« Les larmes sont des perles d’émotion », par Isabelle Joly

Billet invité.

Il est quatre heures du matin. Elle est petite, sept ans, peut-être huit. Elle se cache sous les draps, elle a encore pissé au lit. Elle sait que sa grand-mère va arriver, va commencer par la frapper, la sortir du lit, lui faire rassembler ses draps. La traîner au bord de la mer.

Il fait nuit noire et elle est dans l’eau, sa grand-mère lui enfonce la tête dans la mer, en martelant: « Tu vas arrêter de pisser au lit, tu vas arrêter de pisser au lit ». Elle suffoque, elle va se noyer, sa grand-mère la ramène à la surface, elle avale une goulée d’air, elle a peur, elle a froid, il fait si noir, elle ne voit rien, elle veut mourir, elle va mourir.

Elle a maintenant 27 ans, elle est venue de son pays lointain chercher une vie meilleure. Elle raconte ses bribes d’enfance à un petit garçon qu’elle ne connaît pas, et à sa nouvelle amie, qui l’écoutent bouleversés et le souffle suspendu.

Des histoires comme celle-là, elle en a plein sa besace d’immigrante. Enfance solitaire, dure, rythmée par les coups, car si on lui interdit de jouer, elle jouera quand même. Jouer c’est sa vie, elle en paiera le prix, mais elle tiendra bon.

Cette énergie qu’elle a déployée pour survivre à son enfance lui servira de carburant pour avancer dans les difficultés à se faire sa place dans ce pays d’accueil, la France.

Elle a laissé au pays sa mère et son petit garçon. Elle espérait le faire venir, cela fait maintenant sept ans qu’elle ne l’a pas vu. Sa nouvelle amie lui donne des cours de français. Un jour elle lui demande de l’aider à écrire une lettre à son petit garçon, qui apprend le français à l’école.

Les mots qu’elle veut dire, elle les connaît, elle ne sait pas les écrire. Et à deux, elles trouvent comment dire l’amour d’une maman qui s’excuse auprès de son petit de n’avoir pu encore le faire venir. A la fin, une larme coule sur les joues des deux femmes. Les larmes sont des perles d’émotion.

Si elle n’a jamais voulu d’enfant, l’amie vient d’en trouver une d’adoption. Une fille géniale dont elle reconnaît la filiation spirituelle dans les réflexions qu’elle fait, dans le bon sens qu’elle déploie, dans les valeurs qu’elle défend malgré son enfance destructrice. 

La vie vous offre ce que vous avez refusé par peur de faire du mal. D’autres se chargent de les faire venir au monde, de leur imposer les épreuves qu’ils traversent, de leur forger leur caractère, et vous, vous n’avez qu’à accepter le cadeau, un être courageux qui y va malgré tout et vous apprend la vie.

Un cadeau de fête des mères à votre âge, vous qui n’en avez jamais reçu, ça vous montre que rien n’est impossible dans ce monde. Et c’est une boîte de chocolats en forme de coeur. Des chocolats qui fondent dans la bouche, et qui n’ont jamais été meilleurs.

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