USA : des Américains de la « Rust Belt » engagent le combat contre le « système »…, par Vincent Rey

Billet invité. P.J. : Je ne partage pas entièrement les termes de l’analyse de Vincent Rey. Je ferai connaître ma position à ce sujet aujourd’hui dans ma vidéo Le temps qu’il fait le 11 novembre 2016.

Faute de trouver dans l’offre politique, des représentants concernés par la disparition du travail, les « cols bleus » américains de la « Rust Belt »* ont changé d’attitude, et fait basculer l’élection présidentielle américaine du côté républicain. La classe moyenne de ces états, dont une partie a maintenant rejoint la classe des pauvres, a enfourché un cheval (Trump) et s’est lancée à l’assaut de l’« Establishment ».

Comment ne pas lire la détresse économique derrière ce vote ? on a tous vu Detroit (Michigan), devenir un désert industriel, alors que dans les années 1970, la ville était la capitale mondiale de l’automobile ! Et que dire de la Pennsylvanie, ces fleurons industriels que constituaient Pittsburgh et Philadelphie – la ville de « Rocky » Balboa – désertée peu à peu par les emplois manufacturiers. Michigan, Ohio, Pennsylvanie, les habitants de ces états autrefois industriels ne se sont plus sentis représentés par le parti Démocrate, et ils ont livré leur quota de grands électeurs à D. Trump (54 sur les 270 requis), faisant ainsi basculer l’élection.

Au pays du courage récompensé, une partie de la population a « décroché », et semble maintenant considérer que son courage ne lui sert plus à grand chose. Dans le film « Rocky », dont l’action se situe à Philadelphie en 1976, le boxeur « Rocky Balboa » (incarné par Sylvester Stallone) incarne le mythe américain. Il est dur avec lui-même, il s’entraîne tous les jours. Chaque matin à 5h il va courir, avant d’aller boxer des carcasses de viande à main nue au fond de la chambre froide d’un abattoir. Cela reste une fiction, mais qui a du sens aux USA : en agissant ainsi, avec courage et détermination, « Rocky » sait qu’il sera récompensé. C’est peut-être ce mythe du courage récompensé qui vient de se disloquer avec l’élection de Trump. Les déclassés américains de la « Rust Belt »* viennent de rompre avec ce mythe, ils ont dit « stop ». Impactés depuis 30 ans par des rafales de disparitions d’emploi, de délocalisations, témoins chaque semaine ou chaque mois de l’apparition de nouveaux déserts industriels, ils semblent maintenant en avoir assez de boxer dans le vide, depuis trop longtemps. Et comme par une sorte de nostalgie, ils ont voté pour une sorte de « Rocky Balboa », désireux de tout donner de sa personne, pour mettre KO l’« Establishment » politique américain.

« Enough is enough », avait dit Obama, au sujet de Trump. L’électorat des cols bleus de la « Rust Belt » semble lui avoir répondu exactement la même chose : « Enough is enough », et puisque le courage et la détermination ne suffisent plus pour avoir un toit, une voiture, une assurance santé, et un minimum de sécurité économique, et que personne ne semble prendre à cœur ces problèmes, ni même tenter d’en analyser les causes, alors il n’a pas hésité, cet électorat, à dégommer ses élites publiques, d’abord par un coup droit dévastateur au parti républicain, en laissant Trump s’imposer lors des primaires, puis par un uppercut au parti démocrate, en privant Hillary Clinton des 20 grands électeurs de la Pennsylvanie. Voilà Trump Président des Etats-Unis d’Amérique ! L’« establishment » est KO !

Les déclassés regardent ce spectacle de l’élection de M Trump, avec amusement… C’est la revanche des sans-grade, de tous ces gens qui n’attendent plus rien du « système », ni des élites de leur pays, et qui n’ont plus que ce dernier pouvoir du bulletin de vote pour faire connaître leur existence. Même si l’on rejette les idées de M. Trump, on ne peut plus ignorer que ces gens sont maintenant en nombre tel qu’ils peuvent rayer la démocratie de la carte. Les commentateurs et les journalistes qui les méprisent pour leur vote font une erreur, car alors, ces personnes se sentent méprisées une deuxième fois, en tant que citoyen. Des gens sérieux, pas M. Trump, qui n’est qu’un homme d’affaire, habile à faire débourser les banques, pour éviter qu’elles n’engloutissent trop d’argent dans ses projets aussi faramineux que catastrophiques, non, des gens de l’élite politique, des gens comme Obama, ou Clinton, doivent maintenant convoquer d’autres analystes économiques, rencontrer d’autres chefs d’État, et trouver ensemble des moyens pour régler le problème de la disparition du travail.

Les électeurs de M Trump sont-ils dupes ? Croient-ils vraiment, que construire un mur entre le Mexique et les USA, a une chance de stopper le départ d’activités industrielles vers des pays ou la main d’oeuvre est moins chère, ou d’empêcher que des robots travaillent demain 3  fois plus et 10 fois plus vite qu’eux, avec seulement un peu d’électricité ? Sûrement pas tous. Mais tous attendent certainement des réponses de leur personnel politique, qui ne leur fait que des sourires intéressés, au moment de passer au vote. Cette fois, les électeurs n’ont pas répondu au sourire, et après le Brexit, l’élection de Trump est un nouvel avertissement pour la démocratie.

Il n’y a plus qu’à espérer que M. Trump ne soit pas un nouveau « Boss » Tweed, et qu’il ne mettra pas sa position à profit pour s’enrichir ou payer ses dettes, avant de se retourner vers ses électeurs en fin de mandat pour leur dire : « Que voulez-vous que je vous dise ?… il faut faire attention aux personnes pour qui vous votez ! ». Il avait dit, paraît-il sensiblement la même chose à ses actionnaires, après la faillite de ses 3 sociétés cotées en Bourse, destinées à recapitaliser ses casinos géants. Des faillites qui ne l’avaient cependant pas dissuadé de se servir 44 millions de dollars.

Le premier discours de Président, appelant au rassemblement pacifique des Américains, est plutôt de bonne augure, même si on a du mal à croire que Trump, compte tenu de ses antécédents, serait tout à coup devenu vertueux avec l’élection. Car si jamais le peuple américain s’était trompé sur le compte de Trump, il aurait alors mis l’« establishment » KO en pure perte, un peu comme Don Quichotte se lançant l’assaut des moulins-à-vents : avec beaucoup de bravoure, mais assez inutilement.

* Rust belt : mot à mot « ceinture de rouille » : nouveau nom donné depuis les années 1970 à la Manufacturing Belt (la ceinture des usine). Désigne le Nord-est des États-Unis, principalement les états du Michigan, l’Indiana, l’Ohio, et de la Pennsylvanie.

* « Boss » Tweed : politicien New-Yorkais du milieu du 19ème siècle. A la tête de la machine politique démocrate connue sous le nom de « Tammany Hall » il réclamait 15% aux fournisseurs s’ils voulaient avoir une chance de faire des affaires avec la ville. Il est ainsi devenu un homme très riche, avant d’être accusé de corruption et de finir ses jours en prison.
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