De quoi le châtiment est-il le nom ?, par Zébu

Billet invité

Décapité, puis mis en croix afin que son corps pourrisse aux yeux de tous : le régime saoudien aurait pu tout aussi bien imposer de l’écorcher vif, puis de l’empaler et enfin de l’écarteler, avant que d’exposer, tels des quartiers de viande humaine à l’étal, les morceaux du corps de Ali Mohamed al-Nimr sur une croix.

Loué soit donc leur mansuétude infinie…

Depuis Foucault et son magistral « Surveiller et punir », on sait que l’exposition publique des châtiments à travers les punitions corporels participe d’une logique de pouvoir qui a tout à voir avec la nature des régimes politiques et sociaux, celle de l’Ancien Régime et du pouvoir absolutiste, qui fut mise au placard si l’on peut dire par l’enfermement des corps, justement, comme affirmation d’une nouvelle logique de pouvoir, sur les corps comme sur la société.

De toute évidence, l’Arabie Saoudite et ses dirigeants n’ont pas lu Foucault, ou alors uniquement la première partie. Et la logique d’appel à la mansuétude (la mort par des coups de fouets ? le décollement, seulement ? et pourquoi pas, soyons fous, la commutation de la peine en emprisonnement à vie ?) qui émerge du monde entier participe pleinement de cette représentation d’un pouvoir absolu, seul propriétaire de la grâce, sur les corps et la société, puisqu’il ne saurait revendiquer l’hérésie d’un pouvoir sur les âmes qui n’appartient qu’à Allah.

Le crime, de toute évidence, est maximal : il n’y a de pouvoir que le pouvoir des Saoud en Arabie. Le contester, c’est se livrer au crime de lèse-majesté, une ignominie pour laquelle le châtiment se doit d’être exemplaire : public et devant marquer les esprits. On dira que c’est un message envoyé directement d’une part aux chiites et à travers eux à l’Iran, qui a l’outrecuidance de revenir dans la partie en cours du leadership sur le Moyen-Orient depuis que ces occidentaux ont eu le malheur de contractualiser avec les Iraniens, et d’autre part à Daech, dans la capacité à dépasser la sauvagerie.

On oublie surtout que le pouvoir wahhabite est quelque peu fragilisé ces derniers temps, depuis la succession à un roi Abdallah décédé en janvier 2015 qui régnait sur le pays depuis 1995 de facto et qui avait succédé à son frère Fahd qui régnait depuis 1982, assurant ainsi à l’Arabie Saoudite une longue stabilité nécessaire à l’établissement de la position de force du pays dans la Région, s’appuyant sur sa politique énergétique, ses pétro-dollars et son containement jusqu’alors réussi de l’Iran chiite.

Les attentats terroristes répétés (revendiqués par Daech notamment, tel un Golem djihadiste) et la contestation chiite au sein même du pays, l’intervention armée au Yémen mais aussi la prise de distance calculée des États-Unis avec un pays considéré comme ayant un lien direct ou indirect avec le financement de Daech et les organisations djihadistes en Irak, une prise de distance qui a fini par produire le retour d’un Iran honni et finalement conforté dans sa stratégie nucléaire et régionale, sans oublier la crise pétrolière en cours qui a acté la fin de la prétention du pouvoir saoudien à définir les prix mondiaux du pétrole face à l’émergence du pétrole de schiste américain, tout ceci contribue à radicaliser le positionnement d’un royaume en proie à une crise existentielle sans précédent.

Contestée dans la radicalité religieuse parmi les sunnites par Daech, contestée dans son hégémonie régionale par son rival chiite l’Iran et son rival sunnite le Qatar, contestée dans son économie dont elle tire la puissance par une dette qui croit et une rente pétrolière en forte diminution, contestée par des revendications même minimes des femmes au sein d’une société ultra-patriarcale, dépendante de l’immigration pour faire face au vieillissement accéléré de sa population, l’Arabie Saoudite est le prototype même d’un régime ancien et usé de pouvoir politique qui agonise sous les coups conjoints de la modernité et de la radicalité.

Il y aurait là des enseignements pour un Occident, s’il n’était pas si lobotomisé par ses excédents commerciaux, ses ventes d’armes et son approvisionnement énergétique sécurisé, faisant la danse du ventre comme le fait la France actuellement, que ce soit en Arabie Saoudite ou sur ses propres plages privatisées pour l’occasion, participant du même coup à son propre extrémisme politique interne.

Il y aurait surtout là, en ce jour de l’Aïd, fête religieuse la plus importante pour les musulmans, notamment sunnites, et en ces jours de possible mise à exécution du châtiment, un enseignement à tirer : peut-on encore avoir de tels gardiens des lieux saints musulmans, dernier rempart de légitimité derrière lequel les Saoud se drapent, ou faut-il commencer à instruire le procès des méfaits d’un wahhabisme qui fut combattu à ses origines par les autorités religieuses musulmanes elles-mêmes comme étant un radicalisme néfaste et défini comme un égarement, qui fut, pour d’évidentes raisons stratégiques contre l’empire Ottoman puis énergétiques, remis en selle par les Anglais et confortés ensuite par la puissance américaine ?

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