LE RAPPORT DE FORCE QUI SE CONSTRUIT, par François Leclerc

Billet invité.

Le nez rivé sur la Grèce, on en viendrait à négliger l’accentuation en janvier de la poussée déflationniste annoncée vendredi dernier par Eurostat. Ce n’est pas le cas de Vitor Constâncio, le vice-président de la BCE, qui la considère comme « très risquée ». Prenant le contre-pied de la politique d’austérité budgétaire européenne, il en a tiré samedi la conclusion suivante devant son auditoire de la Cambridge Union : la zone euro devait « élever la demande globale » pour échapper au risque du « piège de la dette ». Après avoir engagé un programme d’achat de titres de plus de mille milliards d’euros, en se contentant d’y mettre les formes vis-à-vis du gouvernement allemand qui y était opposé, la BCE continue de marquer sa différence. C’est dans ce contexte global qu’il va falloir suivre les péripéties à venir des négociations avec la Grèce.

De son côté, Alexis Tsipras a cherché à calmer le jeu, y compris en téléphonant à Mario Draghi pour l’assurer de ses bonnes intentions. Dans un communiqué, il a assuré « ne pas rechercher le conflit » et a demandé « du temps pour respirer et mettre au point notre propre programme de relance à moyen terme, qui prendra en compte des objectifs d’excédent budgétaire primaire, et comprendra des réformes radicales pour combattre l’évasion fiscale, la corruption et le clientélisme ». Précisant que cela « ne signifie en rien que nous ne respecterons pas nos engagements envers la Banque centrale européenne ou le Fonds monétaire international » (les détenteurs des créances à rembourser dans les prochains mois).

Faire accepter une politique alternative à celle que préconisait la Troïka va-t-il être acceptable pour ceux qui n’avaient que l’intention de lâcher un peu de lest ? La mise en cause de la politique mise en place par cette dernière est dure à avaler pour certains, qui n’acceptent pas de voir la barre placée aussi haut par un gouvernement Syriza bénéficiant de l’initiative. En évoquant un possible « chantage », Wolfgang Schäuble a bien traduit ce qu’ils ressentent, mais comment échapper à celui-ci sans prendre le risque que la situation leur échappe des mains ? La tentation va être grande d’étrangler le gouvernement grec en raison de l’exemple qui serait donné s’il marquait des points substantiels, mais comment éviter alors un défaut aux rebondissements imprévus ?

Le gouvernement grec joue avec le feu, entend-on dire, et devrait y mettre du sien alors qu’il multiplie les mesures et les déclarations qui sont ressenties comme autant de provocations dans un petit monde dominé par le conformisme régnant. Peut-il procéder autrement s’il veut un résultat ? Peut-on renverser les responsabilités ? Parlant de celles-ci, les tournées européennes engagées par le nouveau premier ministre et son ministre des finances, Yanis Varoufakis, vont permettre de mieux apprécier le rapport de force et les intentions de François Hollande et de Matteo Renzi, qui vont devoir prendre leurs responsabilités.

Sur un autre registre, un fait nouveau concourant à celui-ci est intervenu samedi avec la manifestation à Madrid de Podemos. Le pari a été gagné et une immense foule estimée à plus de 100.000 personnes s’est entassée sur la Puerta del Sol en criant « podemos !» (nous pouvons). Reprenant une formule de Pablo Iglesias, le leader du mouvement, les manifestants venus de toute l’Espagne ont scandé « Tic tac, tic tac, c’est l’heure du changement ! », renouant avec les grandes mobilisations des Indignés.

Dans la foule, symboliquement, le drapeau de la République espagnole côtoyait celui de la Grèce. En dépit du temps qui passe et des générations qui se succèdent, les peuples ont une histoire qui ne s’efface pas si facilement de la mémoire collective : les Grecs n’ont pas oublié leur farouche résistance armée aux envahisseurs du troisième Reich, et le souvenir des républicains combattants plane toujours dans la société espagnole. Cela aussi doit être pris en compte.

Des milliers de manifestants étaient le même jour dans les rues de Dublin et d’autres villes irlandaises afin de plus prosaïquement protester contre la fin de l’accès gratuit à l’eau, jusqu’alors financé sur le budget de l’État par leurs impôts. L’Irlande est sortie de son plan de sauvetage lestée d’une énorme dette publique qu’il faut désormais rembourser, avec comme origine le renflouement des banques nationales afin qu’elles puissent rembourser les banques européennes créancières. Cela non plus n’est pas occulté, expliquant le soutien du leader du Sinn Féin Gerry Adams – dans l’opposition mais ayant le vent en poupe – au projet de conférence européenne sur la dette de Syriza. L’Irlande pourrait rejoindre le camp des pays allant connaître un bouleversement électoral après des décennies de domination du Fine Gael et du Fianna Fáil.

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