Crash, par Jacqueline Hafidi

Billet invité.

Enfermée consentante, avec cet Andréas, dans l’avion dont il a pris les commandes et qu’il dirige seul vers l’anéantissement, je vis en rêve, et vis et revis en boucle ces quelques minutes de descente infernale sans ressentir aucune émotion pour les passagers de l’autre côté de la porte blindée.

Que m’arrive-t-il ? Pourquoi cette invraisemblable jouissance de l’irrémédiable programmé ? Que se passe-t-il pour nous deux dans ce fantasme récurrent ?

Bien entendu les journalistes, les philosophes, les écrivains, les cinéastes vont se gaver, se gavent de l’événement et des détresses qu’il a enfantées, vont décortiquer les restes, morceaux choisis de chairs et d’os qu’Andréas le fragile, obstinément affamé de reconnaissance a décidé par sa mort illustre de leur offrir.

Cadenassée dans ma propre et dérisoire cabine terrestre en chute libre, j’essaie de me piloter vers un morceau de preuve qui nous absoudrait tous les deux de la responsabilité de nous retirer, avec fracas, avec dégâts, du monde des humains, pour de bon et pour de faux.

De quel monde s’agit-il, qu’Andréas a amputé de cent cinquante personnes? De ce monde en décomposition dont je racle les miettes pour nourrir mes replis et mes fuites, et dont Andréas a fait une métaphore ?

?Me dépêcher d’écrire, au mitan de cette descente quasi-extatique dans le vide bientôt cerné de débris, tandis que les autres passagers, comme sur la piste de danse du Titanic, heureux peut-être, inconscients, frôlent la vie qui va s’engloutir, sans en aspirer le suc qu’Andréas et moi savourons. Me dépêcher de laisser une trace, ma trace dans un étroit interstice du monde.

Les avertissements fragiles des penseurs de tous bords ont beau nous lancer des alertes, nous continuons de piller et dénaturer une planète qui va s’épuisant à petits coups, et se révèle sporadiquement, à coups de tsunami, d’avalanches et d’inondations, capable de révoltes. Et moi, de quelle révolte je suis capable pour ralentir cette insidieuse chute dont je suis, contre mon gré, l’un des modestes auteurs ?

Jusqu’ici tout va bien, me dis-je, élaborant des solutions mirifiques et mitées pour ralentir la chute. Coluche disait: « si on n’achète pas, on ne vend pas ». Pourrait-on créer un Parti des Consommateurs et de leur Formation et nous lancer dans la politique à grande et vertueuse échelle ? La vertu peut-elle envisager les ajustements nécessaires pour inciter les citoyens et les bourgeois mélangés à modérer ou même à rogner leurs intérêts immédiats qu’ils soient modestes ou pharaoniques dans l’intérêt de notre espèce ?

J’arrête là mon élucubration. Il me faut affiner mes pratiques de salubrité, y compris dans la consommation du langage Je quitte Andréas. La cité m’attend, avec ses mendiants, ses leurres, ses sourires, ses détritus, ses cynismes et ses ensoleillements.

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