TROP DE FINANCE TUE LA FINANCE ! par François Leclerc

Billet invité.

Le président de la BCE a hier annoncé poursuivre jusqu’à la fin de l’année prochaine le programme d’achats de titres obligataires qui devait s’arrêter en mars, et même au-delà si besoin. Procédant par comparaison, les commentateurs ont cru voir dans la diminution des achats mensuels de la BCE, dont le montant passe de 80 à 60 milliards d’euros, un changement de politique à l’image de celui qui est toujours attendu de la Fed dans un autre domaine. Pourtant, le message central qui a été délivré est clair : avant toute chose, la BCE a décidé de prolonger son programme sans lui accorder de date limite cette fois-ci.

Mario Draghi l’a justifié lorsqu’il a jugé que si « le risque de déflation a largement disparu » (1), « l’incertitude continue à prévaloir ». Le risque géopolitique a selon lui pris le pas, et le président de la BCE n’a eu de cesse de mettre en garde à ce sujet ces derniers temps, notamment devant le Parlement européen fin novembre dernier. La décision de la BCE confirme bien son rôle déterminant dans la stabilisation du système ainsi que l’élargissement implicite de sa mission dans la pratique. Ses mesures non conventionnelles s’inscrivant dans la durée, ne finiront-elles pas par devenir la normalité..? On voit à cet égard comment une augmentation minime du taux de la Fed fait l’objet de tant d’histoires et de retards.

Constatant la faiblesse du niveau d’inflation sous-jacente (hors prix des produits alimentaires et énergétiques), mais dans l’incapacité de mieux faire, car c’est le résultat d’une politique induisant une demande insuffisante sur laquelle il n’a pas de prise malgré ses appels infructueux à la relance, Mario Draghi tente au moins d’amortir les effets des nouveaux risques politiques qui se multiplient.

Il lui faut en contrepartie assumer ceux de la prolongation du programme d’achat des titres obligataires. Afin de poursuivre ses achats sans assécher le marché obligataire, la BCE est en effet amenée à remettre en question deux des règles qu’elle s’était donnée : elle pourra désormais acheter des titres à maturité d’un ou deux ans, y compris si leur rendement est inférieur à son taux de dépôt de -0,4%. Ceci ne sera pas sans conséquence, comme l’a été la décision d’instaurer des taux négatifs qui pèsent sur le rendement des banques.

En premier lieu, la BCE va accroître ses pertes, tout comme les banques centrales nationales qui participent à ses achats au sein de l’Eurosystème. Ce qui a conduit Mario Draghi à faire valoir, lors de sa conférence de presse, que « notre rôle est de maintenir la stabilité des prix, pas d’assurer la rentabilité des banques centrales ». Les actionnaires apprécieront.

En second lieu, cela va accroître la ponction que la BCE réalise sur le marché du collatéral, où les titres à courte maturité sont privilégiés en raison de leur liquidité. Notamment les Schatz, les titres allemands dont la maturité est inférieur à deux ans, dont seul l’achat va permettre de respecter l’unique règle que la BCE a conservé : la proportionnalité de ses achats de titres d’un État avec la participation de celui-ci à son capital.

Le marché du « repo » où les banques se financent en fournissant du collatéral va s’en trouver affecté. Plus la BCE sort des sentiers battus, pour bien faire, plus elle introduit des dysfonctionnements et se trouve amenée à opérer des arbitrages. Ceux-ci font de plus en plus l’objet de contestations, rompant avec la règle non écrite qui veut qu’en Europe les gouvernements ne l’a critiquent pas, et implicitement avec la doctrine qui prétend à son indépendance.

Il y a encore peu de temps, les événements politiques majeurs que représentent le Brexit et la victoire de Donald Trump – sans compter ceux qui pourraient suivre – auraient plongé les investisseurs dans des abîmes d’incertitude. Aujourd’hui, ils coïncident avec des embellies boursières qui ne se démentent pas. La confiance régnerait-elle à ce point dans les capacités des banques centrales à sauver en toutes circonstances la mise ? Connaissons-nous un nouvel épisode d’exubérance financière aveugle qui finira immanquablement par se payer ?

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(1) La Grèce est retombée en déflation en novembre.

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