LES BONS OUVRIERS N’ONT PAS DE MAUVAIS OUTILS, par François Leclerc

Billet invité.

On savait la magistrale science économique défaillante mais, pour couronner le tout, il ressurgit que son indicateur universel et incontournable, le produit intérieur brut (PIB), ne vaut pas tripette. Comment raisonner sur des bases erronées, en vient-on alors à se demander dans certains cercles les mieux établis ?

C’est du Japon, particulièrement intéressé à la démonstration, que provient sa nouvelle mise en cause. Pour deux experts de la banque centrale (BoJ), l’enjeu est de montrer que le pays n’est pas plongé dans la récession et connait au contraire une significative production de richesse.

Au fil des ans, le PIB a vaillamment résisté à la mise au point délicate de nouveaux indicateurs qui tentaient de corriger ses défauts majeurs en appréhendant plus globalement l’activité économique. Rien n’y a fait, le pli était pris, illustrant les limites d’un milieu qui tout en prétendant à la rigueur scientifique ne se soucie pas de la qualité de ses données. Avec comme argument péremptoire que si le PIB que nous calculons est faux, il permet les comparaisons, sans se soucier de savoir si celles-ci ne sont pas elles-mêmes faussées…

Sous son apparente et trompeuse simplicité, le PIB cache le fait que mesurer l’activité économique est une tâche très complexe et sujette à discussion. Apparu aux États-Unis au sortir de la Grande dépression des années 30, son calcul est régi par des méthodes établies par l’ONU, qui sont régulièrement révisées. Tant bien que mal, celui-ci s’appuie sur la prise en compte de la valeur ajoutée des biens et des services. Mais c’est seulement en 2014, pour donner un exemple significatif de son flou, que les dépenses de recherche et de développement, les ventes d’armes, la prostitution et la vente de drogue ont été intégrées par l’Union européenne (avec tous les aléas que l’on pressent).

L’amélioration de la collecte et l’analyse de volumineuses données est désormais à portée, en utilisant les outils de l’Intelligence Artificielle comme l’auto apprentissage des machines, grâce auxquels il pourrait être passé de l’analyse d’échantillons statistiques à des quasi-recensements. Mais il ne s’agit pas uniquement d’une question de fiabilité des données, il importe de déterminer et élargir le champ de ce qui est pris en compte. Dans le cadre de la révolution numérique, la Gig economy (les petits boulots précaires, les auto-entrepreneurs, les nouveaux services type BlablaCar ou Airbnb, l’économie du partage, du don et du troc …) commencent à créer de sérieux trous, pour ne pas parler de tout le secteur de l’économie informelle. D’autres vont survenir résultants des technologies de rupture qui naissent dans les domaines de l’intelligence artificielle, de l’ingénierie génétique et de la science des matériaux. D’importantes mutations au sein des sociétés avancées, à peine esquissées, vont résulter de leur profond impact.

Selon la vision restrictive de Charles Bean de la London School of Economics, qui a étudié la question à la demande de George Osborne, alors chancelier de l’échiquier, le taux de croissance britannique de ces dix dernières années aurait déjà dû être relevé d’un à deux tiers de point en introduisant de premiers correctifs.

Un moment ouverte, la boîte de Pandore du PIB a été vite refermée, d’autres problèmes plus urgents mobilisant les énergies. Va-t-elle à nouveau être ouverte ? Cela viendrait à point nommé dans les pays marqués par une croissance très faible, à qui des couleurs pourraient ainsi être redonnées, au moins sur le papier. Au Japon, par la vertu d’un bienfaisant effet de seuil, le danger de la récession permanente pourrait être éloigné et le premier ministre Shinzō Abe pourrait arguer de résultats actuellement introuvables pour sa politique.

Souligner les petits accommodements qui pourraient résulter de l’ouverture d’une nouvelle réflexion ne contredit pas l’intérêt qu’elle représenterait. En premier lieu, elle pourrait chercher à intégrer les externalités négatives que représentent les coûts écologiques et environnementaux. Le mythe de la croissance bienfaitrice n’en sortirait pas renforcé et la discussion pourrait avantageusement se reporter sur la nature de la croissance. Le principe illusoire d’un indicateur unique pourrait être abandonné au profit d’une batterie d’indices. Avec comme principal critère, de mesurer la contribution au bien-être et au développement humain de l’activité économique, une fois sorti des ornières du scientisme économique et revenu à l’économie politique.

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