d’égalité donne lieu à des réflexions, des discussions enflammées.

On retrouve cette confrontation dans les différents projets d’instruction publique, dont les deux plus connus sont celui de Condorcet et celui de Lepeletier de Saint-Fargeau. Celui de Condorcet favorisait l’émergence d’une élite, qui pourrait mettre ses compétences au service de la nation. Le risque étant la perpétuation d’inégalités fondées sur les savoirs. Et l’élite ayant toujours la tentation de confisquer le pouvoir à son profit pour former une oligarchie. C’est ce projet qui fut retenu.

Le projet de Lepeletier de Saint-Fargeau, défendu par Robespierre, était beaucoup plus égalitaire, voire égalitariste. Pour résumer, il s’agissait d’empêcher les riches de s’instruire plus vite que les pauvres. Peut-on reprocher à Sieyès de ne pas souhaiter la démocratie dans un pays où le peuple, à l’époque, est fort peu éduqué, voire totalement analphabète ? Au moins y eut-il la volonté largement partagée de l’instruire. Le statut de citoyen évolua, depuis la distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs, avec le suffrage censitaire, jusqu’au droit de vote des femmes en 1944, et le suffrage (réellement) universel.

On entend tout le temps : « Nous sommes dans un pays libre. Nous pouvons voter, critiquer, manifester. C’est ça, la démocratie ». Liberté et démocratie, de même que république et démocratie ne sont pas synonymes. Il faut le reconnaître, nous jouissons d’une certaine liberté, précieuse, qu’il faut préserver. Mais, voter pour Sarkozy ou Hollande n’est pas l’illustration de ce que j’appellerais une vraie liberté de choix. D’autre part, il faut être conscient du fait que laisser au peuple la liberté de critiquer et de manifester n’est que la forme la plus sophistiquée et la plus efficace de l’exercice du pouvoir.

La droite a semblé découvrir avec une certaine frustration, à l’occasion du mariage pour tous, que les manifestations, sauf à prendre l’air et à alimenter le journal de 20 h, ne servent pas à grand-chose.

Alors, que retenir de tout cela ? République, éducation, évolution du statut de citoyen, acquisition de libertés certaines. Même le tirage au sort qui effraie tant, existe, avec les jurés d’assises. Peut-être que pour nous, la république a été la première étape qui donne un cadre à l’émergence d’un processus démocratique. Alors, plutôt que de plaquer sur ces acquis le mot démocratie, un peu artificiellement, ce qui clôt le débat, ne serait-il pas plus intéressant d’imaginer celle-ci comme un but théorique, idéal, une dynamique de progrès ? Comme on dit dans les bons « systèmes qualité », un processus d’amélioration continue. A l’aube de bouleversements radicaux, ne peut-on pas, avec le reste, mettre ça sur la table ?

Pour finir, je propose à la réflexion un sujet fort polémique, l’élection du président de la république au suffrage universel, pilier de notre « démocratie ». En ces périodes de vaches maigres, est-il supportable d’assister à cette débauche de moyens financiers que cette élection rend nécessaire, obligeant les candidats à bafouer la loi pour accumuler un trésor de guerre ? Je ne vais pas ici dérouler la longue liste des scandales passés et en cours dans la course aux affichages tous azimuts et aux meetings géants ayant pour but de nous faire voter pour le plus riche c’est-à-dire, le plus tricheur. Est-ce digne de la belle idée de démocratie ?

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