LE TEMPS QU’IL FAIT LE 26 FÉVRIER 2016 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 26 février 2016. Merci à Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le vendredi 26 février 2016, et je voudrais commencer par vous parler d’un article que je viens de lire dans Libération. C’est un article de Rachid Laïreche qui raconte sa journée, hier, à Lille. Il a d’abord suivi Jean-Luc Mélenchon chez les ouvriers en grève de Vallourec et, le soir, il s’est rendu à la réunion organisée par des gens qui sont en faveur d’une primaire à gauche., réunion à laquelle s’est jointe Martine Aubry, chose un peu inattendue. Si on se reportait simplement à 48h plus tôt, on n’aurait pas pensé que Martine Aubry viendrait assister à cette réunion là. Et elle s’est déclarée en faveur d’une primaire à gauche.

Alors on le sait, le 12 janvier, Jean-Luc Mélenchon a rendu impossible cette primaire à gauche, en tout cas avec sa présence, en déclarant sa candidature à la présidence. L’initiative de lancer l’appel à une primaire à gauche avait été prise quelques jours avant. Il avait eu raison de considérer qu’il s’agissait d’une déclaration de guerre, parce que s’il était apparu comme le candidat de gauche évident pour une grande partie des gens qui ont l’intention de voter à gauche, lors des présidentielles, eh bien, on se serait rallié à lui. Donc, les gens qui appelaient à une primaire à gauche, d’une certaine manière, exprimaient le fait qu’ils ne considéraient pas qu’un candidat de gauche pourrait se retrouver au deuxième tour des présidentielles.

Ce qui m’avait conduit, moi, le jour où Jean-Luc Mélenchon a présenté sa candidature, à faire un papier sur mon blog pour que les gens se rallient autour de Thomas Piketty. Je lui avais demandé un rendez-vous et on s’est vu le 4 janvier dans son bureau. Je n’avais pas une idée très précise de ce que je voulais lui dire. Je voulais un peu le tâter sur cette question des présidentielles en France, mais je me suis retrouvé durant la conversation à lui dire : ‘Eh bien, il faudrait que vous y alliez’. Et après avoir dit ça, j’étais un peu surpris (j’essaye de ne pas être trop surpris par ce que je dis !), mais après m’être entendu dire ça, je lui ai dit : ‘Je me sens un peu comme Jeanne d’Arc, allant rencontrer Charles VII, en lui disant, voilà, il faut y aller’.

J’ai beaucoup aimé cette conversation. Je ne sais pas combien de temps on a bavardé, peut-être entre une demi-heure et trois quarts d’heure. On a parlé de pas mal de choses, et surtout de ce qui allait se passer. Et là, il m’a dit, ce que je savais déjà, parce que les journaux en avaient parlé. Il m’a dit : ‘Eh bien, écoutez, je vais lancer dans quelques jours, une initiative autour des primaires à gauche’. J’ai dit : ‘Oui, je suis au courant’. Il dit : ‘Parce que personnellement, je pense qu’il faudrait qu’on se rallie autour d’une personne’. Il m’a donné le nom de cette personne. Il a dit : ‘Je crois que c’est une personne qui ferait l’affaire’.

C’est une personne pour laquelle j’ai beaucoup de respect, mais quand il m’a dit :‘Cette personne a beaucoup plus de visibilité que moi’, alors, là, j’ai dû faire un sourire un petit peu gêné. Je lui ai dit : ‘Non, cette personne n’a pas davantage de visibilité que vous’.

Et cela m’a fait très plaisir qu’il ait cette humilité, cette modestie. Et à la limite, je dirais, comment dire, c’était quoi le mot qui me venait ? cette naïveté de penser que la personne dont il parlait avait plus de visibilité que lui. Parce que, s’il s’annonçait comme candidat à la présidentielle, cela ferait la une des journaux en Chine, aux États-Unis et dans pas mal d’autres pays.

C’est vrai que son nom n’est peut-être pas aussi reconnu nationalement en France qu’internationalement, mais la nouvelle de la candidature de la personne à laquelle il pensait en termes de visibilité en France, ne ferait la une d’aucuns journaux à l’étranger. Non, il a une visibilité extraordinaire au niveau international. Il est reconnu comme une personnalité importante. La modestie qui est la sienne, est à mon sens, un très, très bon signe. On me dit, on me dit : ‘Oui, mais il n’a pas de programme. Oui, mais il dit qu’il ne va pas y aller’. Oui, bien sûr, mais vous connaissez l’histoire de Cincinnatus. Cincinnatus, c’est le peuple romain qui a insisté pour qu’il vienne, en disant : ‘Il n’y a que vous. Il n’y a que vous qui puissiez jouer ce rôle.’ Il disait : ‘Non, non, moi ça suffit, il faut que je m’occupe de mes champs.’ Et c’est le peuple de Rome qui l’a ramené à Rome, pour jouer le rôle qu’il avait déjà joué, celui d’un grand homme d’état.

Alors, on me dit aussi : ‘Oui, mais il n’a pas l’expérience d’un homme d’état.’ Mais tant mieux. Tant mieux : tout le monde se plaint de la politique politicienne. Tout le monde se plaint qu’on ne retrouve plus que des gens, au profil très curieux, à la direction des états parce que ce sont essentiellement des gens assoiffés de pouvoir qui se retrouvent là. Ce dont on a besoin maintenant, parce que l’humanité va très mal, le genre humain va très, très mal, on a besoin de gens qui ne sont pas assoiffés de pouvoir. On a besoin de gens qui fassent leur métier correctement.

Et là, hier soir, en répondant à un commentateur sur mon blog, j’ai commencé par lui répondre deux lignes, et puis en fait, je me suis lancé dans tout un billet sur les personnes et les programmes, et j’ai fini par le mettre en ligne sur le blog.

On me dit qu’il n’a pas de programme. Et je dis : cela ne fait rien, on va lui en écrire un, s’il n’est pas capable d’en écrire un. Et Piketty, il est bien capable d’en écrire un ! Mais si jamais c’était ça le problème, on peut l’aider à en écrire un programme ! La question n’est pas là. La question, c’est plutôt celle des personnes. Les gens disent alors : ‘Oui, mais alors, c’est le culte de la personnalité !’.

Il ne s’agit pas de ça : je renvoie à quelque chose que j’ai vu un peu. Ce sont des choses auxquelles j’ai déjà fait allusion. Mais là, dans le livre qui va paraître très bientôt, celui que j’ai appelé Le dernier qui s’en va, éteint la lumière, je réfléchis un peu à la manière dont nous fonctionnons, à la lumière de la psychanalyse et à la lumière de ce que moi j’ai compris en faisant une analyse personnelle, en disant que ce qui est essentiel, c’est que les gens adhèrent à qui ils sont. Parce qu’il y a un décalage entre ce que nous faisons et ce que nous enregistrons de nous même dans notre propre comportement. Ce qui est essentiel, c’est que la personne colle à la personne qu’elle est. Qu’elle ne soit pas tout le temps en porte à faux, ou à dire tout le temps comme quelqu’un que j’ai rencontré dans une émission de télévision : ‘Est-ce que vous avez, comme moi, toujours le sentiment d’avoir dit le contraire de ce que vous auriez dû dire ?’ Je l’ai ménagé et je me suis dit que j’avais la chance quand même, de toujours me reconnaître dans ce que je dis. Ça doit être ça le bonheur, ça ne doit pas être de toujours vouloir rattraper ce qu’on s’est vu faire ou entendu dire.

Pourquoi est-ce que je parlais de ça ? Ah, oui ! Parce que je parlais de cette distinction entre les programmes et les personnes. Eh bien, le programme ce n’est pas aussi important que la personne elle-même. Oui mais bien sûr, Hitler était sans doute très content de ce qu’il faisait. Ce qui veut dire qu’il ne faut pas nécessairement suivre les gens parce qu’ils collent à leur personnage, mais bien parce qu’ils représentent les idées qu’il faut, à mon sens, telles les idées de générosité, de partage, et de solidarité.

A mon avis, Piketty est la personne qui convient. Même s’il ne le sait pas encore lui-même. Je ne l’ai pas convaincu le jour où je l’ai vu. Il avait un air sceptique dont je viens de dire que c’est une bonne chose parce que ça prouve qu’il ne s’identifie pas à quelqu’un qui est à la tête d’un état. C’est important du coup, qu’on aille lui dire : ‘Si, si, voilà, ce sont les autres qui savent ce que vous êtes vraiment !’ Celui qui sait qui il est, comme disait Lacan, c’est le psychopathe, c’est le fou. Comme il l’avait si bien dit : ‘Bonaparte cela allait très, très bien, sauf le jour où il a commencé à croire qu’il était Napoléon. C’est là que le problème a commencé’.

Alors, il me semble qu’on a là, la personne qui convient. Il ya quelque chose dans l’article de Rachid Laïreche qu’il consacre à la journée d’hier à Lille qui est intéressant, c’est le fait qu’au moment du retour à Paris, Jean-Luc Mélenchon et les gens qui étaient allés pour cette initiative d’une primaire à gauche à Lille, se sont retrouvés dans le même train et le journaliste voit Julia Cagé, l’épouse de Piketty, Piketty et Mélenchon discuter un peu à la gare du Nord. Et ça c’est une très bonne chose. Une très bonne chose : on ne peut pas faire une candidature à gauche dans un climat de guerre civile, il faut qu’on soit d’accord entre soi. Il ne faut pas que ce soit la déchirure. C’est pour ça que j’ai accueilli avec intérêt un papier de François Fièvre, que l’on me proposait et avec lequel je n’étais absolument pas d’accord, mais qui a donné lieu à une discussion extrêmement élaborée de très grand niveau en terme de commentaires, où il mettait en parallèle, la possibilité de soutenir Piketty ou Mélenchon. J’ai le sentiment quand même que c’est mon papier du 12 janvier, ‘Appeler un chat, un chat » qui a un peu lancé, disons, le débat dans ce sens là. Il faut qu’on continue.

Il y a un élan, en ce moment, à gauche. Il y en a un, aux Etats Unis, vous avez vu, Monsieur Sanders qui était considéré comme le marginal des marginaux, le marginal de chez marginal, au début de la campagne, maintenant on dit dans la presse : ‘Oui, il ne va peut-être pas l’emporter sur Hilary Clinton.’ C’est déjà pas mal qu’on dise qu’il ne va peut-être pas l’emporter sur Hilary Clinton. Et puis, vous avez peut-être vu ce graphique sur la distribution des voix, par âge. Le sondage a été fait par un institut de droite et constate de manière horrifiée, qu’aux États Unis les jeunes sont de gauche ! C’est une très bonne chose. Si ça pouvait nous ramener au climat de la fin des années 60, ce serait une bonne chose.

Moi, je suis un nostalgique, j’allais dire un fanatique, mais c’est entre les deux, du mouvement hippie. Je défendais, des idées un peu différentes, à l’époque, un peu plus fondées dans la théorie. Je ne parle pas des pantalons pattes d’eph, ce n’est pas ça que j’ai retenu, c’est l’esprit. L’esprit qui existait à cette époque là. Si c’est en train de revenir dans la jeunesse américaine, c’est une excellente chose. Espérons que cela se passe ainsi aussi en France et dans d’autres pays, des pays limitrophes. Je pense à celui dont je suis un citoyen, un ‘national’ comme on dit aux États Unis. Il faut qu’il y ait un mouvement de ce type là.

Je viens de participer au tournage d’une petite vidéo pour encourager les gens à participer à la parade du mouvement Tout Autre Chose – Hart Boven Hard, en Belgique, qui se tiendra le 20 mars. Il faut qu’il y ait un élan qui renaisse dans la gauche. Qu’on comprenne d’abord que le moment est venu, qu’il y a urgence, et il faut que l’on se mette d’accord pour faire les choses ensemble. Cette petite réunion surprise, mentionnée par Rachid Laïreche à la gare du Nord hier soir, c’est un très bon signe.

Réunissons toutes nos énergies, à un niveau européen. Je ne peux parler qu’à un niveau européen puisque je parle de politique française en tant que citoyen belge. Mais il faut le faire. Varoufakis a raison de dire que c’est au niveau de l’Europe qu’il faut faire quelque chose. Non pas que l’Europe soit une réussite dans la façon dont elle a été faite, mais cela doit rester la plate-forme. Ça doit rester l’endroit d’où on part. On ne peut pas revenir à la Lotharingie, à des catégories qui n’existent plus depuis longtemps. Il faut faire l’Europe maintenant au niveau de l’Europe. Moi j’y ai cru quand j’avais 18 ans, quand on m’a fait venir à Strasbourg où j’ai été traité comme un interlocuteur valable par ceux qui avaient fait l’Europe jusque là. Après, cela s’est fourvoyé, cela s’est perdu dans des trucs de marchands de soupe. Mais, ‘l’Europe est une idée neuve’ et il faut la prendre et la faire advenir autrement que ce qu’on a vu jusqu’ici.

Voilà, c’est sur cette bonne note, je dirais, de choses qui sont en train de se dessiner, qui vont dans la bonne direction et qui vont vite… moi, j’ai rencontré Piketty le 4 janvier, cela fait déjà 6 semaines ou quelque chose de cet ordre là… tout va très, très vite, c’est bien, allons-y, continuons. Et le blog de Paul Jorion sera là pour qu’on continue à échanger autour de tout ça. Au revoir et à bientôt.

 

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