Billet invité.
L’équipe de Syriza n’a pas fini de prendre à contrepied les dirigeants européens en ne satisfaisant pas aux rituels auxquels ils sont accoutumés ainsi qu’en refusant de se glisser dans leur moule. Après avoir refusé de satisfaire à un examen de passage devant la Troïka doté de 7 milliards d’euros, lui opposant la négociation d’un contrat sur de toutes autres bases, Yanis Varoufakis en a dévoilé hier les grandes lignes.
Le plan consisterait à émettre deux types de nouveaux titres en échange des créances actuelles. Les premiers titres seraient destinés aux pays européens créanciers, et indexés sur la croissance nominale, tandis que la BCE recevrait des titres « perpétuels » dont seuls les intérêts seraient payés, calculés suivant une formule qu’il n’a pas donnée. Le principe de titres perpétuels n’est pas une nouveauté mais leur dernière émission remonte aux lendemains de la seconde guerre mondiale, par le Royaume Uni. Les grandes entreprises en émettent pour leur part régulièrement sur le marché.
La proposition s’appuie sur une constatation. Dans la pratique, et sans avoir ce statut, les titres que détiennent actuellement les banques centrales ne sont ils pas destinés à rester très longtemps à leur bilan, à défaut que ce soit éternellement ? Quand et dans quelles conditions les banques centrales pourront-elles en effet sortir de leur politique monétaire « non conventionnelle » et réduire la taille de leur bilan en procédant à des « reverse repurchase agreement » (les ventes des titres qu’elles ont acquis) ? C’est un sujet qui n’est plus jamais évoqué aux Etats-Unis, où il avait été abordé par Ben Bernanke sous sa présidence de la Fed, et jamais évoqué dans les autres pays, comme s’il était dorénavant acquis que ces titres seraient longtemps conservés.
Accepter des titres perpétuels, qui peuvent toujours se négocier, reviendrait à franchir un pas dans un monde financier où malgré les apparences tout ne fonctionne plus comme avant. La taille du bilan des banques centrales en est une des illustrations : celui de la Banque du Japon représente déjà 62% du PIB du pays, et ce ratio est respectivement de 20 et de 27% pour la Fed et la Banque d’Angleterre. Avec son opération d’un millier de milliards d’euros de titres, la BCE va s’inscrire dans la même trajectoire. De fait, les banques centrales sont déjà gavées de la dette de leur pays. Mais cela laisse entière la question : comment la BCE pourrait-elle accepter aujourd’hui, au nom de sa mission de gardien de l’ordre monétaire, l’échange de titres que propose Yanis Varoufakis ? Le pas à franchir est très grand, mais il pourrait être recherché un compromis sous la forme d’un moratoire et d’une calendrier de remboursement très allongé.
Yanis Varoufakis tente de trouver une issue depuis Londres et cela n’est pas innocent, cherchant hors de la zone euro des appuis que le gouvernement Syriza ne pense pas pouvoir trouver en son sein. C’est donc en désespoir de cause qu’il a abattu ses cartes, afin d’améliorer un rapport de force qui n’est pas en sa faveur, seul en Europe parmi les équipes au pouvoir. Si son plan épargne les détenteurs privés de la dette, ainsi que le FMI dont il n’est pas parlé, il va rencontrer un second écueil, après celui de la BCE. Si les gouvernements européens acceptaient de lier le remboursement de la dette à un excédent budgétaire primaire, nul doute qu’ils y mettraient des conditions et que la discussion porterait alors sur les moyens de faire apparaître un tel excédent. Le gouvernement Syriza serait alors conduit à revenir pour partie sur son programme et ses engagements de campagne. C’est la logique de la proposition de Yanis Varoufakis, qu’il a lui-même reconnue auprès du Financial Times. D’après le journal Kathimerini, celle-ci viserait à également obtenir un déplafonnement à hauteur de 25 milliards d’euros des aides de liquidités d’urgence, actuellement fixé à 15 milliards d’euros, et prétendrait continuer à recevoir les profits réalisés par les banques de l’Eurosystème sur les obligations grecques qu’elles détiennent. Ce plan n’est pas une improvisation du moment, il est construit.
Dans ce nouveau contexte, les rendez-vous bilatéraux vont se poursuivre cette semaine au niveau chef d’État et de gouvernement, ainsi qu’avec la Commission, en attendant un final à Berlin. Matteo Renzi a rappelé lundi vouloir « déplacer la discussion sur la politique économique, de l’austérité et de la rigueur vers la croissance et l’investissement » et que « nous voulons la changer en Europe, mais pas seulement pour la Grèce ou pour un autre pays ». Tout à sa volonté d’escamoter le point dur de la réduction de la dette avec sa proposition de « dette perpétuelle », le ministre grec des finances a choisi de se précipiter pour que la discussion s’engage sur la base de ses propositions, au risque de se retrouver isolé après avoir marqué des points.
Une réunion de l’Eurogroupe se dessine pour vendredi. Gabriel Sakellaridis, le porte-parole du gouvernement grec a relativisé ce matin les propos du ministre des finances, expliquant qu’il y a « plusieurs moyens » pour effacer la dette et que sa proposition en faisait partie. La négociation continue.
Merci Garo, très intéressante Naomie Klein (comme d’hab) Je note cette réflexion « les mots se sont dissociés du langages » (vers…