Les marchands de doute (2010) de Naomi Oreskes et Erik M. Conway (II) La « Guerre des étoiles »

Un résumé de Les marchands de doute (2010) de Naomi Oreskes et Erik M. Conway (Le Pommier 2012), par Madeleine Théodore.

Autre sujet couvert dans Les marchands de doute : la défense stratégique, la SDI (Initiative de Défense Stratégique) ou « Guerre des étoiles », qui était rejetée par la majorité des scientifiques comme impraticable et déstabilisatrice. Frederick Seitz et ses collègues se mirent en peine de la défendre, remettant en cause les preuves scientifiques de son impossibilité pratique, promouvant l’idée que les États-Unis pourraient « gagner » une guerre nucléaire.

Le cœur de l’initiative de défense stratégique, promue par le président Ronald Reagan, en 1983, était d’installer dans l’espace des armes susceptibles de détruire des missiles balistiques ennemis. Cela constituerait pour les États-Unis un bouclier contre toute attaque, rendant ainsi les armes nucléaires obsolètes. Cela constituait aussi une réponse directe au mouvement prônant un « gel nucléaire », mouvement très populaire aux États-Unis, menaçant la politique extérieure et militaire de l’Administration, ainsi que les chances de réélection du président Reagan.

Les arguments en faveur de la SDI étaient les suivants : la détente était une naïveté, les États-Unis étaient capables de construire un système de défense contre les missiles soviétiques et de gagner la guerre si celle-ci était déclenchée, les agences de renseignement américaines n’étaient pas performantes, les Soviétiques voulaient non la paix mais l’hégémonie mondiale et, sans intervention américaine, l’Ouest aurait perdu. De plus, le but des États-Unis n’était pas la survie mais au bout du compte l’expansion légitime du monde libre par les actions volontaires des peuples convaincus.

Cette crainte irraisonnée et infondée aboutit à l’initiative de défense stratégique et à l’organisation des missiles balistiques de défense, approuvée par le Congrès et financée à hauteur de 60 milliards de dollars.

Cependant, le camp adverse comptait des scientifiques, dont au moins 6.500 d’entre eux, s’opposèrent à cette Guerre des étoiles en refusant de collaborer à son programme. Pour eux, la SDI était une incitation à construire plus d’armement, les Soviétiques seraient peut-être tentés d’attaquer avant que le système ne soit mis en place, celui-ci était aussi impossible à tester. De plus, le schéma de Reagan était extrêmement compliqué et cher, car la couche placée en orbite nécessitait 2.400 stations de combat au laser, pesant de 50 à 100 tonnes et coûtant environ un million de dollars chacune. L’argument principal contre la SDI était cependant celui découvert par la NASA et appelé l’« hiver nucléaire » : une guerre nucléaire ne connaîtrait pas de vainqueur car un échange de bombes, même très limité, pouvait placer la terre dans un état de gel profond, empêchant la vie d’y subsister.

Cet argument fut rejeté par les conservateurs pour « manque d’intégrité scientifique » alors qu’il reposait sur une base solide approuvée par la majorité de la communauté scientifique. Comme pour l’industrie du tabac, pour laquelle ils créèrent l’institut Rockefeller, ils décidèrent de fonder l’institut George Marshall, architecte de la reconstruction après la deuxième guerre mondiale, dont le rôle, entre autres, fut de contenir l’extension du communisme.

Seitz résuma ainsi la position conservatrice en opposition à celle de l’hiver nucléaire : « des considérations politiques ont, de façon subliminale, fait dévier le modèle d’une représentation correcte de la nature ; rétrospectivement, la politique en question peut être identifiée au mouvement pour le gel nucléaire ». En conséquence, si l’on se trouvait politiquement en désaccord avec un point soulevé par la science, il était possible de le dénoncer comme étant « d’inspiration politique ».

Si la science prenait le parti de la régulation, parti rejeté par Seitz, défenseur selon Milton Friedman de la liberté du capitalisme, alors la science devait être brisée car, dans les termes de Barry Goldwater : « l’extrémisme dans la défense de la liberté n’est pas un défaut ».

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