Référendum grec et retour à la rationalité du bien commun, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Dans le débat que l’annonce du référendum grec a mis sur la place publique européenne, les positions apparaissent inconciliables non parce que les uns et les autres ont des buts antagoniques mais parce que chacun voit la réalité commune avec ses seules lunettes. Il est évident, naturel et logique que la Grèce appartiennent à la communauté de l’euro. Mais il faut pour que l’évidence se réalise se mettre d’accord sur le fonctionnement de l’euro et sur l’expression des finalités de cette monnaie multinationale.

Toutes les causes du surendettement public grec étaient opérantes et avérées avant la création de la zone euro. L’échec irrémédiable de l’euro actuel en Grèce vient de ce que la monnaie unique favorise la corruption de la puissance publique. L’absence de frontières financières et de contrôle juridique impartial de la circulation du capital promeut l’évasion fiscale. L’inexistence d’un État propre à la zone transforme les États nationaux en intérêts particuliers concurrents aux dépens d’un intérêt général européen qui n’est pas concrètement mesurable.

La zone euro est de fait un non-État de droit dans un non-système financier. La responsabilité financière des États n’est pas objectivement délimitée : les équilibres de finances publiques n’obéissent à aucune loi vérifiable et contrôlable par les citoyens contribuables. L’évaluation du prix juridique des crédits bancaires est laissée au seul marché : aucune autorité publique dépositaire de l’intérêt général ne peut fixer de limite à la croissance du crédit par la solvabilité économique objective des personnes morales. L’intérêt des personnes physiques n’est pas représenté dans la discussion de la politique monétaire de la BCE : les institutions politiques publiques d’assurance universelle des personnes ne sont pas garanties.

Les intérêts financiers spéculent librement en bien ou en mal avec l’argent des retraites, de la santé, de la formation professionnelle, des infrastructures publiques communes. L’espace monétaire européen offre aux oligarchies grecques de pratiquer ouvertement et visiblement ce que les autres oligarchies européennes se sont donné la liberté de faire dans le secret institutionnalisé des transactions privées invisibles à l’intérêt des citoyens. C’est pourquoi la crise de l’euro n’est plus vraiment technique et financière mais politique et civilisationnelle.

La matière du référendum grec est en fait celle des motifs d’existence de l’union politique des Européens. En substance, l’Union a-t-elle pour but d’éliminer le risque de nuisance de la démocratie sur l’économie du profit en capital ? Ou bien a-t-elle pour fonction d’organiser à l’échelle de l’Europe la délibération des lois qui mettent le capital au service d’un intérêt général aux biens de tous ?

Ces questions n’ont jamais été posées intelligiblement aux citoyens nationaux européens. Au centre de l’Europe, le nationalisme a posé la nation comme instrument de guerre et de conquête. A la périphérie du centre, le libéralisme a posé la liberté d’entreprendre comme un contournement libre de la démocratie et des obligations du vivre ensemble. Pour les Allemands, les règles de la démocratie en Allemagne sont bien suffisantes pour réguler toute l’économie de la zone euro comme s’il n’y avait pas d’intérêts nationaux distincts de ceux de l’Allemagne.

Pour les élites économiques françaises, l’euro fait advenir un ordre supérieur indiscutable au-dessus de la nation française qui instaure la délibération du peuple sur les raisons du vivre ensemble. En Allemagne, les lois ne sont pas discutables, seulement leur application selon une interprétation germanique par définition universellement bonne. En France, les élites se prétendent mieux informées que n’importe quel peuple de ce que doit être la discussion de la loi et son application à tous.

Les élites socio-ordo-libérales franco-allemandes alliées dans les institutions européennes à la fois supranationales et supradémocratiques reconnaissent qu’un État fédéral est techniquement nécessaire pour contrôler la monnaie unique. Mais la causalité de l’économie dans la démocratie n’est pas reconnue, ni la nécessité de gager la monnaie par un bien véritablement et réellement commun. La pensée unique franco-allemande convient que la monnaie doit rester neutre pour la politique des premiers et pour la rentabilité économique des seconds.

Or la mise en défaut de l’euro par la Grèce a justement pour origine la prédation des oligarchies supra-nationales sur l’État grec et l’impossible régulation de l’économie domestique des Grecs dans une monnaie déconnectée de la nationalité. Quand le gouvernement Syriza proclame la réalité des déséquilibres budgétaires de l’État de droit du peuple grec dans la zone euro, il est impossible d’en vérifier la mesure. La fiscalité grecque est ingérable dans le régime d’anomie du capital en euro. La dépense publique grecque est non maitrisable par l’état du droit grec comptabilisé en euro. La parité de change de un euro grec pour un euro non grec n’est pas garantie par une fiscalité européenne mutuelle.

Sans un État de souveraineté du droit en euro pour assurer financièrement le fragile État grec et pour réguler politiquement le système financier en euro, l’alternative imposée aux Grecs est la disparition d’un vivre ensemble national légitime et organisé ; ou le flottement anarchique de la parité monétaire grecque par rapport à l’euro. Les deux termes de l’alternative conduisent à l’anéantissement de la justice en droit positif européen et à l’aggravation du délabrement financier des États et des banques de la zone euro.

Le non des électeurs grecs au référendum de dimanche prochain est le seul chemin qui puisse conduire à une reconstruction immédiate de l’unité politique et économique de l’espace financier de la démocratie européenne. Le Président Hollande a pour le coup totalement assumé son rôle en rappelant que la résolution du défaut grec de l’euro ne saurait attendre une quelconque élection ou consultation référendaire. Parce qu’il n’y a pas de Droit ni de démocratie sans régulation des dettes en monnaie.

La véritable alternative d’un système monétaire viable est dans le choix des citoyens d’Europe entre l’option de l’État confédéral spécialisé pour réguler la fiscalité, les banques et le marché financier ; et l’option d’une unité seulement économique par une monnaie commune. Il est désormais évident que l’excès général et mondial des dettes publiques et privées, nationales et hors sol, ne peut pas être épongé autrement que par la fiscalité moyennant un retour de la finance dans l’État de droit égal pour tous. La fiscalité est le seul moyen d’une répartition par la légalité démocratique des charges de l’intérêt général.

Entre plusieurs États souverains qui n’entendent pas se solidariser par des recettes fiscales communes et des dépenses mutualisées, la seule manière de protéger les États pauvres ou pacifiques contre la prédation impériale des riches, est la monnaie commune. La monnaie commune qui n’est contrôlée par aucun intérêt particulier est le moyen d’une comptabilité impartiale de la liquidité d’une chambre de compensation des parités de change et des primes de change. Une prime de change est une assurance de crédit international : pour fonctionner justement et économiquement, elle ne peut pas être gérée par un intermédiaire financier privé mais exclusivement public et interétatique.

La faillite de l’euro en Grèce est la faillite du système financier mondial construit sur l’appropriation privée des paiements internationaux et des risques de change. Les grands États et opérateurs financiers privés sont associés dans la captation du capital international public de stabilité des changes et du crédit par la réalité juridique des échanges économiques. Même dans l’évidence de l’effondrement général en cours, le pseudo libre échange ne produit aucun intérêt objectif à l’équité des échanges ni à la proportionnalisation des dettes à la production vraie.

Le défaut grec n’est jamais que la matérialisation négative des profits bancaires et industriels gréco-franco-allemands dans le régime européen d’incapacitation des États nationaux par absence de souveraineté européenne institutionnelle et démocratique. Si l’Allemagne et la France continuent leur jeu de neutralisation réciproque d’une vraie responsabilité politique communautaire, l’euro s’effondrera comme les subprimes au bénéfice du pouvoir impérial de la fédération du dollar pilotée par la City de Londres.

La seule issue bénéfique possible du chaos actuel est de nature politique. Soit la zone euro se transforme en système de change communautaire concerté où la réduction des dettes résultera uniquement de la dévaluation de l’euro grec et de la réévaluation de l’euro allemand. Soit la zone euro franchit l’étape d’une véritable démocratie confédérale où la charge de l’inéluctable ajustement de la finance au droit et à l’économie, sera partagée entre des citoyens souverains par des États responsables.

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